« La nuit, mes murs vibrent à cause de la musique, et le matin, je dois souvent nettoyer du vomi sur ma voiture ». Nouvelle Mecque du tourisme festif, Budapest est à son tour saisie de ras-le-bol face aux nuisances engendrées par le phénomène, comme en témoigne Dora Garai.
Avec ses dizaines de vols à bas coût quotidiens, ses pintes de bière à 1,5 euro et ses appartements à 30 euros la nuit, la capitale hongroise est devenue la nouvelle coqueluche de fêtards venus de toute l’Europe pour s’y défouler à petit budget, été comme hiver.
Au coeur de la métropole, l’ancien quartier juif s’est mué en centre névralgique de tous les excès, avec près de 800 bars, boîtes de nuit et restaurants concentrés en moins de deux kilomètres carrés. La moitié d’entre eux n’existaient pas il y a cinq ans.
Pour Dora Garai, une jeune commerciale de 32 ans qui a toujours vécu dans ce quartier au beaux immeubles 19e siècle, la mutation, plus brutale encore qu’à Barcelone ou Amsterdam, est devenue insupportable.
Outre le bruit, le vomi, l’urine et les détritus, les vendeurs de drogue et les prostituées font désormais partie de son paysage quotidien, relate-t-elle.
« Je ne m’imagine pas élever des enfants dans un cadre pareil », souligne la jeune femme, qui préside une association de résidents en colère. « On nous traite de rabat-joie, mais nous sommes juste des gens normaux qui veulent dormir la nuit », explique-t-elle.
Pas moins de 15.000 personnes habitent encore cet ancien quartier bourgeois jouxtant la grande synagogue. Mais 18% d’entre elles envisagent de déménager à cause des nuisances, selon une étude de l’université Corvinus de Budapest.
« Prêts à vous éclater ? »
Avec 3,5 millions d’arrivées l’an passé, le nombre de touristes à Budapest a pratiquement doublé en huit ans. Et la nature des visiteurs, jadis attirés avant tout par le charme désuet de l’ancienne « Paris d’Europe centrale », a profondément changé.
Selon Melanie Kay Smith, qui a conduit l’étude de l’université Corvinus, « l’alcool bon marché » et « la fête » sont aujourd’hui les principales raisons avancées pour expliquer un voyage à Budapest.
« C’est fou tout ce qu’on peut avoir ici pour aussi peu d’argent », confirme à l’AFP un groupe de Danois en goguette.
Autrefois cantonnée à quelques bars créés dans des immeubles à demi détruits, au cachet atypique, la vie nocturne du quartier a pris un tour industriel, certains établissements pouvant accueillir jusqu’à 2.000 personnes.
Et c’est armé d’un mégaphone, en pleine nuit, qu’un guide dirige un groupe de touristes vers une boîte: « Vous êtes prêts à vous éclater ? », hurle-t-il, avant d’expliquer à l’AFP que les riverains mécontents « n’ont qu’à déménager ».
Dora Garai et son association, qui compte pas moins de 1.000 membres, ne sont pas de cet avis.
« D’une part, beaucoup de gens habitent dans des logements sociaux et ne peuvent pas partir aisément. D’autre part, pourquoi devrait-on déménager juste parce que des gens viennent passer quelques jours ici à faire n’importe quoi ? », s’indigne-t-elle.
Situation « insupportable »
Avec la multiplication des locations d’appartements via des plates-formes internet, les nuisances ont pénétré au coeur même des immeubles.
« L’autre nuit, un Anglais ivre qui cherchait son appartement AirBnB a sonné à toutes les portes », témoigne un riverain excédé.
Dora Garai et son association ont multiplié les manifestations pour tenter de se faire entendre. Ils estiment que la municipalité doit créer une zone festive loin des quartiers résidentiels et instaurer une fermeture des bars à minuit, au lieu de 06H00 du matin actuellement.
Mais une telle mesure représenterait un manque à gagner considérable, estime Abel Zsendovits, patron du Szimpla Kert, le bar – établi dans un ancien squat en 2001 – qui a lancé la réputation bohème puis festive du quartier.
« La situation dans les rues est effectivement devenue insupportable », mais « des amendes pour incivilités, davantage de police, de nettoyage de voirie et de toilettes publiques » pourraient y remédier, juge-t-il.
Il assure que les bars financent déjà des patrouilles de médiateurs chargés de calmer les braillards.
La mairie de quartier a pour sa part évoqué la possibilité d’un référendum local sur la fermeture à minuit.
Mais sur fond « d’intrication du business et de la politique », Mme Smith doute qu’une telle mesure soit adoptée. D’autant que dans le quartier, un nombre croissant de logements désertés sont rachetés par des investisseurs pour les transformer… en locations pour fêtards.
Source: RTLMONDE