vendredi, mars 29, 2024

Les gaz d’échappement, un tueur insoupçonné

Ne ratez pas!

Par Mamadou SENE

Dakar est une ville polluée, très polluée. Toutes les formes de pollution (de l’air, des océans, du sol), toutes préjudiciables à la santé des populations, touchent la capitale du Sénégal.

Toutes sont de notre fait ; la pollution par les gaz d’échappement l’est plus que toutes les autres ; elle relève de nos mauvaises pratiques.

Nous faisons tous à longueur de journée le constat préoccupant du nombre croissant de véhicules qui laissent échapper un nuage de fumée, toujours plus épais et toujours plus noir. Ces gaz d’échappement sont une menace réelle pour la santé des Dakarois, parce qu’ils contiennent des éléments particulièrement nocifs à l’organisme humain, notamment du monoxyde de carbone, du monoxyde et du dioxyde d’azote et des particules fines cancérogènes.

L’exposition, même ponctuelle, au gaz d’échappement des moteurs diesel peut causer de la toux et de l’irritation des yeux, du nez, de la gorge et des voies respiratoires ou une réaction allergique pouvant mener à l’asthme ou à l’aggravation d’une condition asthmatique préexistante.

Quant à une exposition répétée au gaz d’échappement, elle peut provoquer des intoxications chroniques, car les particules diesel pénètrent dans les bronches et les alvéoles pulmonaires et provoquent des affections respiratoires sévères, comme les bronchopneumopathies et la pneumonie.

L’exposition sur une longue période peut avoir des répercussions beaucoup plus graves sur la santé. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), un organisme de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a classé les gaz d’échappement des moteurs diesel dans la catégorie des substances cancérogènes pour les humains, les cancers les plus dénombrés étant le cancer du poumon et potentiellement le cancer de la vessie.

Il est, par ailleurs établi que les particules fines contenues dans l’air pollué pénètrent aussi dans le système cardiovasculaire et causent des affections comme les accidents vasculaires cérébraux et les cardiopathies.

L’OMS estime à 7 millions environ le nombre de personnes qui meurent chaque année à cause de l’exposition aux particules fines contenues dans l’air pollué. Elle reconnaît que la pollution de l’air est un facteur de risque critique pour les maladies non transmissibles (MNT) causant, selon les estimations, 24% des décès d’adultes imputables à des cardiopathies, 25 % des décès imputables aux accidents vasculaires cérébraux, 43% des décès imputables à la bronchopneumopathie chronique obstructive et 29% des décès imputables au cancer du poumon.

Toujours selon l’OMS, plus de 90% des décès dus à la pollution de l’air se produisent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, principalement en Asie et en Afrique, suivis des pays à revenu faible ou intermédiaire des régions de la Méditerranée orientale, de l’Europe et des Amériques.

L’OMS considère que chaque jour, près de 93% des enfants de moins de 15 ans dans le monde (soit 1,8 milliard d’enfants) respirent un air si pollué que leur santé et leur développement sont gravement mis en danger. En 2016, il est estimé à 600 000 le nombre d’enfants décédés d’infections aiguës des voies respiratoires inférieures dues à la pollution de l’air.

Toutes les catégories de population sont touchées, à des degrés divers, par les effets nocifs de la pollution de l’air ; les plus vulnérables sont :

– Les personnes malades, notamment les asthmatiques, qui sont encore plus exposés aux crises, les jours de forte concentration de pollution ;

– Les enfants, qui sont particulièrement vulnérables aux effets de la pollution de l’air, du fait qu’ils respirent plus rapidement que les adultes et absorbent ainsi davantage de polluants. Ils sont aussi, par leurs petites tailles, plus proches du sol, où certains polluants atteignent des concentrations record, à un moment où leur cerveau et leur corps sont en plein développement ;

– Les personnes âgées, qui ont une capacité respiratoire plus faible que celle des personnes plus jeunes ;

– Les ménages à faible revenu, qui, de fait, ont un accès plus limité aux soins de santé ;

– Les femmes enceintes, l’exposition à un air pollué accroissant les risques d’accouchement prématuré.

Au Sénégal, nous n’avons pas, à ma connaissance d’étude épidémiologique mesurant le taux de décès ou de morbidité occasionné par les gaz de combustion et plus particulièrement les gaz d’échappement des véhicules ; mais, des études menées dans des pays plus développés que le nôtre, plus rigoureux en terme de normes environnementales et plus soucieux de leur respect et disposant d’un parc automobile beaucoup moins vieux que le nôtre, peuvent nous donner une idée de ce que pourrait être l’étendue des dégâts au Sénégal.

