Ce Sénégalais de Kolda dirige depuis Bonn, en Allemagne, DHL Freight, le leader mondial de la logistique.
Des semelles de vent. Âgé tout juste de 48 ans, Amadou Diallo a déjà vécu sur trois continents, parle six langues et continue de jouer du djembé sous les brumes de Westphalie. Il trouve même des similitudes entre Bonn, l’ancienne capitale de l’Allemagne fédérale version guerre froide, et la ville casamançaise de Kolda, d’où viennent ses parents. Un véritable « citoyen du monde », comme se définit lui-même ce Sénégalais. Longtemps jeune homme pressé, il semble aujourd’hui plus apaisé. Un peu comme le cours du Rhin, qu’il domine depuis son vaste bureau situé aux étages supérieurs de la Post Tower, le siège social ultramoderne de la Deutsche Post et de sa filiale DHL. Car au fil de ses pérégrinations, l’enfant de Dakar a pris du galon. Au point d’occuper, depuis novembre 2011, le poste de président-directeur général de DHL Freight, leader mondial de la logistique avec un chiffre d’affaires annuel de 4,2 milliards d’euros et plus de 14 000 employés.
De cette ascension que beaucoup jugeraient vertigineuse, il suppose que ses parents et amis, au pays, sont « quelque part satisfaits ». Fidèle à sa définition d’un bon manager, « humble et curieux des choses », Diallo déroule d’ailleurs son parcours avec de petits éclats de rire, comme s’il se racontait une bonne blague. Sur les photos très officielles de DHL, Monsieur le PDG n’oublie pas de sourire, comme pour détendre un peu l’ambiance lisse et figée de ces photos au charme trop protocolaire. Il n’a pourtant pas dû rigoler tous les jours, car avant de toucher les sommets professionnels Amadou Diallo a d’abord appris à courber l’échine, « et à se lever tôt ».
Premier-né d’une famille de dix enfants, il donne le coup de main dans les magasins de chaussures de son père, avant de filer en France, après le bac, ramasser les choux et traire les vaches du côté de Paimpol (Bretagne). Le futur patron de DHL Freight gagne alors 3 francs 6 sous en travaillant également comme guichetier pour les ferries qui rallient l’Angleterre. « C’est comme ça que j’ai trouvé la motivation et l’argent pour poursuivre mes études », ironise ce cumulard, qui multipliera lui-même, quelques années plus tard, les allers et retours par-dessus la Manche, le temps d’un double cursus entre Paris et Londres. Parti en France pour tenter d’intégrer HEC, il opte pour la Schiller International University et décroche un MBA en business international, tout en prenant le temps d’obtenir un diplôme d’analyste-programmeur dans la région parisienne. Au milieu des années 1980, l’informatique est déjà en vogue, et ce touche-à-tout cherche seulement « à comprendre comment ça marche ». Même lorsqu’il travaille, Amadou Diallo trouve encore le loisir de compléter son CV. Non qu’il soit hyperactif, « mais suffisamment actif pour essayer d’utiliser [son] temps de manière optimale ».
Embauché pour six mois comme contrôleur de gestion au Club Med de Djerba, il suit en parallèle une formation pour devenir ingénieur en technique d’organisation. Et comme le jeune homme n’en manque pas, c’est presque naturellement qu’il part travailler en Allemagne. Un pays qui ressemble, « par la rigueur et le sens du travail », à celui qui, depuis ses 20 ans, cumule en moyenne une soixantaine d’heures de labeur par semaine. Il s’y sent donc vite comme chez lui. Surtout qu’il ne tarde pas à se faire remarquer dans les différents postes qu’il enfile comme des perles pour occuper, avant l’âge de 30 ans, les fonctions les plus élevées dans différentes sociétés.
De l’autre côté du Rhin, il rencontre également son épouse, sénégalaise comme lui. Elle est stagiaire dans une usine de métallurgie, lui occupe déjà un poste de directeur chez DHL. Ils ont quatre enfants, nés au gré de leurs va-et-vient entre l’Allemagne, la France… et bien sûr le Sénégal. Plus qu’ailleurs, c’est encore là qu’il se sent chez lui, à partager le tiéboudienne en famille dans la maison qu’il possède en Casamance ou à écouter les anciens le long de la Petite-Côte. Pas d’ambitions politiques revendiquées, mais une furieuse envie de « jouer un rôle si cela peut être utile à [son] pays ». Lauréat du prix Ai 2011 du leader africain de l’innovation, il investit déjà quelques deniers dans le secteur touristique sénégalais, comme pour montrer l’exemple. Afro-optimiste proclamé, il a également profité de son passage à Singapour, entre 2008 et 2011, pour devenir le président de l’association Futur Global 100, créée par une cinquantaine de multinationales « pour identifier les leaders de demain issus des pays émergents« . À commencer par ceux en provenance d’Afrique. « Avec les intellectuels dont il dispose, il n’y a aucune raison que le continent ne se développe pas », insiste le big boss de DHL Freight, bien décidé à apporter sa contribution. « L’être humain est né pour agir, insiste Diallo, c’est quand il est mort qu’il peut se reposer »
Olivier Caslin jeune Afrique