mardi, mars 25, 2025

Mamadou Lamine Keïta, Maire de Bignona: « Me Wade dit souvent que la politique de la chaise vide est une erreur à ne jamais commettre »

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Le maire de Bignona, membre du Bureau politique national du Parti démocratique, s’est prononcé sur la prochaine élection présidentielle de 2017 au Sénégal. Mais aussi sur la condamnation de Karim Wade. Selon lui, il n’y aura pas d’élection en 2017 au Sénégal. Entretien…

Monsieur le ministre, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) vient de condamner Karim Wade, candidat de votre parti à la Présidentielle de 2017. Quel est votre sentiment sur ce verdict ?

 Je suis indigné, comme beaucoup d’autres Sénégalais. Notre opinion sur la Crei ne variera pas. Ceux qui connaissent l’histoire de la Crei ont souvent rappelé que le Président Abdou Diouf, en succédant à Léopold Sédar Senghor, allait faire face à des barons du Parti socialiste qui se croyaient plus légitimes que lui dans le parti et dans l’administration sénégalaise. Certains rouspétaient tellement que les échos sont arrivés à l’oreille de Diouf. Pour ferrer ces responsables du Ps de l’époque, Abdou Diouf avait créé la Crie, comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Vous voyez donc qu’à la base, la Crei a été créée moins pour la reddition des comptes que pour des règlements de comptes politiques. Par parallélisme des formes, nous considérons que les motifs qui ont présidé à sa création sont les mêmes que ceux qui ont motivé sa réactivation. Seulement, entre 1981, date de sa création et 2015, plus de trente ans se sont écoulés. Aujourd’hui, faire juger quelqu’un par la Crei, ce n’est pas digne de notre démocratie, pour toutes les raisons que d’éminents juristes ont évoquées. Entendons-nous bien, tout le monde est pour la reddition des comptes, qui est une exigence de bonne gouvernance. Seulement, la reddition des comptes passe par un audit de la gestion par les corps de contrôle de l’Etat, qui sont animés par des agents assermentés, compétents et sérieux. Le cas échéant, s’il est fait état, dans la gestion, de manquements que l’auteur n’arrive pas à justifier, la justice est saisie pour des poursuites. C’est cela un processus crédible de reddition des comptes. Malheureusement, avec la Crei, nous avons autre chose.

Que répondez-vous alors à certains responsables de «Benno Siggil Sénégal», qui pensent que la Crei doit continuer les poursuites car il s’agit d’engagements pris par tous les candidats de leur coalition lors de la campagne de 2012 ?  

