jeudi, avril 18, 2024

Parlons émergence ! Le PSE, un bon Plan en mal de communication

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Par Cheikh Ahmed Tidiane Sy

En lisant la contribution de M. le Premier Ministre en réponse au journal le Monde Afrique, nous pouvons confirmer sur la base des réalisations à mi- parcours et celles à venir, que le PSE est un bon plan de développement socio- économique pour le Sénégal. Les réalisations listées par le Chef du Gouvernement ont montré sans ambages la cohérence et la pertinence des différents axes du PSE.

Mais, faut-il le remarquer, le PSE souffre d’un problème de communication à l’endroit des populations quant à l’impact socio-économique des réalisations et les montages financiers qui sous-tendent ses différents projets. D’où la nécessité impérieuse de mener une communication corrective et faire de la perception du PSE une réalité économique.

Les politiques économiques initiées par nos Gouvernants ont été d’abord coloniales, puis d’inspiration néocoloniale multilatéraliste, d’obédience « FMI- iste et Banque Mondialiste ».

La dernière en date, le Plan Sénégal Emergent, a le mérite, en tant que vision et tout au moins dans sa conception originelle, d’être le fruit de l’inspiration d’un homme né après les indépendances, le Président Macky Sall, à travers son slogan de campagne, le « Yoonu Yokute » ou la voie de l’émergence.

Conçu pour atteindre l’émergence à l’horizon 2035, le Plan Sénégal Emergent (PSE) a l’avantage d’être trans-générationnel et de ne pas se focaliser sur la prochaine élection.

Toutefois, le PSE souffre d’un problème de communication qui dévoie souvent la perception des masses sur son impact actuel et futur dans le développement socio-économique du Sénégal.

Histoire d’émergence

Historiquement, les pays émergents se définissent comme les Etats dont le PIB par habitant est inférieur à celui des pays développés mais dont la croissance rapide et les niveaux de vie les font converger vers une économie de pays développés.

Les BRICS (l’abréviation de Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), des pays comme le Mexique, l’Indonésie ou les « dragons asiatiques » constitués par la Corée du Sud, Hong Kong, Taiwan, Singapour ont été historiquement considérés comme des économies émergentes, de même que les « Tigres Asiatiques » que sont la Thailande, la Malaisie, l’Indonésie et les Philipines. De toute manière, le point commun de toutes ces économies réside en trois principaux critères :

Des revenus intermédiaires compris entre 10 et 75% du revenu moyen de l’Union Européenne excluant du classement les pays dits riches et les PMA, les Pays les moins avancés

Une croissance rapide supérieure à la moyenne mondiale

Des transformations institutionnelles profondes et une ouverture économique

Depuis quelques années, des pays parmi les moins avancés au monde se sont donnés comme ambition d’atteindre l’émergence dans un horizon plus ou moins réaliste décliné sous forme de Plan. Parmi eux, le Gabon, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, pour ne citer que ceux-là, se sont projetés dans une démarche volontariste sous l’impulsion de leur Chef d’Etat respectif, en déclinant une vision et en la mettant en œuvre sous forme de Programmes de développement tendant à transformer structurellement leur économie pour atteindre l’émergence.

Le PSE est une déclinaison du Programme économique de campagne proposé par le Candidat Macky Sall lors de l’élection présidentielle de 2012 et qui lui a valu d’être plébiscité par les sénégalais en le portant à la tête de l’Etat. Ce programme appelé Yoonu Yokkute ou le Chemin du Véritable développement, n’étaient pas aussi élaboré qu’il apparait dans sa forme actuelle mais constituait plutôt une juxtaposition de vœux pieux à même de sortir le pays des méandres du sous-développement.

Aujourd’hui, le Plan Sénégal Emergent est devenu le Programme de développement économique et social de référence pensé et mis en œuvre par Macky Sall et son Gouvernement pour faire du Sénégal une économie émergente à l’horizon 2035. Considérée comme une panacée par ses défenseurs et critiqué par ses pourfendeurs, le PSE est aujourd’hui la voie tracée par les gouvernants pour mener le Sénégal à bon port.

Mythe ou réalité, cohérent ou dévoyé, les avis sont divergents en fonction du bord politique, du courant économique et parfois de la bonté de la foi des uns et des autres. Mais qu’en est-il réellement de l’impact socio-économique du PSE ?

