samedi, avril 20, 2024

Cheikh Bamba Dièye : « Oui à la peine de mort si elle s’applique aussi aux délinquants financiers »

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La récurrence des cas de meurtres constatée au Sénégal depuis un bon moment a remis au goût du jour le débat sur le rétablissement de la peine de mort. Mais, selon le Secrétaire général du Front pour la démocratie et le socialisme/Benno jubël, l’application de la peine capitale n’aura de sens que si elle est infligée aux délinquants financiers. De même, dans cet entretien avec EnQuête, Cheikh Bamba Dièye est d’avis que l’opposition au régime du Président Macky Sall doit travailler pour proposer une alternative aux populations.

La multiplication des cas d’agressions et de meurtres sont des sujets de préoccupation pour les Sénégalais. Que faudrait-il faire pour juguler la criminalité qui prend des proportions inquiétantes ?

Il nous faut en priorité renforcer notre dispositif de sécurité. Aucune police au monde ne rechigne à faire des descentes de routine dans les quartiers, de réagir avec justesse et promptitude à tout appel de détresse, de procéder à une investigation scientifique poussée pour confondre les malfaiteurs, d’user des dernières technologies pour assurer la sécurité de nos compatriotes. La police sénégalaise ne fait pas exception à la règle. Elle a la volonté de bien faire. Elle a l’expertise adéquate mais elle ne peut agir avec efficacité parce qu’elle est dépourvue de moyens. Il lui est aujourd’hui impossible de faire correctement son travail. Il nous faudra en urgence trouver les moyens de multiplier par trois les effectifs de la police en leur octroyant des moyens à suffisance si nous voulons endiguer cette spirale de la violence.

Le meurtre de la dame Fatoumata Moctar Ndiaye a provoqué une vague d’indignation. Il a même amené certains citoyens à demander le retour de la peine de mort. Quelle est votre avis sur la question ?

D’abord permettez-moi de m’indigner devant ce crime odieux que rien ne pourrait justifier. J’en profite pour présenter mes condoléances à la famille de la victime et aussi à toutes les familles de personnes victimes d’actes crapuleux ces jours passés. Je comprends parfaitement l’émotion de nos compatriotes face à une telle barbarie. Lorsqu’un individu est capable d’un tel acte, il est légitime de s’interroger sur la pertinence de sa présence dans notre société. Pour autant, on raterait le coche si ce crime, ainsi que tous les autres commis, ne nous amènent qu’à réfléchir sur le rétablissement de la peine de mort. Même si elle demeure dissuasive, je ne crois pas qu’elle suffira à elle seule comme remède à la criminalité. Au jour d’aujourd’hui, le FSD-BJ n’est pas favorable au rétablissement de la peine de mort. Je souscrirai au retour de la peine de mort si, au préalable, nous corrigeons les imperfections dans les deux piliers de notre sécurité que sont la police et la justice. Je militerai aussi pour que cette sanction ne soit pas seulement réservée aux crimes odieux mais aussi qu’elle soit appliquée à tous les délinquants financiers à milliards.

Qu’est-ce qui, selon vous, explique ces cas de meurtres qui deviennent de plus en plus fréquents ?

La principale cause des violences dans ce pays se trouve dans la croissance exponentielle des inégalités. Vous ne pouvez pas faire cohabiter à l’intérieur d’un même territoire des gens qui n’ont aucune perspective d’avenir et d’autres qui ont une voie royale tracée, tout simplement parce que du bon bord politique, parce que de la bonne classe sociale. Ce n’est pas tenable et cela fait des années que je le dis. Tôt au tard, ça finit par des étincelles. J’avais espéré qu’avec la deuxième alternance nous prendrions ce problème à bras le corps, notamment en remettant la méritocratie au cœur de la République. Mais force est de constater qu’on en est loin malheureusement.

Cette situation est-elle liée aux politiques publiques surtout celles destinées à la jeunesse et à l’éducation ?