Il faut voir ceux qui le disent et pourquoi ils le disent. Vous savez, ces gens du système Ups-Ps sont avec le Président Macky Sall, tout en se préparant à lui faire face lors de la prochaine élection présidentielle. Il est dans leur intérêt de le couper de sa famille politique et de maintenir sa gouvernance dans une tension permanente. Ils feront tout pour l’isoler, l’affaiblir, avant de s’attaquer à lui. Tout le monde est unanime à dire que Karim Wade a gagné en estime auprès des Sénégalais. S’il en est ainsi, c’est parce que des millions de nos compatriotes, tout en étant favorables à la reddition des comptes, n’approuvent pas la démarche de la Crei. Ils l’assimilent à de l’acharnement. Quelqu’un qui veut aider le Président Macky Sall, avec honnêteté, ne peut pas lui demander de poursuivre une action désapprouvée, ne serait-ce que dans sa forme, par autant de Sénégalais.  Cette stratégie du Ps et de l’Afp, demandant au Président Macky Sall de poursuivre la traque, c’est la meilleure façon pour eux de l’affaiblir avant l’heure de l’assaut. Ils le poussent à utiliser le pouvoir qui est entre ses mains pour commettre des erreurs et s’aliéner le soutien d’une bonne frange de la population sénégalaise. Utiliser la force de l’adversaire contre lui-même est une technique connue dans les arts martiaux. Au demeurant, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse, qui tiennent de tels propos, n’ont-ils pas participé à la gestion des deniers de notre pays pendant les quarante ans du régime socialiste? Il se dit aujourd’hui que tous les deux, ils pèsent des milliards, sans qu’ils n’aient apporté de démenti. Quelle serait alors la provenance de ces milliards? A ce que je sache, Tanor Dieng n’est pas venu de Ngèniène avec des milliards, ni Niasse de Keur Madiabel avec des milliards. Il est trop facile de jeter l’anathème sur les autres. Si la Crei doit continuer les poursuites, il serait indiqué qu’elle s’intéresse aux cas des anciens barons du Parti socialiste car les deniers publics sous Senghor, sous Diouf, sous Wade comme sous Macky Sall,  ont la même valeur et l’exigence de rendre compte ne doit pas s’inscrire dans un seul intervalle temporaire. En vérité, ces gens qui ont vendu l’idée de la Crei au Président Macky Sall, sont habités par un esprit de vengeance contre Abdoulaye Wade, sa famille et son parti. Or, la vengeance n’a pas sa place dans une politique saine. Permettez-moi de vous raconter une anecdote. En 1999, Adoulaye Wade a délivré un message depuis Paris où il résidait. Dans ce message, qui a été repris par beaucoup de radios et de journaux, il disait que s’il remportait la Présidentielle de 2000, Abdou Diouf et sa famille ne seraient pas inquiétés. Quelques jours après son retour mémorable au Sénégal, il a reçu en audience les jeunes de son parti, que nous étions, à son domicile du Point E. Au cours de cette audience, un de nos frères du Meel lui a dit qu’il était contre toute idée de laisser Abdou Diouf partir sans répondre des torts qu’il a causés au Pds et à son Secrétaire général national, qui a été plusieurs fois emprisonné sans raison valable. Dans sa réponse, Me Wade lui a rappelé que la vengeance n’a pas sa place en politique. Il nous a dit qu’en réalité, lorsque votre successeur à la tête d’un pays veut se venger de vous, il trouve toujours des arguments pour atteindre son objectif, mais ce n’est pas ça l’essentiel. L’essentiel, c’est de répondre aux attentes des populations, qui vous ont vengé en enlevant votre prédécesseur pour vous mettre à sa place. Il a poursuivi en nous rappelant que beaucoup de crises qui ont secoué des pays d’Afrique sont dues à la peur des tenants du pouvoir de voir s’abattre sur eux la vengeance de leurs successeurs. Même en cas de défaite, certains s’accrochent et finissent par faire basculer le pays dans l’irréparable. Le Sénégal n’ayant pas besoin de cela, il fallait donc rassurer Abdou Diouf et ses proches. Moi, je suis convaincu que si Diouf a reconnu facilement sa défaite de 2000 et a appelé Abdoulaye Wade pour le féliciter, c’est parce qu’il était certain qu’il ne serait pas inquiété. Sinon, il allait hésiter, tourner en rond et faire vivre à notre pays des troubles préjudiciables.

Me Abdoulaye Wade a déclaré que Karim Wade reste votre unique candidat pour 2017. Il a également parlé de boycott ou de sabotage de la prochaine présidentielle par le Pds  si Karim venait à être privé de ses droits civiques. Trouvez-vous cela réaliste et responsable?

