vendredi, mars 29, 2024

La question transgambienne : Echec d’un modèle d’intégration sous régional

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La question transgambienne : Echec d’un modèle d’intégration sous régional

« Un peuple fait son histoire mais subit sa géographie » (Chancelier Bismarck)

« Longtemps reléguées au second plan  malgré leur caractère stratégique, les questions d’intégration politique sous régionale s’imposent de plus en plus aux Etats Africains comme des enjeux de première instance. L’impérieuse nécessité de prendre en compte cette nouvelle dimension refait surface dans un contexte caractérisé par la vulnérabilité des frontières liée d’une part à l’expression  des actions citoyennes, d’autre part  au repli des sociétés sur elle mêmes pour la préservation d’intérêts locaux. La problématique transgambienne que cet article s’évertuera d’analyser ne fait pas exception à ce schéma ».

A ce titre, l’article que vous avez sous les yeux  n’est pas qu’un regard extérieur, il est avant tout  l’analyse d’une expérience, d’une situation ou disons tout simplement le résumé d’un vécu.

Si vous portez une attention particulière aux petits discours des passagers lamdas voulant faire le trajet Casamance (Kolda, Ziguinchor ou Sédhiou-Dakar) ou l’inverse, vous êtes vite frappés par le choix des clients qui disent facilement je passe par la transgambienne.

Cette préférence si bouleversante soit-elle ne vous dit rien. Bref, pour ne pas tomber sous le charme du bavardage inutile, disons que les faits remontent au mois de janvier quand pour un malentendu autour d’une question de devises, d’échange de monnaie,  populations Sénégalaises et Gambiennes se tournent le dos.

 

Vous me direz que ce n’est pas définitivement, car l’histoire et la géographie qui nous unissent avant tout nous obligent par ce simple fait de vivre ensemble même si nos relations sont parfois émaillées de conflits ou d’incidents soient-ils éphémères ou pas.

Le différend débute par un boycott des transporteurs Sénégalais qui décident tout bonnement désormais  de braver cette route  que les passagers appellent « le corridor de la mort », c’est-à-dire la route nationale 6 afin d’éviter ce qu’il convient d’appeler la route du raccourci. Très vite attisé et aggravé par les rumeurs et intoxications, le problème va finir par prendre les allures  d’une méfiance.

Pour rappel, aujourd’hui la seule voix reliant la Casamance au nord du pays (Kaolack, Dakar, Thiès etc.) ou presque empruntée par nombre de véhicules de transport  est celle qui consiste à passer par Sédhiou (région)- Kolda-Diaobé- Vélingara-Tamba-Kaffrine-Kaolack et puis le nord.

Devinez déjà la distance et ne  cherchez surtout  pas à faire le kilométrage de cette voix qui avoisine presque les 900 avec le calvaire qui attend passagers et conducteurs. Défaut de patriotisme ou difficultés de joindre les bouts, en attendant et dans le sillage de cet imbroglio, place est faite à la spéculation. Pour preuve, les tarifs du transport ont augmenté sur cette voie (carburant oblige d’après les conducteurs de tous bords). Il faut au minimum débourser  14.000  voire 18.000frs  rond par tête pour qui voulait faire le déplacement via Tambacounda.

Cette situation aujourd’hui impacte fortement sur l’économie locale. Les frais de transport concernant la marchandise surtout les gros porteurs ont également connu un bond. Avec la longue distance, certains articles surtout alimentaires périssent en cours de route avec les pannes périodiques qu’il faut aussi prévoir.

Autre information de taille que je ne dois pas vous apprendre ; la route nationale n°6 avec un financement du Millénium Challenge Account (MCA) est en chantier, de quoi soulager cette douleur que l’on appelle enclavement de la Casamance.

Mon opinion est que la nationale 6 ne sera pas une panacée à cette sempiternelle question qui sonne toujours le glas des interrogations au sein du gouvernement : Comment désenclaver la Casamance ?

Il est vrai qu’en posant la question de la sorte, bien des intellects et élus pensent tout de suite à la mise en place d’infrastructures routières adéquates. Or, les préalables à ce blocage passent avant tout par un assainissement du climat social entre les deux pays, par le renforcement de ce semblant de solidarité qui y existe tant du point de vue administratif qu’au niveau des populations, par la promotion de cette culture qui consistera aussi bien pour les Sénégalais que pour les Gambiens à prendre conscience de cette obligation que nous sommes condamnés à vivre ensemble.

