jeudi, mars 28, 2024

Sénégal oriental : Ces pionniers du Sine qui voulaient transformer les Terres neuves

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40 ans après son expérimentation, que reste-t-il du peuplement des terres du Sénégal oriental ? En tout cas, outre le brassage culturel créé par le projet, des populations qui avaient accepté de braver la chaleur et la forêt ont réussi à être parmi les plus grands agriculteurs ou éleveurs de l’est du Sénégal. D’autres, visiblement nostalgiques des terres du Sine, sont rentrés tout en ayant un pied dans les Terres neuves.

Natifs principalement du Sine, dans la région de Fatick, les habitants des Terres neuves avaient débarqué dans le Sénégal oriental les mains vides. Certains y sont devenus millionnaires. D’autres ont échoué et ont rebroussé chemin. Méreto, un chef-lieu de communauté rurale du département de Koumpentoum, a été au cœur du déplacement des populations du Sine vers le Sénégal oriental en 1972. A cette époque, la localité était une petite bourgade d’une centaine d’âmes. Aujourd’hui, l’arrivée de nouveaux habitants qui viennent s’ajouter aux populations autochtones a donné à Méreto l’allure d’une ville. La majeure partie des concessions sont en dur. Mais la ville garde toujours sa vocation de capitale des Terres neuves. Pour cause, les populations vivent principalement de l’agriculture. En cette période d’hivernage, seuls les femmes, les commerçants ou quelques voyageurs sont visibles dans le centre-ville. Les autres populations ont envahi les périmètres agricoles. « On ne connaît que le travail de la terre », a confié Moussa Faye, un agriculteur.

A plus de 60 ans, M. Faye garde toujours en mémoire les années 1970 pendant lesquelles le président poète Léopold Sédar Senghor avait décidé de décongestionner certains villages du département de Fatick pour l’exploitation des terres agricoles du Sénégal oriental afin d’élever les rendements agricoles. « C’est grâce à Senghor que nous sommes venus dans cette zone. L’agriculture ne nourrissait plus son homme à Niakhar, dans le département de Fatick. Les litiges fonciers devenaient de plus en plus nombreux dans les villages. Cela a poussé le gouvernement à nous déplacer », explique Moussa Faye.

M. Faye fait partie des premiers citoyens qui ont accepté de débarquer dans le Sénégal oriental, suite à la décision du président Senghor. « Quand les missionnaires de Senghor sont venus, ils nous ont dit que le déplacement était volontaire et assisté.

Chaque citoyen était libre de se proposer volontaire s’il pense pouvoir réussir loin de ses terres ancestrales », souligne M. Faye. « Tout le monde était d’accord que nos terres n’étaient plus rentables. Mais certains avaient peur de quitter leur terre natale. Les sérères ne sont pas de grands voyageurs, mais nous étions convaincus que le déplacement s’imposait », ajoute-t-il.

 FAIRE ÉMIGRER 200 000 ACTIFS EN 15 ANS

Le constat de Moussa Faye cadre avec celui des autorités de l’époque. Selon Tidiane Tine, un professeur d’histoire et de géographie, natif des Terres neuves, un travail publié par la Direction de l’aménagement du territoire, basé sur des modèles synthétiques d’exploitation fixant des densités agricoles à ne pas dépasser en fonction de plusieurs hypothèses de revenus paysans, fait apparaître un surpeuplement minimum théorique actuel de l’ordre de 100 000 à 200 000 actifs dans le Bassin arachidier. Selon M. Tine, compte tenu de l’accroissement démographique, le rapport conclut à la nécessité de faire émigrer 200 000 actifs en 15 ans (soit 50 000 exploitations agricoles cultivant 360 000 ha). Ainsi, en application de la loi fondamentale sur le domaine national, les décrets n°72-043 et 72-045 du 25 janvier 1972 classent en zone pionnière les terres du domaine national situées dans les départements de Kaffrine, Tambacounda, Kédougou et Bakel.

