lundi, mai 12, 2025

MA VIE… Moustapha Diop «Gossando», Calligraphe de Reubeuss – «Karim est le seul détenu pour qui je n’écris pas…»

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L’homme tient à peine sur ses jambes, la démarche est titubante. Pantalon kaki bleu, Lacoste blanc crasseux strié de traits bleus et rouges, sandales aux pieds, la grimace au visage, binocle bien vissée sur le nez, stylos marqueurs débordent d’une poche, bout de carton entre les mains déboulent dans les coursives du populeux quartier de Rebeuss. Né vers 1960, à «Niaye Thioker» (Rebeuss quartier de Dakar), Moustapha Diop alias «Gossando», calligraphe de Rebeuss est une véritable bibliothèque ambulante quand il s’agit de parler de la vieille prison de 100m2 construite depuis l’époque coloniale. Pour L’Observateur, il remonte le temps et ouvre son carnet de bord. Confidences !

«Je me nomme Moustapha Diop alias «Gossando». Mon surnom me vient du fait quej’étais le plus grand danseur de salsa de ma génération. «Gossando» signifie «Réveillon». C’était l’expression le plus usitée pour parler des fêtes de Noël. C’est maintenant qu’on parle de fêtes de fin d’année. Je suis le calligraphe de Rebeuss. Je suis une ancienne gloire du Dial Diop sportif de Dakar puis de l’Union sportive de Gorée jusqu’à ma retraite en tant que délégué auprès de la ligue de Dakar. Je suis célibataire sans enfant et j’ai soufflé plus de 50 bougies. Je suis auxiliaire à la prison de Rebeuss où j’assure les services de calligraphe. Depuis près de 20 ans, je suis devant la porte de Rebeuss où j’écris les étiquettes qu’on place sur les repas et autres objets qui entrent à la prison. Car tout ce qui entre à la prison est bien identifié. Donc je me charge d’écrire le nom et le numéro de la chambre du détenu concerné. Et c’est ce qui m’a valu le sobriquet de «calligraphe de Rebeuss».

J’ai vécu de grands moments ici et j’ai eu des relations particulières avec d’anciens pensionnaires de la Maison d’arrêt de Rebeuss (Mar) qui ont beaucoup marqué ma vie. De la détention d’Abdoulaye Wade jusqu’à celle de son fils Karim Wade actuel pensionnaire de la cellule spéciale où était son père, beaucoup de personnalités ont défilé devant mes yeux.

«Les repas de Karim entrent directement de peur qu’il ait une intoxication»

Et pour la plupart d’entre eux, leur repas est passé entre mes mains jusqu’à la fin de leur séjour carcéral. Pour Me Abdoulaye Wade, je me suis toujours occupé de la rédaction de son nom sur ses repas, mais je ne lui ai jamais rendu visite. De même que Ousmane Ngom, Jean Paul Dias, etc. J’écrivais gratuitement pour leur famille. Pour son fils Karim Wade, au départ c’est moi qui écrivais pour lui. Mais à un moment donné, les autorités de la prison ont bloqué ce circuit et tout ce qu’on amenait pour Karim n’entrait plus, de peur qu’il ait une intoxication. Karim est le seul détenu pour qui je n’écris pas. Puisque s’il lui arrivait d’avoir des diarrhées ou le choléra, les autorités en porteraient l’entière responsabilité. Donc elles ont pris leurs dispositions et maintenant c’est son garde du corps ou son chauffeur qui amène directement sa nourriture. Je ne lui ai pas encore rendu visite. Par contre, pour Idrissa Seck, lorsqu’il a été muté à la chambre 36 avec Assane Farres et puis affecté à la chambre spéciale où il rejoindra Bara Tall et Salif Ba, j’achetais les journaux et faisais certaines courses pour eux. J’étais plus proche d’eux que d’Abdoulaye Wade. Avec les autres détenus de droit commun, j’entretenais d’excellentes relations. Les membres de leurs familles respectives étaient aussi mes amis. Et souvent, des détenus passent pour me donner quelques pièces de monnaie.

«Lors de l’évasion de la bande à Ino, nous avons été sommés de déguerpir comme des malpropres de la devanture de la prison»

Pour ce que je gagne par jour, je ne peux pas donner une somme exacte. Parfois, un ancien détenu peut me retrouver ici et me remettre une somme. A la prison, je dirais que je gagne un salaire minime puisque j’effectue un travail de bénévole. Le montant n’est pas fixé au préalable. Mon travail de calligraphe consiste à écrire sur un bout de carton le nom et le numéro de cellule du détenu. En retour, il nous remet quelques pièces. Cependant, il faut noter que c’est pendant les jours de fête comme la Tabaski, la Korité ou la Tamkharite que je bats toujours les records. Pendant ces périodes, durant la journée, je peux aller jusqu’à plus de mille exemplaires. Et ça fait une belle journée de pêche. En ces occasions-là, je rentre toujours les poches pleines.

Je n’ai pas une mémoire d’éléphant, mais j’ai une parfaite maîtrise des chambres de Rebeuss et de leurs locataires. Pour vous dire, je suis capable de réciter par cœur et pour la moitié des détenus dans quelle chambre ils sont. Mais, seuls les gardes pénitentiaires peuvent vous dire le nombre exact de chambres qui se trouvent à Rebeuss. Toutefois, il faut reconnaître que les chambres 9 et 10 du deuxième secteur sont les plus célèbres puisque qu’elles sont les plus proches de «l’enfer (sic)».

La chambre 9 est celle des caïds. Et la plus spacieuse des cellules est celle dénommée «Vip» (Very important personnality). C’est la chambre spéciale. Celui qui m’a le plus marqué parmi les détenus actuels, c’est Assane Tall qui se trouve à la chambre 43. Il me donne chaque fois de quoi acheter de la cigarette. Cependant, le jour qui m’a le plus marqué et que je n’oublierai jamais, c’est l’évasion d’Alioune Abatalib Guèye dit «Ino», Abdou Konté et compagnie. Ce jour-là, nous avons tous été chassés de la devanture de la prison alors que nous n’y étions pour rien. Nous n’étions même pas au courant de la mutinerie à l’intérieur de la prison et nous avons été sommés de déguerpir comme des malpropres.

Aujourd’hui, mon plus grand rêve, c’est de rédiger une œuvre autobiographique intitulé de « Un à trois».

Un (1) comme la porte du voyage sans retour de Gorée et trois (3) comme la porte du Millénaire. J’ai intérêt à renforcer ma culture et mon degré d’instruction pour mener à bien ce projet afin de permettre à la jeune génération de bien me connaître.»

L’Observateur

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