Forcément que c’est lié. On ne peut pas demander à l’Etat de subvenir aux besoins de chaque citoyen. Mais il a l’obligation de créer les conditions telles que, quel que soit le niveau social d’où l’on part, qu’on puisse envisager un avenir meilleur en y mettant du sien. Mais lorsque vous assistez à l’ascension sociale fulgurante de votre voisin avec l’impression que ce ne sera jamais votre tour car vous n’êtes pas du bon côté, il faut être très équilibré pour ne pas basculer dans un autre monde. Soyons clair, il ne s’agit pas de justifier mais d’expliquer. Nous minimisons depuis trop longtemps les inégalités et la croissance d’une caste de privilégiés. Il faut y mettre un terme sinon nous courons à la catastrophe. Plutôt que de penser à la peine de mort qui est une sanction suprême, attelons-nous dans un tel contexte à éduquer nos enfants, à former les citoyens, à les prévenir et à les dissuader de toutes velléités d’actes criminogènes. L’application de la peine de mort requiert beaucoup de préalables qui sont loin d’être réglés dans notre pays.

Quels sont ces préalables à l’application de la peine de mort ?

Commençons par rendre la présence policière visible et permanente dans la banlieue et dans tous les quartiers chauds du pays. Ainsi on avancerait dans la prévention des crimes et autres délits graves qui menacent la sécurité du Sénégalais. Bâtissons une justice forte, indépendante et diligente. Ce que nous n’avons pas encore réalisé au Sénégal. Rien que sur cette année, nous avons tous constaté la persistance de l’impunité dans notre pays. Les plus grands délinquants, ceux à col blanc, criminels et meurtriers, sont libres. En prime de ne plus être poursuivis par la justice, ils sont devenus les grands copains des dignitaires de la République.

Dans le cadre de la refonte du fichier électoral, le Gouvernement a entrepris la confection de nouvelles cartes d’identité et d’électeur. Seulement, l’opposition juge le processus lent et pense qu’on ne pourra pas enrôler le maximum d’électeurs d’ici aux prochaines élections. Que pensez-vous de ce débat ?

La première question qu’on doit se poser, c’est : pourquoi avoir eu un fichier numérique et biométrique comme on nous avait promis à 25 milliards ? Sept ans après, on revient pour nous demander de refaire le même fichier avec cette fois-ci un fichier multiplié par deux. La deuxième question, c’est : pourquoi avec l’ancien système, on avait des bureaux d’inscriptions dans tout le pays et à l’étranger, mais avec ce nouveau fichier qui coûte deux fois plus cher, on a cinq fois moins de bureaux ? En l’état où l’on parle, nous n’avons pas la liberté sur le temps. Nous avons des délais figés. Le premier, ce sont les élections législatives en 2017 et l’autre est une élection présidentielle en 2019. Au rythme où on inscrit les gens, lorsqu’on enrôle 70 personnes à Guédiawaye, vous vous rendez compte qu’à ce rythme, il faut au moins 1 400 jours. C’est largement de quoi dépassé 2019. Je me pose encore une autre question : pourquoi quelque chose qui était gratuit au début devient payable au bout d’un délai alors qu’il coûte deux fois plus cher ?

Ce paiement n’est-il pas un moyen de pression sur les Sénégalais adeptes de la dernière minute ?

Un Etat n’a pas intérêt à jouer avec les populations. Un Etat, c’est la solidité, la rigueur. Quand un Etat prend une décision, les Sénégalais doivent s’attendre à ce qu’elle soit appliquée. Sinon on installera dans le subconscient du Sénégalais que l’Etat n’a pas de décisions et il est capable de changer à tout bout de champ.

Ne pensez-vous pas qu’on peut toujours utiliser l’ancien fichier si on n’arrive pas à enrôler le maximum d’électeurs ?