Les déclinaisons du PSE

Le Plan Sénégal Emergent est un modèle de développement économique décliné sous forme d’une vision à l’horizon 2035 avec les objectifs stratégiques suivants :

  Une transformation structurelle profonde de l’économie à même de permettre la création de richesses et d’emplois, la promotion des exportations et l’attraction des investissements :

  L’amélioration des conditions de vie des populations en luttant contre les inégalités sociales

  L’Etat de droit basé sur la protection des droits et libertés et la bonne gouvernance.

Ces trois axes sont mis en œuvre par l’Etat du Sénégal selon un agenda différentiel et à des degrés divers de réalisation. Mais faut-il le noter, d’un point de vue purement économique, quoiqu’en pensent ses pourfendeurs, le Sénégal s’est lancé résolument sur les rampes de l’émergence.

La transformation structurelle de l’économie à travers une politique d’infrastructures et de promotion du capital humain

Il est courant d’entendre certains analystes circonscrire les réalisations du PSE dans les infrastructures tape-à-l’œil implantées dans certains centres urbains, notamment, le Centre International de conférence Abdou Diouf (CICAD), la finalisation de l’Aéroport International Blaise Diagne, l’autoroute Ila Touba, le TER, le stade omnisport Dakar Arena, l’arène de lutte, le pôle urbain de Diamniadio, etc. En fait, l’excès de communication des hommes politiques souvent proches du pouvoir sur ces réalisations et parfois leur tendance à mettre l’accent sur la « majestuosité » des infrastructures et non pas sur leur cohérence et leur impact sur l’économie du pays, ne joue pas en faveur d’une bonne communication institutionnelle du PSE. M. le PM a bien réussi son coup cette fois-ci.

En effet, sans revenir sur le caractère utile ou non des infrastructures qui à mon sens ne se pose pas, il faudra que l’Etat du Sénégal communique sur l’impact à court, moyen et long termes des infrastructures, notamment les effets induits durant leur réalisation sur la valeur ajoutée créée pour les entreprises locales, les emplois directs et indirects induits tant durant leur réalisation que pendant la phase d’exploitation.

Face à une communication axée sur la sublimation de l’infrastructure, les sénégalais sont parfois perplexes quant à l’utilité des infrastructures en lieu et place d’une communication axée sur :

  la cohérence des infrastructures dans les politiques visant la transformation structurelle de notre économie, termes souvent évoqué par les hommes politiques sans y mettre un réel contenu,

  la fonctionnalité et les impacts socio-économiques, actuels et futurs des infrastructures sur la vie des sénégalais.

A mon, avis, en tant que pays engagé sur les voies de l’émergence, les infrastructures jusque-là réalisées ne sont pas de trop du point de vue des retombées socio-économiques à moyen et long terme. Aucun économiste n’a en tout cas démontré de l’inutilité d’une des réalisations du PSE.

Les voix politiques qui s’élèvent évoquent parfois le caractère prioritaire et les coûts de réalisation des infrastructures. Là encore, seuls les managers de projets peuvent donner un avis technique pour démontrer de l’optimisation des ressources financières affectées aux différents projets et programmes.

Cependant, les structures en charge des différents projets (APIX, SOGIP, DGPU, etc.) gagneraient à améliorer leur communication quant au montage financier qui les sous-tendent. J’en veux pour preuve le TER où les chiffres avancés pour sa réalisation sont aussi variés qu’imprécis, ne donnant aucun détail sur le coût de l’infrastructure et la longueur du tracé couvert par les investissements. De 568 milliards avancés par le Ministre chargé du Réseau ferroviaire au 1200 milliards de l’opposant Ousmane Sonko, le sénégalais lambda ne sait pas à quel saint se vouer. A ce niveau, la communication institutionnelle a failli et le flou entretenu involontairement, à mon avis, ne plaide pas en faveur de l’Etat.

Il en est de même du montage financier de l’arène nationale (don ou prêt concessionnel) où nous avons noté une tergiversation des autorités qui se sont prononcé successivement sur le sujet.

La finalisation des travaux de l’AIBD sur financement turc et la concession qui s’en est suivie laisse perplexe le voyageur qui a payé pendant des années la taxe RDIA qui était censée financer l’aéroport sur fonds propres. Alors qu’une communication axée sur les surcoûts engendrée par la défaillance du premier contractant et la rupture de contrat qui s’en est suivie pouvait éclairer la lanterne des sénégalais et lever toute suspicion sur le montage financier de l’AIBD.