Autrement dit désenclaver, c’est d’abord expurger les démons de la division, instaurer et valoriser la culture de la complémentarité qui seule constitue un gage d’impartialité dans la gestion du malentendu.

En effet, pour mesurer le niveau des tensions entre Sénégalais et Gambiens, il suffit juste  de passer par cette route. Pour une distance d’à peu près 400km, reliant le nord au sud du Sénégal,  il vous faut au moins 5 à 6 étapes (Kolda-Médina Wandifa communément appelé Carrefour ; Carrefour-Sénoba situé à la frontière ; Sénoba-Bac ; Bac-Keur Ayip ; Keur Ayip- Dakar ou à défaut Kaolack). Cette route s’appelle « la route des étapes ».  Entendez par étapes, les différents petits trajets effectués de part et d’autre des frontières des deux pays avec le lots d’évitements qu’il vous faut au risque de tomber dans les mailles de la police secrète Gambienne.

Vous m’excusez de ce cliché ; «  les Sénégalais sont loquaces ou en tout en cas ne savent pas interpréter un conflit alors qu’en Gambie, la démocratie a un autre nom qui s’appelle » « apprends à maîtriser ton langage ». Dans ce pays, la moindre lettre que vous prononcez est filtrée comme eau de puits  par la population qui est d’ailleurs devenue elle-même par la force des choses otage de sa propre liberté d’expression.

Tenez ce que vous lisez n’est pas une anecdote. Notre dernier voyage via cette route date du mardi 28 Janvier 2014 malgré le blocus en vigueur.  Entre Sénoba et Keur Ayip, nous avons été frappés par trois faits majeurs :

  • Cet instinct de réservation dont font montre Sénégalais et Gambiens au niveau des frontières. Les polices frontalières elles situées de part et d’autre surveillent comme du lait sur le feu la mobilité des personnes et se regardent en chiens de faillance ;
  • Le vide autour du bac dont toutes les activités  économiques sont au ralenti avec quelques poches de cantines qui décorent les extrémités de la route. En attendant l’arrivée du bac assis sur des chaises autour des  vendeurs de « Tangana » quelques passagers non sans être pressés échangent sur moult sujets ;

L’une des seules consignes que tous semblent avoir intériorisé, c’est qu’il faut éviter les sujets qui fâchent et parmi lesquels figure le cas transgambien.

  • A Keur Ayip, aux environs de la gare routière, des chauffeurs et coxeurs pressés d’entendre le rétablissement de cette situation qui n’a que trop duré, tentent par de petites réunions d’informations informelles de calmer les ardeurs d’une certaine frange de la population (conducteurs de Djiakarta) presque prête à violer le mot d’ordre.

Devant cette situation, toutes les oreilles sont avides d’informations,  la  moindre phrase est jugée intéressante et  analysée jusqu’au plus petit détail car toutes les deux parties attendent en réalité dans la plus grande impatience le dénouement.

Pourtant, me direz vous encore, il suffit d’avoir une légère  attention pour remarquer que vous êtes en territoire Gambien lorsque vous empruntez cette route. Concrètement, cela explique la difficulté de distinguer ces deux pays. Mieux, prenez la patience d’observer la publicité Gambienne, à travers ses effigies, ses décors, bref son expression quotidienne, vous êtes vite frappés par ce mélange de wolof quoi que très mal parlé à un anglais dit « Akou » et au Mandingue, le tout vous donnant l’impression d’écouter un nouveau dialecte qui s’invente chaque jour.

Mieux, l’historiographie traditionnelle basée sur des sources orales et les contes, montre que du 13e au 19e siècle cette ligne composée d’une partie de la Gambie (Le Kombo), de la Casamance (Le Kabada, le Fogny) et une partie de la Guinée Bissau étaient contenus dans l’empire du Gaabu.

Les populations composant cette aire géographique (Bainounks, mandingues, pépels, Diolas, peuls, Toucouleurs, Balantes ect.) formaient un « continuum de peuplement ». (Ngaidé, 1998).

En prenant toute cette mine d’informations en charge, la question principale qui nous vient à l’esprit est : Comment expliquer les véritables raisons de cette crise ?

