mercredi, mai 1, 2024

La faim gangraine sous silence les paysans sénégalais, Reportage à travers le Sénégal

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C’est le groupe de travail du Forum civil sur la gouvernance dans le secteur de l’agriculture, qui a mis la puce à l’oreille des journalistes. « Il y a une situation gravissime en milieu rural», lit-on dans un document transmis à la presse la semaine dernière. Le procédé est fréquent. Un organisme sort un document par le biais de ses experts et certains médias, comme des caisses de résonnance, reprennent le travail abattu par le groupe d’experts. Toujours est-il que l’information est sur la place publique et s’affiche en gros caractères. Le Forum civil a le mérite d’attirer l’attention des autorités sur l’état actuel de la pauvreté dans le monde rural. D’après cette organisation non gouvernementale, 18,8% des ménages sont en insécurité alimentaire, soit 282.000 ménages. Sans se contenter d’avaler ces mots, L’Obs a fait le déplacement dans certaines localités pour constater de visu ce que d’aucuns assimilent à un drame rampant dans le monde rural. Kaffrine, Thiès, Kaolack, Louga, Diourbel …le constat est le même : la famine guette le monde rural.

THIES

Les paysans de Tivaouane crient misère

La voiture avale l’asphalte qui se déplie comme un tapis noir devant le panorama fuyant. La terre ferme offre un paysage désolant. Les champs asséchés se dressent à l’horizon, à perte de vue. Souvent un bœuf mort par-ci, une chèvre ou un mouton par-là ornent le décor de leur carcasse séchée par le soleil. Des arbres à l’ombre poussent dispersés dans ces localités du pays perdues dans le département de Tivaouane : Diama Thiendou, Ngueye Ngueye, Keur Ndiaga Mbaye, Khadan, Darou Ndiaye Samba, Mboufta, Deugueul, Daniar, Risso, Darou Gaye, Touba Kane etc. Ces villages agro-pastoraux de la communauté rurale de Koul, composée de 105 villages, manquent de tout. Après une mauvaise récolte, la faim s’est invitée dans les foyers. Les paysans crient leur misère.

Village de Diama Thiendou : « Macky Sall ne se préoccupe pas trop des paysans»

Situé à plus de 42 kilomètres de la ville de Thiès, Diama Thiendou, trou perdu dans le département de Tivaouane, est un village enclavé, difficile d’accès et niché dans la communauté rurale de Koul. Ici, le vent de l’harmattan a fini de dessécher les herbes. Des arbres communément appelés « Kadd» trônent dans les champs. La chaleur d’étuve est davantage plus accablante. Diama Thiendou s’étend comme un cimetière abandonné, comparé au centre urbain. Une multitude de bâtiments au chaume dégarni ravagent le panorama. Dans les rues, une meute de gosses crasseux de moins de 10 ans joue avec le sable. Devant la porte de sa maison, Badara Faye, engoncé dans un caftan de couleur vert olive larvé de pointillés noirs, tient un éventail à la main. A côté de lui, une radio à batterie grésille des sons presque inaudibles. Le soleil court triomphalement vers son lit. Petit à petit, l’horizon s’empourpre. Les derniers rayons du soleil fébriles et morbides charrient leurs faisceaux de lumière sur le village plongé dans un calme plat. Seul le chant plaintif des oiseaux qui regagnent leur nid trouble et martèle le crépuscule qui vogue à tire d’aile vers des lendemains qui s’annoncent incertains pour ce vieux cultivateur. « Les récoltes ont été mauvaises cette année. Certes, il a beaucoup plu, mais malheureusement les récoltes n’ont pas été bonnes. L’arachide, le mil et le niébé ont poussé et fleuri, mais ils n’ont pas produit. L’arachide n’a pas donné de graines. Les épis n’ont pas produit de mil. Les paysans de la localité partagent tous cette situation catastrophique. C’est comme si une calamité s’est abattue dans nos villages», dit Badara Faye. Le regard vitreux, le vieux paysan reprend son souffle comme s’il venait d’effectuer un marathon. Cette situation désastreuse a négativement impacté dans les ménages. « La famine s’est installée dans nos foyers parce qu’aucun paysan n’a de greniers dans sa maison. Aucun paysan ne vit aujourd’hui des produits de sa récolte. Nous n’avons rien gardé pour notre nourriture encore moins pour nos semences de la saison prochaine qui s’annonce. Les gens ont faim. C’est la misère totale», dit-il en opinant de la tête. Il pointe, avec un doigt qui tremblote, la petite boutique du coin. « On mange tous du riz que nous achetons à la boutique. Un paysan qui se nourrit exclusivement de riz, c’est anodin. Si on n’a pas encore crevé de faim, c’est grâce à nos enfants qui sont dans les villes et qui s’activent dans de petits commerces. Dès qu’ils ont un petit bénéfice, ils achètent un sac de riz et de l’huile qui nous permettent de tenir. Les cultivateurs sont très fatigués. Il n’y a rien dans nos villages», confie-t-il.