D’abord, vous parlez de 2017, mon analyse personnelle est qu’il n’y aura pas d’élection présidentielle en 2017. Il s’y ajoute que Karim n’est pas encore définitivement condamné. Nous attendons de voir. Cela dit, Me Abdoulaye Wade s’est prononcé conformément aux conclusions du Bureau politique transformé en congrès extraordinaire. Ce Congrès, qui a retenu la candidature de Karim Wade, parmi tant d’autres, n’a pas validé de plan B. Si Me Wade avait dit autre chose, il n’aurait pas raison car il n’est pas le congrès. Maintenant, je suis de ceux qui pensent qu’un grand parti comme le Pds, ne peut pas boycotter une élection au Sénégal. Me Wade dit souvent que la politique de la chaise vide est une erreur à ne jamais commettre. Ce qui peut être discutable et discuté, c’est la forme de notre participation à la prochaine présidentielle si Karim Wade était empêché. Allons-nous trouver un autre candidat au sein du parti? Allons-nous trouver des compromis et bâtir une alliance avec d’autres forces politiques de même obédience idéologique? Ce sont là, entre autres, les questions pertinentes à se poser avec lucidité et sans passion. Le débat doit être assez ouvert à ce niveau. Lorsque nous étions dans l’opposition, avant 2000, à chaque fois qu’on craignait pour la vie de Me Wade, celui-ci disait qu’on pouvait le tuer, mais des Abdoulaye Wade, il y en aura toujours car il était convaincu que les valeurs pour lesquelles il se bat sont suffisamment inculquées à des cadres, jeunes et adultes et aux militants de son parti. Karim Wade est un de ces cadres de notre parti, mais s’il était empêché, je reste convaincu qu’il existe au Pds ou dans la grande famille libérale, d’autres personnes capables de porter haut l’étendard du «Sopi», surtout lorsque le projet bénéficie du soutien de Me Wade. Comprendre cela, c’est éviter au Pds une absence totale à la prochaine présidentielle.

Vous dites qu’il n’y aura pas d’élection présidentielle en 2017. Pourquoi?

C’est le résultat d’une réflexion. A mon avis, la politique c’est aussi l’anticipation à travers la réflexion, sinon, on se trompe ou on se fait tromper sur le cours réel des choses.  Voyez-vous, le Président Macky Sall a annoncé un référendum prévu pour 2016. Au cours de ce référendum, les Sénégalais devront se prononcer sur la durée du mandat du président de la République, qui doit passer de sept à cinq ans, avec effet rétroactif sur le mandat en cours. Avant le référendum, le Conseil constitutionnel devra donner son avis sur les modifications devant être soumises au vote des Sénégalais. Pour ma part, j’ai essayé de réfléchir sur ce qui pourrait être la réponse du Conseil constitutionnel. En effet, Abdoulaye Wade a trouvé la durée du mandat du Président à sept ans. En 2001, il a soumis aux Sénégalais une modification constitutionnelle ramenant le mandat à cinq ans, mais sans effet rétroactif sur le mandat déjà entamé, qui devait aller jusqu’à son terme, c’est-à-dire sept ans. Il y a là une jurisprudence de 2001, qui consiste à ne pas faire rétroagir la nouvelle disposition. Macky Sall est élu alors que la durée du mandat est ramenée à sept ans. Selon ses déclarations, plusieurs fois répétées, il veut soumettre aux Sénégalais une modification ramenant la durée du mandat de sept à cinq ans, avec effet rétroactif. Si cela passait, on serait en face de deux jurisprudences : celle de 2001, qui rejette le principe de la rétroactivité et celle de 2016, qui l’accepte. A supposer que Macky Sall soit remplacé par quelqu’un qui croit au septennat et demande à soumettre aux Sénégalais une nouvelle modification pour faire passer la durée du mandat de cinq à sept ans, avec effet rétroactif, personne ne pourrait s’y opposer car nous aurions déjà une jurisprudence qui justifierait le principe de la rétroactivité. Si cette rétroactivité est acceptée, on donnerait l’occasion à un Président élu par les Sénégalais pour cinq ans, d’en faire sept. A mon avis, pour éviter, à l’avenir, d’engager notre pays dans une voie à plusieurs issues, le Conseil constitutionnel irait dans le sens de délibérer en faveur du maintien de la jurisprudence déjà existante, c’est-à-dire celle d’une modification constitutionnelle sur la durée du mandat du Président, sans effet rétroactif. Par conséquent, le Président Macky Sall ferait sept ans pour le mandat en cours. Je donne là un avis et le débat peut continuer.