Ainsi, un établissement public sénégalais, la Société des Terres Neuves (Stn), a été créé par une loi du 30 novembre 1971. « Cette société a pour objet d’élaborer des politiques globales de décongestion des zones denses, de peupler et de mettre en valeur les nouveaux territoires agricoles, de coordonner, d’exécuter ou de faire exécuter tous programmes, actions ou projets dans le cadre de ces politiques », informe M. Tine.

La Stn créée, l’Etat devait trouver des financements pour le démarrage du projet. Il a présenté à la Banque Mondiale un dossier de financement proposant le transfert de 1000 familles en 4 ans, dans un périmètre situé entre Koumpentoum et Maka au Sénégal oriental. Selon M. Tine, à la suite des premières évaluations, le projet fut jugé trop ambitieux pour la phase initiale et ramené à 300 familles à déplacer en 3 ans.

 100 ha par famille

L’opération a démarré en 1972 avec 40 familles installées en 1972, 110 en 1973 et 150 en 1974. Les colons sont répartis en 6 villages de 50 familles chacun. La zone de recrutement était limitée en première année à l’arrondissement de Niakhar. Ensuite elle a été étendue à l’ensemble du département de Fatick. Les familles transplantées sont en quasi-totalité d’ethnie sérère.

Justifiant le choix de la région de Tambacounda, des études avaient révélé que le potentiel agricole de cette zone est important. Selon M. Tine, les études proposaient la mise en valeur rationnelle et intensive de ces terres. « Le projet a donc été établi sur la base d’objectifs de développement relativement ambitieux : intensification et diversification des cultures », signale Tidiane Tine.

Pour aider les colons à s’installer, la Stn a donné à chaque famille 10 ha de terre cultivable, dont 2 ha sont défrichés mécaniquement et mis à sa disposition dès son arrivée. Chaque famille a aussi reçu une paire de vaches pour la traction, des machines et 40 000 FCFA d’indemnité de subsistance à l’arrivée. Selon M. Dieng, ancien agent de la Stn, les colons ont eu aussi la possibilité de prendre des crédits auprès de la Stn pour s’équiper en matériel agricole et en traction animale. Selon M. Dieng, des forages, des puits, des pistes en latérite reliant les villages entre eux ont été réalisés.

Au total, les volontaires ont été installés dans plus d’une dizaine de villages : Darou Salam 2, Keur Daouda, Diaglé Sine, Ndimbélane, Félane, Darou Fa11, Diamaguène, Touba Sine, Mereto, Koumaré, etc. Selon M. Tine, la population fut évaluée à 4088 en 1976, 9602 en 1982 et 7651 en 1987. « Cette vague d’immigration, d’abord organisée puis spontanée, a abouti à la création d’un espace sérère, dont les points forts sont les villages de colonisation qui s’étend également sur les villages autochtones. Depuis 1980, les migrations spontanées ont contribué à densifier cet espace initial, soit par la création de nouvelles maisons, soit par l’installation de personnes dans les carrés déjà existants », affirme Tidiane Tine.

Le peuplement des terres du Sénégal oriental n’a pas fait que des heureux. Certains ont réussi et d’autres ont échoué. « Nous avons des parents qui sont rentrés, parce qu’ils ont eu du mal à s’adapter à cause de la forte chaleur et de la rigueur des travaux champêtres », explique Gorgui Tine, un agriculteur des Terres neuves. Selon Tidiane Tine, 81% des 300 colons du projet pilote sont restés et ont été recensés en 1987, alors que seulement 67 % des 500 volontaires du second projet étaient encore présents à la même date.

« Cette mobilité des colons de la seconde vague est en général expliquée par les mauvais résultats agricoles et les problèmes d’équipement (rareté de l’eau par exemple). Ils ont été en partie remplacés par de nouveaux arrivants, mais pas toujours », explique M. Tine. « Des fortunes se sont constituées dans certains villages du projet 1 pendant que d’autres ont fait faillite et dépendent, par des emprunts, des plus riches.