Nguer crève de faim…

A quelque 5 kilomètres de Diama Thiendou, encore dans les profondeurs de la communauté rurale de Koul, à moins de 8 kilomètres de Mékhé, le village de Nguer se dresse avec ses cases faites de vieilles pailles. Une route sablonneuse le relie des villages environnants. Aucune piste rurale. « C’est parce que la récolte de mil est mauvaise que les paysans n’ont pas eu de pailles neuves pour renouveler la toiture de leurs cases et leurs clôtures de maisons», fait remarquer Modou Fall, 1er vice-président de la communauté rurale de Koul. Assis à quelques mètres de la mosquée de Nguer, les vieux du village égrènent leur misère comme les perles d’un chapelet. « Aucun paysan ne peut sortir de sa maison le plus petit pot de mil, d’arachide ou de niébé. C’est pour dire que la situation est catastrophique», dit l’un d’eux. En écho, le vieux Saliou Mbaye, vêtu d’un caftan bleu ciel quelconque, bout de rage. « La faim a tellement gangrené nos foyers qu’on pense d’abord à manger que d’acheter des sacs d’engrais», hurle-t-il de colère.

OUSSEYNOU MASSERIGNE GUEYE

LOUGA

« La famine s’est bel et bien installée dans nos familles, on ne dîne pas, on mange des biscuits»

Beyti, village situé dans la communauté rurale de Kelle Guéye, ne mange plus à sa faim. Il est 13h17. Aucune senteur ne se dégage des concessions, dans les rues désertes, une ou deux personnes croisées semblent traîner comme des âmes en peine. Dans ce village, il n’est pas facile d’aborder le sujet de la famine. Alors, l’on joue de malice pour solliciter les services d’une dame spécialiste de la voyance. Mais c’est le père de famille, confortablement assis sur une chaise pliante à l’ombre d’un arbre au feuillage touffu, entouré de ses protégés, qui nous accueille avec méfiance dans la grande cour. Quelques minutes plus tard, le repas est servi. Au menu, du riz blanc, sans huile, sans légumes, un… poisson. Comme pour se justifier de la qualité du repas qu’il a servi, Moustapha Guèye, visiblement gêné, se justifie : « Cette année, nous traversons une période difficile. Les récoltes n’ont pas été bonnes. Nous joignons difficilement les deux bouts.»

L’on peut aborder le sujet sans gêner le maître des lieux. « Je fais partie des pères de famille les plus nantis dans ce village. Pourtant, je peine à assurer les 3 repas quotidiens. N’eût été ma femme, qui fait de la voyance, ma famille resterait des jours sans bouillir la marmite. L’année dernière à la même période, une forte quantité de denrées alimentaires était stockée dans mon magasin. Nous voulons rester dignes, sinon nous aurions tendu la main pour mendier. Mon jeune frère qui vit à Beul (village d’à côté), est plus touché. Parfois, à l’heure du repas, je partage avec lui le plat que j’ai préparé», lâche M. Guèye d’un trait. Prenant goût à la discussion, sa deuxième femme y ajoute son grain de sel : « La faim s’est bel et bien installée dans nos familles. Certes, pour le déjeuner, l’on se bat pour servir un plat acceptable, mais à l’heure du dîner, la plupart des ménages se contentent de biscuits ou de bouillie de mil. Parfois, c’est la bouillie de riz assaisonnée de jus de bissap. Nous n’avons plus de lait, car les animaux sont aussi affamés. Aujourd’hui, nous tentons de survivre». Comme à Beyti, les communautés rurales de Sakal (20950 personnes réparties entre 1804 ménages et 73 villages, sont touchées par la faim) et de Léona (22507 personnes répartis entre 2100 ménages et 73 villages font elles aussi face à un déficit céréalier).