Des études menées par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux USA et en Europe et publiées en 2013 conduisent à des conclusions effrayantes :

– Aux Etats-Unis, la pollution automobile tue plus que les accidents de la route (34 000 contre 53 000) ;

– En Grande Bretagne, Les gaz d’échappement des véhicules seraient presque 3 fois plus mortels que les accidents de la route.

Selon une étude de l’association Transport et Environnement (ATE) publiée en août 2018, la pollution de l’air impacte aussi fortement les poumons qu’une faible consommation de cigarettes. Selon les résultats d’ATE, un Parisien inhale en effet l’équivalent de la fumée de 183 cigarettes sur une année, soit un peu plus de neuf paquets de cigarettes, un Londonien l’équivalent de la fumée de 25 cigarettes, un Milanais l’équivalent de la fumée de 274 cigarettes, un Stambouliote l’équivalent de la fumée de 364 cigarettes.

Une autre étude, réalisée par The International Council on Clean Transportation (ICCT) en collaboration avec l’Université du Colorado, l’Institut de l’Environnement de Stockholm et International Institute for Applied Systems Analysis, indique que la pollution provoquée par les émissions d’oxyde d’azote des véhicules diesel en circulation a été à l’origine de 107 600 décès prématurés dans le monde en 2015.

Même si nous n’avons pas de données chiffrées pour Dakar, la surpopulation automobile de notre capitale, l’extrême mauvais état de la plupart des véhicules, notamment ceux en charge du transport public, et l’absence totale de toute sensibilisation des automobilistes sur les dangers des gaz d’échappement et, in fine, de toute sanction nous amènent à croire que la situation à Dakar doit être au moins aussi mauvaise que celle des métropoles des pays développés. Aussi, il est urgent de prendre des mesures fortes pour juguler ce mal.

Pour ma part, j’estime que les mesures à prendre sont de quatre ordres :

– Manifestation par l’Etat de sa volonté de combattre la pollution sous toutes ses formes, notamment celles causées par la négligence humaine ;

– Sensibilisation et information des automobilistes, sur les méfaits de la pollution sur la santé ;

– Mise en place de mesures technologiques et administratives favorables à la protection de l’environnement ;

– Répression des automobilistes ouvertement pollueurs.

La pollution, une préoccupation nationale majeure

Le premier jalon de la bataille contre la pollution, en général, et la pollution atmosphérique, en particulier, est la fin de l’indifférence des Autorités politiques nationales et locales à l’endroit de ce fléau et une claire et concrète manifestation de leur volonté de mener sans concession cette bataille. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas, si on mesure leur engagement à l’aune des constats suivants :

– Le nombre croissant de voitures qui crachent de la fumée à Dakar, sans qu’aucune autorité compétente ne s’en émeuve ;

– La politique ouvertement laxiste d’importation de véhicules d’occasion, l’âge des véhicules admis en importation au Sénégal étant relevé de cinq à huit ans (Décret n° 2012-444 du 12 avril 2012 modifiant le décret n° 2001-72 du 26 janvier 2001 relatif à l’importation des véhicules, cycles et cyclomoteurs usagés) ;

– L’absence totale de sensibilisation et d’information des Pouvoirs Publics en direction des automobilistes, sur les méfaits de la pollution de l’air ;

– L’absence de répression contre les automobilistes pollueurs ; bien sûr, sans sensibilisation, information et interdiction, il ne peut y’avoir de répression.

– Aujourd’hui, à défaut de faire de la lutte contre la pollution une cause nationale, il est urgent que les Pouvoirs Publics en fasse une préoccupation majeure.

Sensibiliser et informer les automobilistes

Une fois acquise la volonté des Autorités de combattre ce fléau, elles doivent engager des actions de sensibilisation, d’information et d’éducation des automobilistes.

Il s’agit de sensibiliser et informer les automobilistes sur les dangers des gaz d’échappement des moteurs sur la santé des populations, et plus particulièrement sur les couches les plus fragiles (les malades, les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées) ;

Cette sensibilisation devra se faire par divers canaux : la radio, la télévision, affichage urbain, site web, l’école …

La sensibilisation et l’information devront aussi porter sur les sanctions appliquées aux automobilistes ne respectant pas les normes édictées en matière de pollution par les gaz d’échappement.