En d’autres termes, l’inégalité économiques, très forte d’un village à l’autre et d’un producteur l’autre, tend même à s’aggraver », analyse M. Tine.

La réussite des colons a semblé créer une émulation. « Quand les premiers sont venus, ils sont repartis dans leurs villages après les récoltes. Certains se sont mariés en grande pompe. D’autres montraient leur puissance financière pendant les cérémonies. Cela a encouragé les autres à vouloir venir », ironise l’ancien agent de la Stn. « Les populations locales ont redoublé d’efforts dans le domaine de l’agriculteur, en augmentant leurs surfaces agricoles », souligne Abdou Khadre Dione, le principal du Cem de Bamba Thialène, une localité située dans les « Terres neuves ».

A Koumpentoum, l’agriculture fait d’heureux millionnaires

Sans tracteurs ni appui consistant de l’Etat en engrais et semences, des agriculteurs des Terres neuves, dans le département de Koumpentoum, gagnent entre 1 million et 15 millions de FCfa par an. Pour eux, le travail de la terre peut nourrir son homme au Sénégal. Toutefois, ils estiment que l’Etat doit mettre les moyens techniques et installer des infrastructures telles que des forages et des routes pour soulager les paysans des terres du Sénégal oriental.

La route en latérite qui relie Koumpentoun et Mereto, une communauté rurale située dans la région de Tambacounda a fini de subir des assauts des eaux pluviales. Du coup, des nids de poule perturbent la fluidité de la circulation. Le conducteur ne peut pas rouler à vive allure. Non loin de la route, l’herbe couvre le sol. Les arbres ont également retrouvé leur verdure. Les rivières sont bondées d’eau.

Au grand bonheur des petits bergers. Ceux-ci, en plus de soulager leur pâturage, se baignent. Certaines femmes trouvent leur compte dans l’abondance des eaux de pluies. Elles font le linge sur les pans d’eau.

Ce décor accompagne le visiteur qui quitte Koumpentoum pour rejoindre les villages de l’Intérieur du département du même nom, principalement dans les zones communément appelées « Terres neuves », jusqu’à la lisière des habitations où le décor est tout autre. Sur cette partie des « Terres neuves », les champs de mil, de maïs et d’arachide s’étendent à perte de vue. A l’intérieur des champs d’arachide, des cultivateurs en haillon enlèvent les herbes qui freinent la croissance des plants. « Nous sommes à la fin des travaux. Il ne nous reste que les champs d’arachide. Le mil et le maïs n’attendent plus que les dernières pour arriver à maturation », souligne un jeune paysan.

A l’intérieur du village de Ndimbélane, l’architecture des habitations renvoie à celle du Sine. Les familles résident dans des maisons aux grandes cases en paille clôturées avec des palissades. Cet ornement contraste un peu avec l’autre côté du village où habitent les populations autochtones composées majoritairement de peuls. Ici, les cases ont une forme circulaire et sont beaucoup plus petites. « Les routes séparent les populations des terres composées de sérères et les autochtones constituées de peuls », souligne un habitant de la localité qui s’empresse de préciser : « Les deux communautés vivent en parfaite harmonie et se respectent ».

En cette période d’hivernage, la majeure partie des hommes sont dans les périmètres agricoles. Seules les femmes sont visibles dans les concessions. Elles s’activent dans les taches ménagères. Elles les exercent difficilement. Elles n’ont pas de matériels d’allègement des travaux domestiques. « Nous pilons toujours le mil faute de machine. Pour préparer le repas, nous utilisons le bois », explique une femme, l’air désolé. L’électricité est absente dans cette partie des Terres neuves. Seuls les grands agriculteurs, à l’image d’El-Hadji Gorgui Tine, ont pu bénéficier de l’énergie solaire. « La production agricole m’a permis d’investir pour le bien-être de mes enfants », explique M. Tine.

