mardi, avril 23, 2024

Maintien d’ordre au Sénégal : Quand des armes non létales deviennent mortelles

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Les violentes manifestations que le Sénégal a connues entre le 3 et le 8 mars dernier ont été particulièrement marquées par le nombre important de morts et de blessés (11 morts et plus de 400 blessés). Des morts et blessés victimes de diverses armes (grenades et balles à blanc…), pourtant dites non-létales. Votre quotidien préféré «L’Info», a voulu en savoir plus sur ces outils de maintien de paix utilisés par nos forces de défense et de sécurité. Et ce que révèle nos recherches est effarant…

La première constatation est que ces armes (grenades lacrymogènes, les balles à blanc, les lances grenades, ou encore les voitures) viennent exclusivement de la France. Deux entreprises françaises se partagent quasiment tout le marché juteux. Il y a d’abord, la société d’armement et d’étude Alsetex, spécialisé dans la fabrication d’armes et de munitions, avec comme cœur de métier, la fabrication de produits de maintien de l’ordre. Elle fournit les services de sécurité français, mais aussi fait beaucoup d’exportations. Il y a également Nobel Sport, spécialisée dans l’industrie pyrotechnique, avec trois branches, dont une consacrée aux produits de maintien d’ordre et Sapl notamment pour les balles à blanc. Ces entreprises équipent les policiers et gendarmes français, mais aussi de beaucoup de pays étrangers, dont le Sénégal. Mais leurs activités d’exportation sont soumises à l’autorisation d’une commission interministérielle. C’est dire que toutes les importations d’armes de maintien d’ordre de la France par le Sénégal, sont bénies au préalable par les autorités françaises.

La redoutable grenade GM2L, classée «matériel de guerre»

Dans les opérations de maintien d’ordre au Sénégal, il apparaît depuis un bon moment des grenades GM2L du fabricant français Alsetex. C’est une arme redoutable, qui contient 48 grammes d’un produit explosif, 1,6 fois plus puissant que le TNT (43 g d’Hexocire, un mélange de cire et d’héxogène plus puissant que la TNT et 15 g de CS en poudre). Elle est trois à quatre fois plus puissante que la grenade GLI-F4 qu’elle remplace en France. Et pourtant, la GLI-F4 a été retiré en France à cause des dommages importants qu’elle a causés, notamment lors des manifestations des «Gilets jaunes». Le bruit GM2L dépasse les limites de la douleur sonore, car elle libère jusqu’à 165 décibels à 5 mètres d’intervalle, alors que le seuil de la douleur sonore est de 120 décibels. Et, selon les spécialistes, au-delà de 120 décibels, des bruits très brefs provoquent immédiatement des dommages irréversibles. Son bruit est beaucoup plus terrifiant que celui d’un avion à réaction au décollage, qui est de 125 décibel (à 20m).

Un bruit qui dépasse le seuil de la douleur sonore et celui d’un avion au décollage

Pire que le bruit, la grenade GM2L peut causer des dégâts physiques graves, des mutilations mêmes de la partie ou des parties du corps touchées. Et on en a eu l’illustration lors des dernières manifestations. A côté des mutilations, les éclats de la GM2L causent des blessures souvent graves, avec de grosses plaies ouvertes. D’ailleurs, la GM2L est tellement dangereux qu’en France où elle est fabriquée, elle est classée arme de catégorie 2, soit du «matériel de guerre». Et sa dangerosité fait qu’en Europe, seule la police et la gendarmerie françaises l’utilisent encore. Ce type de grenade, comme les autres de sa famille des grenades assourdissantes, sont en principe utilisées, quand celles classique manquent et en avant-dernier ressort, avant d’utiliser des armes à feu.

La gamme de CM…avec leur gaz CS qui peut causer de graves problèmes de santé

C’est la même entreprise française qui fournit les grenades lacrymogènes CM6, et ses prédécesseurs CM3 et CM4. Leur différence réside dans le chiffre qui accompagne la dénomination. Le CM6 libère à la lancée, 6 palettes en plastique qui vont rouler dans la foule, libérant l’agent actif lacrymal (gaz CS) qu’elles contiennent et produisant beaucoup de fumée. Le CM3 libère trois palettes et le CM4, quatre palettes. Très répandues chez nous, ces grenades ne sont pas sans danger pour la santé. Dans son rapport du 26 juin 2020, l’association de toxicologie-chimie de Paris alerte sur les conséquences sur la santé de ces gaz lacrymogènes même 6 heures après exposition (irritation oculaire, étourdissements, vomissements).