Il paraît urgent de prendre sans délai la mesure suivante : diffuser largement, les jours de pollution à risque, à travers la radio, la télévision et internet des flashes d’information sur la mauvaise qualité de l’air et sur les dispositions à prendre, comme cela se fait dans les grandes villes.

Prendre des mesures technologiques et administratives

Au-delà de la sensibilisation et de l’information des automobilistes, la lutte contre la pollution de l’air passe par la mise en place de mesures administratives et techniques. Sans que cela soit exhaustif, on peut en compter celles-ci :

1) L’utilisation des systèmes de traitement des gaz d’échappement, comme des filtres ou des convertisseurs catalytiques, et respecter les programmes de maintenance correspondants ;

2) L’interdiction à la circulation des véhicules présentant des rejets anormaux de gaz d’échappement ; subséquemment, la réparation sans délai des véhicules défectueux ;

3) La limitation des véhicules diesel en circulation, dans les zones de forte concentration de population :

Aujourd’hui, il est établi que le diesel est une menace pour la santé. Ainsi, toutes les grandes métropoles ont pris des mesures de limitation ou d’éradication totale du diesel.

En France, Paris a interdit depuis 2016 la circulation des véhicules les plus polluants et devrait progressivement durcir sa politique, pour atteindre son objectif de faire disparaître les moteurs diesel d’ici à 2024. A l’échelle nationale, le terme est à 2040.

En Belgique, Bruxelles a interdit depuis le 1er janvier 2018 la circulation des véhicules les plus polluants, notamment toutes les voitures diesel.

Barcelone a prévu de le faire en 2019, tandis que Rome vise 2024, Madrid et Athènes, 2025, et Milan, 2030.

La Norvège s’est fixé l’objectif d’une disparition des ventes de véhicules diesel d’ici à 2025 et les Pays-Bas en 2030.

Le Royaume-Uni se montre plus prudent et vise une disparition du diesel d’ici à 2040. Toutefois, A partir de 2018, les propriétaires des véhicules diesel les plus polluants devront payer une surtaxe ; ils s’acquittent déjà de pénalités financières pour entrer dans le centre de Londres depuis 2017.

En Allemagne, mère-patrie du diesel, le Tribunal administratif fédéral a estimé fin février 2018 que les voitures utilisant le diesel pourront être progressivement bannis par des métropoles, en commençant par les véhicules les plus anciens et en prévoyant des exceptions pour les artisans ou certains groupes d’habitants.

4) Favoriser les solutions de renouvellement du parc automobile vieillissant, polluant et inadapté, notamment par le renouvellement du parc de « cars rapides » et « cars Tata », manifestement trop vieux et trop polluants ; de façon plus générale, il est urgent de doter Dakar d’un système de transport urbain à la mesure de la métropole moderne, que notre capitale a l’ambition d’être. L’état de vieillissement des « cars rapides », « cars Tata », taxis et « taxis clandos » n’est pas digne d’une capitale moderne. L’Etat devrait lancer sans tarder le chantier de la modernisation du transport urbain à Dakar.

5) Favoriser les solutions de transport entrainant la diminution du trafic routier : covoiturage, développement des transports en commun modernes, …

Sanctionner sévèrement les automobilistes ouvertement pollueurs.

Au-delà de la sensibilisation et de l’information des automobilistes et des mesures techniques et administratives destinées à réduire la pollution de l’air, il reste la mesure ultime, à savoir sanctionner les automobilistes pollueurs :

1) Appliquer le principe du pollueur-payeur, en appliquant une taxe annuelle additionnelle aux véhicules qui dépasse un niveau tolérable de gaz d’échappement ; ce niveau est fixé en fonction du cylindré et du modèle de la voiture ;

2) Verbaliser sans faiblesse les véhicules laissant échapper une quantité de fumée, dépassant la norme fixée ;

3) Déclarer inaptes à la circulation les véhicules dont les propriétaires refusent de se conformer aux normes techniques édictées.

La question de la pollution de l’air est un des multiples maux des grandes villes, plus particulièrement des grandes villes des pays émergents ou pauvres. Le Sénégal, en général, et la ville de Dakar, en particulier, doit, sans tarder, la traiter. Il y va de notre santé et de celle de nos enfants et petits-enfants.

Mamadou SENE

Sene Business Information

www.senebusiness.com

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