Les explications du patriarche se lisent sur la configuration de sa maison. Trois grands bâtiments en tôles y sont construits. Les trois femmes de M. Tine y habitent avec leurs enfants. Un panneau solaire trône sur le toit de l’un des bâtiments. Des lits en bois rouge bien décorés sont installés dans les chambres. « Ce sont mes enfants qui ont tout acheté. J’ai investi pour leur éducation. Ils ont fait des efforts pour m’aider », confie-t-il, avec un air de fierté.

Tout en s’activant dans les travaux champêtres, El-Hadji Gorgui Tine n’a pas négligé l’éducation de ses enfants. Trois parmi ses fils enseignent dans des collèges d’enseignement publics du Sénégal tout en ayant les pieds dans le village. « Pendant l’hivernage, ils rentrent tous pour aider les parents dans les travaux », explique Abdou Khadre Dione, neveu du patriarche.

L’eau est aussi une denrée rare dans cette partie de Koumpentoum. Les mini-forages qui ont été construits assurent difficilement l’approvisionnement en eau. « L’eau est la principale préoccupation des populations. C’est le président Senghor qui nous avait encouragés à venir ici.

Il est parti, mais nous sommes toujours des citoyens sénégalais. Les gens ne doivent pas nous oublier. Nous avons besoin de forages opérationnels. Le problème d’approvisionnement en eau potable touche toutes les populations des « Terres neuves ». Nous souffrons énormément », se désole El-Hadji Faye, un habitant de Diaglé. Pour cet habitant, les problèmes d’eau ont entraîné une fuite de la main d’œuvre.

« Chaque année, nous accueillions des saisonniers qui nous aidaient à cultiver nos champs, mais ces derniers ne veulent plus venir ici, parce qu’ils sont obligés d’aller chercher de l’eau tous les jours. Ce travail épouvantable les a complètement découragés. Cela fait que nous n’avons plus de bras pendant l’hivernage. Cette situation a un impact négatif sur les rendements agricoles qui ont dégringolé », se désole notre interlocuteur.

MODERNISER LE MATERIEL AGRICOLE

La grande satisfaction des populations restent les rendements agricoles qu’elles jugent satisfaisants comparativement à la situation qu’elles vivaient il y a 40 ans de cela dans le Sine. « Nous avions d’énormes difficultés pour avoir des surfaces agricoles dans le Sine. Nos terres n’étaient plus fertiles », rappelle El-Hadji Gorgui Tine. « Certes nous vivons actuellement des difficultés, mais nous n’avons plus de problèmes pour nourrir nos familles.

Nos rendements agricoles sont généralement très bons. Si le gouvernement nous aide un peu en modernisant le matériel agricole, nous pouvons devenir le grenier du Sénégal », explique M. Tine. A titre d’exemple, le patriarche a cultivé l’année dernière 12 hectares de maïs qui ont rapporté 24 tonnes vendues à 4,5 millions de FCfa. Pour ce qui est de l’arachide, les 22 hectares cultivés ont rapporté 44 tonnes dont la vente des 30 tonnes à Touba a rapporté 5 millions de Fcfa. Le reste de la production constitue les semences et la consommation courante de la famille. Pour le mil, il a cultivé 10 hectares, dont les 2 tonnes de récoltes sont vendues et le reste est en stock. Abdou Faye, un enseignant habitant des « Terres neuves » dit gagner chaque année entre 1 million et 2 millions de FCfa dans l’agriculture. Pourtant, il fait remarquer qu’il peut faire mieux, s’il avait des saisonniers. C’est pourquoi M. Faye appelle les jeunes à retourner à la terre. Le même appel est lancé par El Hadji Gorgui Tine.

Mais l’un des plus grands agriculteurs des « Terres neuves » va plus loin. Il recommande le lancement d’un projet des « Terres neuves ».

« Je suis prêt à engager mes proches dans un tel projet. Je sais qu’ils ont la capacité de réussir. Seule l’agriculture peut sortir le pays de la pauvreté. Les jeunes doivent se mobiliser pour cultiver la terre », laisse-t-il entendre.

 

Reportage le Soleil (Babacar DIONE, Aly DIOUF (textes) et Pape SEYDI (photos))

 

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