C’est l’Etat du Sénégal qui a dit que le prix coûte cher parce que nous sommes pressés. Quelqu’un qui est pressé, je pense que s’il est responsable, aurait dû prendre en charge l’inéluctabilité des élections législatives en 2017 et celle présidentielle en 2019. Il ne peut plus revenir sur l’argument que si jamais cela ne marche pas, on pourrait se reporter sur autre chose. L’Etat ne peut pas dépenser de manière extravagante l’argent public pour ensuite raconter des arguments farfelus. Ce qu’il nous faut, c’est que nos dirigeants arrêtent d’instrumentaliser l’Etat du Sénégal, les moyens et les ressources de la République au profit de leurs calculs politiciens. L’opportunisme électoraliste n’est pas un moyen de construction de l’Etat de droit. C’est le lieu pour créer le délabrement et une instabilité chronique dans notre pays. Si à ce rythme on arrivait à organiser des élections avec plus de la moitié des électeurs qui ne sont pas inscrits, ceux qui se déplaceront dans leur bureau traditionnel et qui constateront qu’ils ne pourront pas voter auront tous les droits de se révolter.

Votre formation politique, le FSD/BJ, est un parti d’opposition mais n’est pas membre de la coalition Mankoo Wattu Senegaal qui regroupe pratiquement tous les partis d’opposition. Qu’est-ce qui explique votre posture ?

Nous sommes rigoureusement ancrés dans l’opposition mais nous avons fait le choix de ne pas faire partie de cette coalition. La raison principale est que nous étions membre d’une autre coalition d’opposition que des gens ont décidé de mettre de côté sans aucune raison valable. Personne n’ayant pris le temps de faire le bilan de cette coalition, il ne nous a pas paru pertinent d’intégrer cette autre coalition. Pour l’instant, le FSD/BJ trace son sillon en perspective des législatives. Je suis d’ailleurs en pleine tournée et sous peu, je commencerai à dévoiler le programme de notre parti pour proposer aux Sénégalais notre vision de la prochaine législature.

Que reprochez-vous à cette alliance ?

Je vous l’ai dit tantôt, je considère que pour rester crédible auprès de nos compatriotes, on ne peut pas se permettre de faire et défaire des coalitions sans véritable raison. Je crois qu’aujourd’hui, l’urgence, vu l’approche des élections pour une opposition, c’est de travailler d’arrache-pied pour mettre en place des systèmes politiques cohérents qui vont aller ensemble et proposer quelque chose de tangible aux populations du Sénégal. Ce sera notre préoccupation. Sur ce travail, nous sommes très ouverts avec toutes les formations politiques de l’opposition au Sénégal.

Mankoo wattu Senegaal porte plusieurs combats parmi lesquels la transparence dans la gestion des ressources naturelles. N’adhérez-vous pas à ce combat avec toute la polémique qui entoure la gestion du pétrole et du gaz ?

Bien sûr que nous partageons ces combats ! Ce n’est pas forcément incompatible. Nous n’avons jamais failli à défendre les intérêts des Sénégalais. Seulement, nous le ferons aux côtés des autres composantes de l’opposition et pas forcément à l’intérieur d’une coalition.

Selon vous, pourquoi le pétrole soulève-t-il tant de polémique alors que nous en sommes simplement à la phase d’exploration ?

Il est heureux que les questions soient soulevées maintenant parce qu’après, il sera trop tard. Notre continent a accusé beaucoup de retard parce que nos ressources naturelles ont été exploitées par d’autres. Notre génération a une responsabilité historique : faire en sorte que nos ressources naturelles bénéficient aux populations et au développement de ce pays. Il est hors de question qu’on se laisse spolier une deuxième fois.

L’Assemblée nationale a récemment procédé à la levée de l’immunité parlementaire du député Barthélemy Dias pour qu’il puisse comparaître dans l’affaire du meurtre de Ndiaga Diouf. Mais le fils de Jean Paul Dias dénonce une tentative de liquidation politique. Comment appréciez-vous cela ?

Le moins que l’on puisse dire est que le calendrier judiciaire est troublant. Il est curieux que cette affaire soit réactivée au moment où Barthélemy Dias est en froid avec la mouvance présidentielle. Mais qu’à cela ne tienne ! J’ai la conviction qu’il faut que cette affaire soit définitivement jugée. D’abord parce qu’il y a eu mort d’homme. Ensuite parce que c’est dans l’intérêt de Barthélemy Dias. Autrement, cette affaire pèsera éternellement sur lui comme une épée de Damoclès. J’espère tout simplement que les magistrats auront la hauteur d’esprit de s’affranchir du contexte politique et de faire honneur à notre justice.

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