vendredi, avril 19, 2024

[CONTRIBUTION] Tabaski ou analyse d’un phénomène social total

Ne ratez pas!

« Communément appelée fête du mouton, la Tabaski outre sa portée spirituelle connote pourtant une forte teneur socio-anthropologique, voire économique qui de fait n’épargne aucun des domaines de notre quotidien, un tissu de faits qui du reste mobilisent toutes les ardeurs religieuses et affiche surtout un sens élevé du vivre ensemble ».

Cette deuxième dimension relative notamment à la portée sociale de cette fête du sacrifice résume en substance ce qui fera l’économie de cet article. Auparavant, faisons un peu l’historique de cet événement.

Appelée également l’aïd-el-kébir ou fête du mouton, la tabaski dans son acceptation purement religieuse, une perspective que nous n’entendons pas analyser ici longuement et suivant les récits prophétiques qui constituent aujourd’hui la principale courroie de transmission de l’islam dans toutes ses dimensions aux générations nouvelles que nous sommes, traduit avant tout une dure épreuve, celle du sacrifice d’Abraham (Ibrahim) conformément au respect du sermon spirituel qui lierait tout croyant au tout puissant. Si nous nous abstenons de révéler tous les détails de cette histoire qui peut faire l’objet de plusieurs écrits, retenons pour l’essentiel cet extrait du coran  très édifiant:

[Abraham (Ibrahim) dit :] « Seigneur, fais-moi don d’une [progéniture] d’entre les vertueux ». (101) Nous lui fîmes donc la bonne annonce d’un garçon longanime (Ismaël). (102) Puis quand celui-ci fut en âge de l’accompagner, [Abraham] dit : « Ô mon fils, je me vois en songe en train de t’immoler. Qu’en penses-tu ? ». Il dit : « Ô mon cher père, fais ce qui t’est commandé : tu me trouveras, s’il plaît à Allah, du nombre des endurants ». (103) Puis quand tous deux se soumirent à l’ordre d’Allah et qu’il l’eut jeté sur le front (pour l’égorger), (104) voilà que Nous l’appelâmes « Abraham ! (105) Tu as confirmé la vision. C’est ainsi que Nous récompensons les bienfaisants ». (106) C’était là, certes, l’épreuve manifeste. (107) Et Nous le rançonnâmes d’une immolation généreuse [un bélier à la place de son fils]. (108) Et Nous perpétuâmes son renom dans la postérité : (109) « Paix sur Abraham ! ». (110) Ainsi récompensons-Nous les bienfaisants … (37. Les Rangés : 100-113 – As-Saffât)ran :

Une lecture minutieuse de cette révélation met au point quelques enseignements qu’il convient de partager.

Aussi loin soit-elle dans l’histoire, cette réalité traduit tout d’abord le sens de l’obéissance, du désir du fils d’accepter souffrance et endurance envers son père et toute personne susceptible d’incarner cette position, une situation qui nous oblige tous, actualité le recommande à réinterroger notre système éducatif plus proche dans un monde où toutes les sociétés promeuvent le modèle de l’enfant roi, choyé, chouchouté, craint à cause de cet arsenal de droits, véritables barrières qui parfois nous font oublier le sens de notre foi et le respect de la parole divine.

Question 01 : Quels liens établir entre nos modèles éducatifs aujourd’hui obsolètes, en quête de repères avec ce phénomène qui pourtant canalisera toujours nos regards ? Tirons ensemble toutes les leçons.

L’autre versant tiendrait au respect du sermon donné, de cette relation spirituelle, de quoi nous réconcilier avec nous même, renforcer notre foi envers Dieu qui d’après l’expression d’Abdenour Bidar est déjà en état de « crise et de déliquescence avancées ».

Question 02 : L’esprit de cette fête ne nous autorise telle pas à réinterroger notre foi, cette quête de sens qui nous conduira tous vers le paradis ?

Nous avons modestement voulu donner une deuxième lecture à travers ce scénario, la question de l’humanisation et de la place qu’occupent les animaux, nos concitoyens dans la vie de l’homme (remplacement d’Ismail par un bélier).

A ce titre, une petite digression nous permet de constater avec Grégory Bateson que l’ « individu se résume à l’ensemble des relations qui le lient à son environnement. Les conduites individuelles n’ont pas de sens en dehors du contexte et des processus concrets d’interactions » d’où tout le sens de l’ « écologie de l’esprit ».

Question 03 : Comment reconsidérer nos relations avec les animaux, l’environnement pour faire la promotion d’une écologie beaucoup plus humaniste respectueuse de toutes les formes de vies ?

Enfin, vertu, endurance, bienfaisance, voici les trois concepts que nous avons extraits ici et qui traduisent à notre avis des messages très forts à toute l’humanité, des denrées de plus en plus rares si vous scrutez l’assiette de nos comportements, une véritable contradiction avec nos pratiques de tous les jours tâchées de corruptions, de vols, de mensonges, d’arnaques, de détournements de deniers et de toutes autres formes de malhonnêtetés.

Question 04 : Quelles valeurs positives devons nous tirer de cette fête pour construire un modèle de société qui soit à la hauteur de nos ambitions ?