Ainsi, sans polémiquer sur l’utilité des insfrastructures qui, à mon avis ne se pose, c’est plutôt leur impact socio-économique et les montages financiers associés qui méritent une communication corrective. La perception étant la réalité.

Communiquer sur la lutte contre les inégalités sociales

A côté d’une communication dévoyée, les véritables réalisations su PSE font florés mais souffrent allègrement d’un manque de communication. M. le PM a évoqué le « travail de rattrapage infrastructurel, à travers les importants chantiers présidentiels d’aménagement et d’équité territoriale portés par un programme tel que le PUDC (programme d’urgence de développement communautaire) avec ses 500 kilomètres de pistes déjà réalisées, désenclavant 552 villages, 229 forages permettant l’accès à l’eau potable à plus de 300.000 ruraux, plus de 35.000 personnes pourvues d’électricité en milieu rural. »

Pour nous autres citadins et citoyens lambda, cela ne veut peut-être pas dire grand-chose mais avec l’amélioration des conditions de vie des ruraux (emplois, accès à l’eau, santé et à l’électricité), c’est moins de transfert d’argent pour nos parents restés au village, mais surtout, plus de fixation des populations dans leur terroir. Les réalisations du PUDC, PROMOVILLES et PUMA sont des soupapes pour la respiration de nos grandes villes déjà surpeuplées et inaptes à l’émergence au sens acceptable du terme tels que nous le constatons dans les dragons asiatiques ou les BRICS.

Tout n’est pas rose dans le PSE

Il est vrai que tout n’est pas rose dans le PSE, et on ne peut pas communiquer sur les points faibles. L’agriculture accuse un retard dans la transformation structurelle de notre agriculture pour en faire un véritable levier du développement économique grâce à la professionnalisation des acteurs agricoles, aux aménagements hydro-agricoles de grande envergure pour un Sénégal vert à l’image de certains pays comme le Maroc, l’Ethiopie ou le Ghana qui sont parmi les cinq pays les plus attractifs pour les investissements étrangers dans le secteur de l’agriculture. Les réformes de loi sur le foncier, la formation de nos agriculteurs et l’émergence d’une véritable culture d’entreprenariat agricole constituent encore les freins au développement de l’agribusiness dans notre pays. Le Plan d’Actions Prioritaires (PAP) 2019/2024 devra permettre de corriger ses imperfections pour un développement agricole harmonieux à l’échelle du pays et conformes aux standards internationaux en matière d’investissement agricole.

Le deuxième point faible du PSE réside dans le respect de l’Etat de droit basé sur la protection des droits et libertés et la bonne gouvernance. Sans rentrer dans le champ politique où nous notons des cas individuels de privation de liberté pouvant être considérés comme des actes politiques par certains ou de reddition des comptes par d’autres, mon argumentaire est plutôt axé vers l’émergence d’une véritable justice qui garantit la sécurité de l’investissement. Il s’agit là d’un grand chantier national sous l’impulsion des pouvoirs exécutif et judiciaire, des institutions religieuses et de la Société civile. Nos valeurs (ou contrevaleurs) sociales basées sur le « Masla » ou la corruption active ou passive ne plaident toujours pas en faveur d’une justice équitable.

Malgré tout et en dépit des considérations politiciennes, l’émergence économique est bien en marche dans notre pays. Nos hommes politiques de tout bord devraient plus parler économie pour une perception plus fine des actions menées pour nos populations pour que « le développement pour tous, le développement par tous » prônés par le Chef de l’Etat ne soit un vain slogan.

Notre développement n’emprunte pas forcément la même trajectoire que les pays occidentaux et nous ne sommes pas censés passer par les mêmes étapes que l’aurait voulu la France ou tout autre pays développé. Les attaques de la presse française à travers des reportages de chaines de télévision dévoyant les réalisations du PSE comme la création du Pôle Urbain de Diamniadio ou la centrale à charbon de Bargny dans le cadre du mix énergétique (coïncidence ou attaques ciblées) ou plus récemment l’article du journal Le Monde Afrique ne sont pas forcément crédibles et ne méritent parfois nullement qu’on s’y attardent. Nous attendons des économistes sénégalais des critiques objectives sur le PSE afin d’en détecter les imperfections. En effet, le débat n’est pas politicien, il est économique si nous voulons qu’il soit constructif pour notre pays.

Cheikh Ahmed Tidiane SY

Ingénieur Agro-économiste / Administrateur de sociétés

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