mardi, mai 14, 2024

Le Baccalauréat 2017 au Sénégal : Autopsie d’un diplôme fantôme (par Ghansou Diambang)

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« Je ne suis sûrement pas mieux placé que n’importe quel Sénégalais Lamda  pour constater que  le baccalauréat est dans notre pays  comme dans bien d’autres l’examen le plus sérieux eu égard à ses exigences notamment en termes de mobilisation de moyens financiers, techniques, humains et pour son énorme médiatisation. Cet investissement particulier  tant au niveau individuel, familial et social en dit long sur la valeur du diplôme qui par la force des faits  a fini par tomber  sous le coup de la banalité quand nos autorités échouent lamentablement à sécuriser ce qui doit déterminer l’avenir et l’image de la nation ».

Un peu d’histoire ; en remontant ses sources les plus lointaines, le mot viendrait de la locution latine « bacca laurea » ou « la couronne de laurier » c’est-à-dire la « corono triumphalis » ou couronne triomphale qui marque à la fois une  distinction honorifique et la gloire de celui que l’on appellera plus tard le bachelier, ce jeune noble aspirant à devenir chevalier.  Toujours en latin moderne on parlera de « baccalaureatus » (Titre ou statut qui nous élève au grade de bachelier accordé par l’université).

En effet, cette distinction hautement symbolique marque chez tout détenteur de ce précieux joyau une victoire, celle du passage de l’enfance de la connaissance à l’entrée dans la maturité intellectuelle.

Le baccalauréat pour tous ceux qui l’ont acquis reconnaissent et partagent au moins l’idée qu’il s’agit d’un diplôme qui incarne une dimension hautement symbolique, épique, plein de noblesse,  de fierté et qui loin d’incarner un récit de connaissances livresques nécessite une véritable maïeutique de  l’intelligence. Cette fonction sacrée, il le gardera pour toute la vie  accompagnant  tous les âges de l’apprentissage.

Preuve patente ; loin de boucler uniquement les cycles primaire, moyen et secondaire, le baccalauréat est conçu comme le premier grade de l’université.

A tort ou à raison, me dirait vous,  la répétition des fuites durant cette  épreuve fatidique comme le révèle l’expérience de cette année devient monnaie courante chez nous  et doit de surcroit  inquiéter et préoccuper tout un chacun dans la mesure où cette insuffisance que nos autorités trainent depuis belles lurettes et semblent apparemment  ignorer ou tenir à la légère va beaucoup influencer l’avenir de notre école. Elle pose déjà en  substance des   problématiques brûlantes dont la question de la sécurisation de l’environnement scolaire et l’efficacité du diplôme du Bac directement concerné et  désormais entaché de soupçons quant à sa validité. Rassurez-vous, cette chaine de justifications touche tout un faisceau de manquements que nous n’analysons pas profondément à leur juste valeur et qui comprennent trois points majeurs à mon avis :

  • Le premier point concerne l’absence d’alternatives face au mal être d’un secteur, celui de l’éducation en pleine crise dans un pays où l’Etat se targue d’affirmer que 40% de son budget est consacré à ce secteur d’une importance capitale. Or, si c’est le cas, il est alors temps d’affirmer que cette mesure manque d’efficacité et d’efficience car les moyens déployés ne sont toujours pas à la hauteur des attentes en termes de qualité de l’offre éducative.

Suite aux fraudes constatées presque pour la moitié des épreuves, tous les sénégalais parents d’élèves comme élèves attendent des clarifications sur les mobiles de ces dysfonctionnements qu’il faut fustiger.

Pour ceux qui ont bon souvenir, il y’a deux ou trois ans les troubles du milieu scolaire étaient imputées aux grèves intempestives des mouvements syndicaux, cette année tous seront d’avis que l’année a connu une réelle stabilité, un cycle normal, que nos enfants pendant 09 mois ont sacrifié à cette vieille tradition d’aller à l’école, mais que c’est l’Etat qui a fait faillite sur tous les plans.

  • Quant au second point, il a mailles à partir avec le déficit de leadership dans le management du secteur de l’éducation où  se télescopent erreurs, confusions voire  parfois des visions du monde  hors du contexte et des priorités des Sénégalais, cela à cause justement de l’instabilité institutionnelle du ministère en question et des régimes qui s’y succèdent.

Notre système est aujourd’hui pris en otage entre obligation de faire des résultats en matière de massification scolaire, une demande forte conditionnée  par  la communauté internationale,  les turbulences d’un mouvement syndical à bout de souffle, affaibli il est vrai mais se battant pour un plus grand respect de l’enseignant et la définition d’une politique claire dans le secteur de l’éducation. Quand tout semble relever de la priorité (lutte contre les abris provisoires, construction et équipements, valorisation du statut des acteurs, bref, adaptation aux mutations en cours), l’Etat est pris de panique, tenez le mot n’est pas fort il traduit simplement l’incapacité de l’institution à trouver une issue heureuse au mal qui le hante et se résigne à  proposer  juste des thérapies qui asphyxient le système en créant une relative accalmie.