En effet, sur le plan purement sociologique la commémoration de cet événement obéit à un véritable rituel, celui des grandes retrouvailles pour des familles souvent dispersées par le phénomène de la migration qu’elle soit nationale ou internationale avec la mobilité à cause de la situation socio-économique générale et des difficultés de survie liées à la rareté, à l’accès à un emploi décent, et surtout au poids de la notion de solidarité qui voudrait que tout soit partagé avec les voisins.

D’ailleurs un des leitmotiv de cette tabaski repose sur le sens élevé du don et de l’échange qui n’ont pas qu’une explication religieuse mais encouragent fortement cette propension à incarner la bonté et l’ouverture d’esprit envers son prochain, un espace et surtout une forme circonstanciée de sociabilité, moment inédit pour renforcer ce que nos sociétés ont de plus cher à savoir les liens sociaux.

Par ailleurs, en interrogeant le miroir des représentations sociales locales vis-à-vis de cette fête, une certaine adaptation méthodologique nous soumet à une approche transversale mettant en relation les normes strictes en termes de respect de la tradition islamique et des facteurs connexes que sont la question économique ou financière, les valeurs traditionnelles.

Sur ce registre, rappelons le, le processus d’intégration de l’islam et des valeurs qui le sou tendent dans nos sociétés n’a pas connu une certaine violence particulière contrairement au colonialisme occidental. Mieux, il a été l’objet d’une assimilation assez intelligente de la part des dirigeants, des populations en général sans altérer profondément la sacralité des pratiques locales traditionnelles greffées sans conflit majeur aux diverses festivités musulmanes.

Sur un tout autre plan et faisant allusion aux facteurs économiques, tout porte à croire que les difficultés financières n’influent pas apparemment sur cette nécessité qui finalement s’impose aux pères de familles que nous sommes de trouver vaille que vaille le mouton à immoler et des habits décents quitte à s’endetter. Mais, comment dans ce cadre minimiser les dépenses que nous effectuons eu égards aux questions de survie qui de toute manière demeureront notre perpétuelle préoccupation ?

Voila pourquoi mis à part son caractère sacré, le mouton incarne ici dans l’imaginaire collectif un véritable prestige social et marque du coup une distinction dans le schéma de visibilité des individus, accroit leur aura dans le groupe social traduisant d’ailleurs l’expression « fête du mouton » qui implicitement ou non traduit l’obligation de s’en acquitter sous peine d’être la risée des voisins. Il y’a ici donc forcément une relation causale du point de vue de la perception extérieure entre la nature, le niveau des dépenses effectuées et le statut social accordé au père de famille.

Dans ce paradigme de l’apparence j’allais dire du voyeurisme, la question des moyens financiers semble reléguée au second plan comme pour dire que l’indigence ne saurait être un motif suffisant pour renoncer à cet acte hautement spirituel. Autre équation ; le sacrifice du mouton répond t-il à une exigence sociale ou est-ce le signe d’une obligation par respect à l’acte d’Abraham, père des croyants ?

Quoi qu’il en soit, la fête de la tabaski semble parfois ignorer l’état des poches, preuve patente de l’affluence des fidèles vers les « darals » qui en cette époque refusent de monde.

Mieux, dans bien des circonstances, Monsieur est obligé de s’accompagner de Madame si ce n’est une partie de la famille qui l’escorte car le choix du mouton constitue en soi un tout autre registre de courage, ne jamais déroger aux injonctions et goûts de la bien aimée qui dans bien des cas tient durant ces courts moments de bombance la locomotive des décisions.

Souvent de telles périodes et vous me dirait si c’est le contraire constituent des opportunités de réconciliation dans les relations de couples, de renforcement ou de redéfinitions des élans amoureux, bref écarter du schéma des alliances tout ce qui pourrait entacher les liens pour ne voir s’exprimer que le collectif car ces moments sont également conçus pour remettre les compteurs à zéro, se pardonner mutuellement, dans la parfaite sincérité, purifier les âmes, seule manière d’absoudre tout ce que nous avons comme pêché envers le voisin, le parent ou la simple connaissance en se souhaitant tous les bienfaits de la vie pour d’éventuelles retrouvailles.

Cette dimension souvent oubliée a son importance dans l’apaisement des relations surtout dans un contexte d’instabilité sociale généralisée où pratiquement tous les tiroirs et réserves de stabilisation (tradition et certaines valeurs cardinales) s’imposent difficilement laissant place à un individualisme à outrance, un monde en état de « désenchantement » (Max Weber).

Déroger à cette règle, c’est créer sa propre stigmatisation sociale et se confier à la politique de la main tendue. Cependant, même si cette situation persiste et prend de l’ampleur, elle est également le corolaire d’un tissu de solidarité très actif entre parents, entre bonnes connaissances ou à travers simplement des amitiés.

Par exemple, le foisonnement des petites sociétés de transaction financières privées (Wari, Joni-Joni, Western union, Ria) j’en passe, informe sur le poids des réseaux de solidarité et de l’entraide qui se matérialise par les petits mandats envoyés de tous horizons (intérieur comme étranger) pour signaler la marque de sa sympathie.

Sur le plan vestimentaire, les ateliers de couture n’ont pas fermé leur porte depuis bientôt un mois avec des veillées nocturnes. On se précipite vers cette date fatidique, une véritable course contre la montre pour espérer être dans les délais et satisfaire la clientèle.

Prudence et bon appétit.

Ghansou Diambang, Sociologue et Travailleur social

Enda Santé Kolda : 77 617 48 12

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