La Direction régionale du développement rural (Drdr) de Louga avait sonné l’alerte depuis le mois de novembre dernier. En marge d’un Comité régional de développement (Crd) tenu à la gouvernance et consacré au bilan de la campagne agricole 2013-2014, cette direction, rendant public son rapport annuel, prévenait les autorités : « Dans presque toutes les communautés rurales de la région de Louga, le déroulement de l’hivernage suscite des inquiétudes à cause d’un retard dans l’installation des pluies. La majeure partie des semis a été observée à la 2ème décade du mois d’Août et les cumuls mensuels de la pluviométrie observés en octobre n’ont pas pu permettre une maturation complète du mil (85 jours pour boucler son cycle) semé à la 2ème décade d’Août, de l’arachide, qui a besoin de 90 jours. Seul le Niébé, qui peut boucler son cycle entre 45 et 60 jours pourra se retrouver avec une production, mais moindre par rapport à l’année dernière (…).»

ABDOU MBODJ

DIOURBEL

Pauvres de Ndiayène !

Ndiayène est un nom synonyme de pauvreté. Ce village est situé entre 3 et 4 kilomètres de Mbacké. Peuplé de quelque 1 000 âmes, ce patelin ne paie pas de mine, ces habitations sont faites de paille… Ici la famine guette, si elle n’est déjà pas installée sur les lieux.

Des marmots chétifs, ventre bedonnant rappelant les images de ces enfants atteints de marasme et de kwashiorkor de certains pays d’Afrique frappés par la malnutrition, jouent leur innocence dans les ruelles sablonneuses. Le regard hagard, les pommettes presque inexistantes, ces garnements affichent à suffisance la pauvreté qui semble y avoir implacablement implanté ses racines. Plus loin, des femmes chétives et mal fagotées, mais très braves, s’affairent autour des puits, histoire de puiser de l’eau, sous une chaleur suffocante. C’est sur ces entrefaites qu’un jeune homme d’environ 20 ans qui conduisait une charrette convoyant des bouteilles d’eau indique la maison du vieux Ndiaye.

Arrivée sur les lieux, la vétusté des galetas qui servent d’habitations à ce vieux, attire l’attention. Baye Ndiaye ne se fait pas de sang d’encre pour narrer sa peine. « C’est la période la plus difficile de l’année, parce que les greniers sont vides et l’hivernage tarde à pointer le nez», pleurniche-t-il, les yeux embués de désespoir. « Après la catastrophique campagne agricole, les vivres de soudures, on en entend parler, mais nous n’y avons jamais touché», martèle le sexagénaire qui porte un demi-saison blanc et un pantalon bouffant (Thiaya) de la même couleur. Naturellement, la question qui taraude l’esprit consistant à savoir comment font-ils donc pour manger à leur faim ? Le vieil homme assure que s’ils ont quelques choses à se mettre sous la dent, ils le doivent à leurs braves filles qui travaillent comme domestiques dans les villes environnantes, comme Mbacké, Diourbel, Touba, etc. Les garçons qui ont quitté le village depuis la fin de l’hivernage leur envoient de l’argent de temps en temps. Pis, parfois ce sont les restes des cérémonies familiales de Mbacké qui leur servent de nourriture.

Puis Baye Ndiaye laisse libre cours à sa rancœur. Son amertume à laquelle les politiciens ne sont pas étrangers. Pour lui, à l’approche des élections, ils sont nombreux, les hommes politiques qui leur promettent monts et merveilles. Des promesses dont ils ne verront jamais les fruits. C’est presque le même scénario avec les guides touristiques qui se servent d’eux pour épater les touristes. « Souvent, ils nous promettent de revenir ou de construire des infrastructures, mais c’est à croire que c’est juste pour nous endormir. Je crois même qu’ils se servent de nous pour soutirer de l’argent aux touristes», accuse Baye Ndiaye dont le discours a été interrompu par un plat de couscous à base de mil (thièré) accompagné de poisson. Il dit : « Vous voyez, c’est ce que nous mangeons matin, midi, soir.» Sort ne peut être plus triste que celui de Ndiayène.

MOUSSA SARR

L’OBS

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