Elles sont très agressives également. Et ce n’est pas pour rien qu’elles sont utilisées par les policiers ou gendarmes, pour se défaire de l’étau des manifestants. Contrairement à leurs cousins, elles ont la particularité d’être lancées uniquement à la main. D’où d’ailleurs leurs noms de «dispositif manuel de protection» (DMP). Mais elles sont appelées aussi, «dispositif balistique de désencerclement» (DBD). A la lancée, et en explosant, elles provoquent une très forte détonation et libèrent 18 galets en caoutchouc ainsi que leur bouchon allumeur, dans un rayon d’une dizaine de mètres. Elles sont classées parmi les armes à feu. Même si elles sont considérées comme armes non létales, leur utilisation est très délicate, car elles peuvent blesser grièvement. C’est pourquoi ne le font que des agents spécialement formés à ça. Mieux, son utilisation n’est normalement autorisée que dans les conditions légales d’utilisation de l’arme individuelle du policier ou du gendarme (Pistolet 9mm). C’est-à-dire, en riposte à un tire sur les forces de l’ordre. Et elle doit être lancée suivant un code bien établi : au ras du sol, en direction de la cible ou des cibles. Sa dangerosité fait que son utilisation est interdite, sauf cas exceptionnel, dans un milieu non ouvert. Il est demandé aux forces de l’ordre de s’enquérir des conditions de santé des personnes interpellées et de les surveiller constamment, après l’usage d’une grenade de désencerclement.

Des lances grenades qui peuvent causer de graves blessures

La société Alsetex ne fournit pas que des grenades aux forces de défense et de sécurité sénégalaises. Il y a aussi les lances grenades. Lors des manifestations de début mars, on a vu défiler des Cougars et leur version moderne, Cougar multiligtht, Cougar 12, avec un dispositif de lancement monté sur une voiture et qui tire douze grenades à la fois. Visibles lors des manifestations de mars dernier, ces engins peuvent lancer des grenades jusqu’à une distance de 200 mètres. C’est cette arme qui avait éborgné un «Gilet jaune» lors d’une manifestation le 16 novembre 2019 à Paris.

Spartan 12/70, «Gomme cogne»…ces balles à blanc qui mutilent ou tuent  à faible distance

Tout comme les grenades, les balles à blanc ou balles en caoutchouc ont été largement utilisées par les forces de maintien de l’ordre. Et ce sont particulièrement des balles de calibre 12, de fabrication française également. Parmi ces types d’armes non létales, il y a le «gomme cogne» de l’entreprise Sapl. Une balle à blanc, qui projette de la poudre incandescente, et qui selon le fabricant lui-même, peut «infliger de graves blessures» si elle est tirée à bout portant. Mais il y a plus dangereux que le «gomme cogne». C’est le Spartan 12/70 de la société Nobel Sport sécurité. Sa balle en caoutchouc de 18 mm peut parcourir 200m par seconde. Elle est mortelle à moins de 5 mètres et très dangereuses à moins de 15 mètres.

Dans ce lots, il faut ranger aussi le lanceur de balles de défense (LBD 40), qui a la forme d’un fusil. Muni d’un viseur électronique, il tire des balles de calibre 40mm (un embout en mousse sur un support plastique), qui peuvent atteindre 50m. Ils sont utilisé pour neutraliser une seule personne. Mais  en France, une circulaire de 2014 interdit de tirer sur la tête et met en garde contre les «risques lésionnels plus graves» à moins de 10 m.

Les balles réelles, le dernier recours

Au sommet de la hiérarchie, il y a les balles réelles. Elles sont tirées à partir de fusil de précision et de pistolets automatiques. Dans les deux cas, elles sont utilisées en dernier recours, en riposte à des tirs  sur les forces de l’ordre, mais leur utilisation engage la responsabilité personnelle du tireur.

Mbaye Thiandoum, «Tout au Sénégal sauf le GLIF 4»

En dehors des constatations faites lors des manifestations, sur les vidéos et photos, pour être mieux édifié sur la présence réelle de ces types de grenades au Sénégal et sur leur utilisation par les forces de sécurité sénégalaises, nous sommes entrés en contact avec des sources au niveau des forces de maintien d’ordre. «On a tous ces types de grenades, sauf le GLIF 4», affirme un officier de police sous anonymat. Qui «confirme aussi ce qui est dit sur la grenade OF F1». En effet, précisant d’abord que «la OF F1 n’est plus utilisée», notre interlocuteur reconnait : « Il peut faire des dommages allant jusqu’à la perte en vie humaine, avec la cuillère, lors de la déflagration ». A la question de savoir pourquoi elle n’est plus utilisée au Sénégal, la source martèle : «pour les raisons citées supra». Cette grenade offensive fabriquée par Alsetex a été suspendue en France en 2014, après la mort d’un manifestant, avant qu’elle ne soit définitivement interdite par décret en 2017.

En plus de fournir les armes de maintien de l’ordre au Sénégal, à travers ses sociétés, surveillé comme du lait sur le feu par l’Etat, la France assure aussi la formation des unités de maintien d’ordre. «C’est notre formatrice en maintien de l’ordre, avec le Crs», note l’officier de police.

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