      Pour en faire une esquisse, interrogeons l’histoire.

La Sénégambie : retour aux sources d’un projet d’intégration raté :

En termes d’éclairage conceptuel, ce que nous appelons « Sénégambie » n’est rien d’autre que l’association Sénégal et Gambie. Définition très simpliste à première vue mais qui par sa seule prononciation tente de créer la symbiose entre deux pays aux identités différentes (pays de colonisation française versus pays de colonisation anglaise).

Par devoir de mémoire, rappelons que d’après certains écrits dont celui d’Ibrahima Sarr, enseignant chercheur au CESTI, la question de l’intégration entre les deux pays a connu ses plus beaux jours entre 1958 sous l’égide de Mamadou Dia et 1980, soit 1an avant l’arrivée  d’Abdou Diouf à la magistrature Sénégalaise.

En déterminant un cadre juridique adéquat et en traçant les préalables à ce nouveau paradigme de coopération qui devrait sceller et veiller à promouvoir et consolider l’entente sénégalo-gambienne, ce que l’on nommera pompeusement la « confédération sénégambienne » devrait par respect aux spécificités historiques et socio culturelles des deux pays inaugurer un véritable « mariage de convenance »(Sarr).

Malheureusement, la volonté de maintenir ce dispositif de référence, tombera face au poids des divergences d’interprétations mais également avec les fluctuations monétaires (dévaluation du franc CFA en 1990, politiques d’ajustement structurel) notées au sein de presque tous les pays de la sous région. Avec ces changements parfois pris par l’occident de façon très subite, la plupart de nos pays n’ont pas su  trouvé des réponses adaptées aux nouvelles situations.

Dans cet  environnement marqué par le souci de protection, la Sénégambie ne pouvait connaitre que le déclin. Ainsi, la difficile survie de l’institution ajoutée aux épisodes frustrants entre les deux pays fait que les efforts de rapprochement jusque là menés butent toujours sur des pesanteurs soit administrative, soit à cause des crises récurrentes qui ont couronné l’histoire sociale des deux entités.

Autre raison non moins intéressante, c’est que dans le plus clair des cas, les différends qu’ils soient des incidents venant des populations ou de simples conflits d’interprétations qui se sont succédé entre les deux pays ont toujours été appréhendés sous un registre plutôt informel suspendant l’hypothèse d’un règlement définitif de la question  à des lendemains incertains.

Malheureusement, ce mode d’approche que nos autorités ont toujours privilégiée au profit de dynamiques de concertation plus souples maintient toujours le problème en suspens.

Aussi, le différentiel des intérêts y est pour beaucoup. Par exemple, sous le magistère de la CEDEAO, il y’a juste quelques deux à trois ans, des rumeurs relatives à la construction d’un pont en lieu et place du BAC circulaient dans l’optique de faciliter la fluidité de la circulation des personnes et des marchandises.

 Vraie ou fausse, cette information n’a pas encore résisté à l’épreuve du  bruit qui grouillait dans les couloirs.

Quoique noble, l’action n’a pas encore vu le jour. Cependant, récemment, il y’a encore juste  2ans, des observations sur les activités autour du BAC (petits travaux de réfections, suspension d’un nouveau BAC plus gros dans les eaux aux environs du passage, goudronnage des routes) pouvaient laisser présager une volonté   pour le gouvernement de Diamé de moderniser d’avantage l’offre de service autour du pole.

Pour boucler cette partie, une introduction d’Enda Prospectives Dialog_ues Politiques en partenariat avec Oxfam América (Avril 2003) nous servira de référence. D’après celle-ci : « L’histoire et la géographie de la Sénégambie (…..) Sont caractérisées par une double dynamique d’unification et d’émiettement ».

En creusant les sillons de cette crise, nous pensons qu’il est possible d’interroger plus loin  l’histoire des relations entre l’occident et l’Afrique en questionnant un peu la notion de frontière.

Les Frontières : lignes de démarcation ou symboles de discorde :

Apparue au XIIIe siècle, la notion de frontière avait une connotation purement militaire exprimant la ligne de délimitation qu’une armée définissait dans le cadre des opérations de guerre.