Le Pds a connu une saignée depuis 2012 et le dernier départ en date est celui du Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye. A ce rythme, ne craignez-vous pas pour l’avenir de votre parti ?

Ce ne sont pas les départs enregistrés qui me font craindre pour l’avenir du parti. Vous savez, l’adhésion à un parti est un acte volontaire, tout autant que la démission. Le parti est comme un train, à chaque arrêt, il y a des passagers qui descendent et d’autres qui montent. Comme Souleymane l’a dit, lorsque quelqu’un a le sentiment que les réalités dans son parti ne lui permettent plus de s’y épanouir, la démission peut être une solution. Pour mon parti, j’aurais souhaité que tout le monde reste, mais le constat est là. Par contre, ce qui me fait craindre pour l’avenir du Pds, c’est l’état dans lequel se trouvent ses structures, et qui ne semble préoccuper personne. Les derniers vrais renouvellements datent de 1996. Il y a presque deux décennies. Depuis cette date, toutes les tentatives de renouvellement ou de réorganisation du parti ne sont pas allées à leur terme. Aujourd’hui, plus de 90% des responsables élus à la tête des secteurs, des sections et des fédérations, ne sont plus actifs ou ne sont pas les vrais animateurs à la base. A côté, vous avez l’émergence de nouveaux leaders qui se battent tous les jours pour maintenir le parti debout. Malheureusement, ils ont le sentiment que leurs efforts ne sont pas reconnus car il n’y a aucune initiative prise par le parti pour donner un caractère officiel et légal à leur position de leader. En l’absence de renouvellements, si représentatifs soient-ils dans leurs localités respectives, ils n’y sont pas encore les représentants légaux du parti. Cette situation, qui est source de frustrations, doit être corrigée le plus rapidement possible à travers des renouvellements démocratiques, pour encourager ceux qui se battent. La vérité au Pds, c’est qu’il y a des gens qui se disent responsables et qui n’ont pas intérêt à ce que des renouvellements se tiennent. Il s’agit de gens dont le bruit et les positions occupées dans l’espace du Pds sont inversement proportionnels à leur représentativité et à leur utilité pour le parti. Ces gens, qui ne font que roder quotidiennement autour de Me Wade pour influer sur ses décisions, ont subtilement bloqué toutes les tentatives de renouvellement des structures. Ils savent qu’ils disparaîtront de l’espace du parti le jour où celui-ci sera renouvelé et que chacun sera responsabilisé conformément à son travail. Ceux qui se soucient de l’avenir du parti sont interpellés et doivent prendre leurs responsabilités. Aujourd’hui, le Pds n’est vraiment fort que de son Secrétaire général national, qui est toujours dans le cœur des Sénégalais. Seulement, même s’il se dit prêt à se battre pour son pays tant qu’il lui restera un souffle, force est de reconnaître qu’il arrivera un jour où il devra prendre sa retraite politique. Seule une bonne organisation pourra alors combler le vide que créera le départ de Me Wade. Par conséquent, le moment de la réorganisation, ce n’est pas demain, mais aujourd’hui, pendant que nous avons le Président Wade à nos côtés. Il pourra disposer du temps nécessaire pour organiser lui-même les opérations, arbitrer les litiges, installer et accompagner la nouvelle équipe jusqu’à sa vitesse de croisière. Me Wade a annoncé la date du 8 Août 2015 pour la tenue du congrès ordinaire. Selon toute vraisemblance, les partisans du statu quo évoquent la bataille pour la libération de nos frères et sœurs en prison, qui serait incompatible avec une opération de renouvellement des instances du parti. C’est encore un jeu pour retarder l’échéance de l’indispensable mue du parti. Un grand parti comme le Pds doit pouvoir conduire plusieurs projets politiques en même temps. En vérité, ils parlent pour eux-mêmes. Le fait qu’il soit en prison, a-t-il enlevé au frère Karim Wade sa chance d’être choisi comme candidat du Pds à la prochaine élection présidentielle?

Avec l’Obs

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