Prenez la peine de demander à n’importe quel éducateur sérieux, vous serez vite frappés par ce lots de déceptions  qui l’anime (problème d’harmonisation du programme, qualité du recrutement, mode d’organisation des concours et tests, réformes non appropriées par les acteurs) tout cela révèle des mesures de  tâtonnements et  les séquelles d’une gouvernance clientéliste en proie à des réseaux et des lobbies toujours prêts à déstabiliser le système.

C’est pourquoi, cela ne fait aucun doute,  le  problème de la crédibilité du baccalauréat qui est à l’ordre du jour puise ses racines  dans un système  plus lointain gangrené depuis toujours  par la corruption, fragilisé par l’affairisme et le business. Imaginez un pays où tout se règle dans  les couloirs, tout s’arrange et se négocie entre connaissances, parents ou promotions.

Le slogan est clair ; renoncez à vos compétences et explorez surtout les réseaux car finalement tout tourne autour de l’humain qui comme le disait Protagoras est « la mesure de toute chose ».

Cette rhétorique pourtant malhonnête  a fini d’intégrer nos comportements, nos attitudes quotidiennes. En vérité, la malédiction du bac, le syndrome de la tricherie, deux défauts congénitaux parmi d’autres propres aux Sénégalais, on les  retrouvera dans tous les arcanes de l’administration y compris les concours généraux, professionnels, tout poste faisant l’objet de convoitises ou de compétitions. Excusez-moi de dire que le « Sénégalais n’est pas sérieux », il trouvera toujours malin esprit qu’il est des raccourcis à toutes les épreuves de la vie comme pour dire  que dans le pays de la « Téranga » désormais « Bac  kène Du Ko liggeye, Daniu Koy lidienté ».

Pourtant, une des conclusions phares des assises de 2007 concernait l’urgence d’une refondation de nos institutions obsolètes et la recréation de valeurs morales plus authentiques axées sur le « Diom » et le « Khersa », j’en passe.

En outre, prôner une société sans école friserait toute folie car une vie sans école nous réduirait tous en animaux, transformer non plus l’école en « une résidence surveillée », signifierait emprisonner la connaissance. Ces précautions ne doivent en rien  entamer notre volonté d’assainir le milieu scolaire envahi par une armada d’acteurs véreux, sans production valable.

  • Le dernier point dans ce diagnostic se rapporte à l’insuffisance dans la prise en compte des mutations, notamment celle de l’augmentation de la démographie scolaire (nombre de candidats), l’irruption des réseaux sociaux et d’internet dans les canaux d’apprentissage, un bonus technologique qu’il faut saluer mais qui doit être encadré et surveillé comme du lait sur le feu.

Difficile de l’accepter, mais nos Etats éprouvent d’énormes difficultés à assurer la transition et cette conjugaison entre le multimédia, l’accès massif des élèves aux inforoutes de la communication et la sécurité des toiles numériques.

Tous les cas de fuite passent par ces canaux que sont Watssap, Imo, Messenger ou face book, d’où la prise en compte du poids de la connaissance virtuelle sur la qualité des connaissances acquises.

Il est vrai que les réseaux sociaux constituent une des locomotives incontournables de renforcement des liens,  d’échange et de consolidation des valeurs mais,  leur contrôle échappe totalement à nos autorités et parents, ce qui explique l’intérêt de veiller à  la sécurité numérique qui demeure une des solutions pour veiller à ces dérapages mais pas l’ultime.

L’informatique est au cœur de l’éducation, en faire un module d’enseignement adapté à la citoyenneté,  l’Etat doit le faire et affiner une politique de formation et d’adaptation de tous les acteurs aux nouveaux réseaux, autre gage de succès pour accroitre son contrôle plus que nécessaire sur les flux d’informations.

 

Nous n’entendons pas nous positionner en donneur de leçons, mais l’Etat doit faire la situation sur ce problème, déterminer la chaine des responsabilités  en prenant les mesures idoines qu’il sied pour tranquilliser le sommeil de milliers de personnes qui sont déjà en possession du diplôme mais qui l’ont gagné avec la plus grande dignité.

La démission du directeur de l’office du bac n’en est pas une solution, il est juste question d’un tremplin pour retremper la bête du poil dans l’eau avec le prétexte de la noyer.

Cette déplorable situation plongera encore l’image de notre système éducatif ridiculisé aux yeux de l’occident, une aubaine de plus pour pénaliser les futures générations appelées à diriger ce pays.

Permettez-moi de rappeler ce constat assez édifiant du professeur Souleymane Bachir Diagne qui disait dans un entretien accordé à un journal de la place que : «L’école, c’est la fabrique du citoyen et de la société ».

Si l’éducation est un remède aux maux de la société, c’est que l’école constitue la meilleure politique sociale capable de construire une société où le mérite et le travail seront les seuls leitmotivs  de la réussite.

Réfléchissons messieurs et mesdames à l’école de demain car celui d’aujourd’hui a dit son mot qui s’appelle échec.

 

Ghansou Diambang, sociologue et travailleur social
Kolda : 77  617 48 12 ou 70 864 27 65
Email : gdiambang@yahoo.fr

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