Au fil du temps,  à travers les siècles et suivant les groupes sociaux, elle est devenue cette ligne Maginot qui sépare les peuples, les cultures, les identités, les espaces géographiques avec ses barbelés, ses murs, ses polices, ses douanes frontalières. L’importance de ce nouveau dispositif de redéfinition  des territoires va plus que renforcer la notion de « nationalité », le sentiment d’appartenance à une entité géopolitique circonscrite.

Aujourd’hui, les historiens les plus circonspectes s’accordent sur l’idée que près de 1/3 des conflits ont une source transfrontalière ou sont simplement liés à une volonté d’expansion des groupes sociaux. A ce titre, les frontières constituent des barrières de protection, un véritable  contre courant à l’idéologie de la mondialisation qui pourtant défend sans hésitation le principe de la libre circulation des personnes et des marchandises sur toute la surface de la planète.

Qui plus est, cette situation constitue une autre insulte au label « sans frontières » qui fait florès (médecins sans frontières, reporters sans frontières, agronomes et vétérinaires sans frontières), ignorant par ironie la notion d’intégration sans frontières, première nécessité du moment pour les Africains.

Mais, en parlant de frontières, une certaine mémoire historique nous plonge dans l’ambiance même du partage  de l’Afrique morcelée en toute pièce par les puissances étrangères au 19e siècle.

Berlin ou la mauvaise conscience de l’occident :

Du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, l’Afrique fut partitionnée à la conférence de Berlin sans les concernés par les puissances coloniales sous l’initiative du grand Chancelier Bismarck émerveillé par les énormes potentialités et ressources en matières premières.

L’esprit de cette rencontre que les Africains devraient pleurer était de jeter les jalons du processus de pillage dont le continent sera victime avec la conquête coloniale, un véritable partage de gâteau entre les conférenciers qui à cette occasion inédite ont tracé les lignes et les  nouvelles cartes visant à délimiter les espaces attribués à chaque puissance pour éventuellement parer aux conflits de convoitise puisque tous les pays n’avaient pas le même niveau de richesses.

Dans un article du professeur Moussa Paye, historien de son état et intitulé : « Passé-Présent : La conférence de Berlin » in Afrique Démocratie n°16 Décembre 2012 page 44, nous avons retenu cette petite phrase : « Peu leur importe si les frontières artificiellement délimitées vont bouleverser la vie, les us et les coutumes des autochtones ».

Par conséquent ajoute t-il à la page 46 de la même revue: « Les querelles territoriales et les contestations de tracés frontaliers de la période des indépendances sont presque toutes tributaires du partage de Berlin. C’est pourquoi les présidents des nouveaux Etats ont, en créant l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), inscrit dans sa charte le principe de l’intangibilité absolue des frontières héritées en 1963 ».

Au 21 e siècle, l’une des plus grandes aberrations est encore de constater à l’image de Aminata Dramane Traoré, militante engagée du Mali que la colonisation et la balkanisation de l’Afrique sont toujours d’actualité, que le soleil des indépendances n’a pas encore illuminé nos sociétés, que la fable de l’émergence que l’occident nous miroite chaque jour à travers de fallacieux chiffres de croissance constitue un leurre.

Ainsi, nous ne prétendons pas donner des solutions définitives à la question transgambienne mais comme tout bon citoyen, nous pensons que son règlement définitif passe d’abord par la prise en compte et la maîtrise de plusieurs facteurs : socio culturels, économiques, anthropologiques bref par une analyse plus sérieuse de ce flou sociologique qui entoure la Casamance (compréhension des identités locales, des affinités de proximité avec les peuples de la zone).

Non sans saluer et apprécier à sa juste valeur la construction de la route du sud (nationale 6) qui va sans doute soulager bien des souffrances mais, notre conviction personnelle est que quelque seront les actions entreprises, l’un des baromètres du désenclavement de la Casamance  résidera dans le renforcement de la solidarité sénégalo gambienne. A cet effet, il convient de préciser que le tronçon Sénoba est une voie obligatoire eu égard aux relations entre Casamançais et Gambiens, ce que nous disons ici n’est pas qu’une certitude. Ceux qui penseront que le contournement, peut être une solution risquent d’être amèrement surpris. Pour preuve, l’histoire nous dira le dernier mot…………………………… Affaire à suivre.

Ghansou Diambang, Sociologue et Travailleur Social

Enda Santé Kolda : 77 617 48 12 ou 70 864 27 65

Email : gdiambang@koldanews.com

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