« Vous savez, toute la famille est en thérapie actuellement pour surmonter le traumatisme », lâche Jennifer Cashman, encore des sanglots dans la voix trois ans après l’incendie qui a presque rayé de la carte la ville de Paradise, en Californie.
Cette mère de famille a quitté cet Etat américain, et a rejoint les rangs croissants des milliers de « migrants climatiques » ayant fui les feux de forêt qui dévastent régulièrement l’Ouest des Etats-Unis ces dernières années.
« Notre maison et notre commerce ont été complètement détruits » par l’incendie, qui a fait 86 morts et calciné près de 19.000 bâtiments en à peine une journée en novembre 2018, confie-t-elle à l’AFP.
« C’est arrivé si vite qu’on n’a pas vraiment eu le temps de sauver quoi que ce soit, à part nous-mêmes », explique cette mère de 47 ans.
Sur les conseils d’un ami, sa famille va visiter Stowe, petite ville du Vermont à 4.500 km de leur maison brûlée, et s’y installent grâce à l’argent de l’assurance dès janvier 2019.
« Quand le feu est arrivé, on savait qu’on allait jeter l’éponge, je ne pouvais plus vivre en Californie. On avait déjà été évacués à plusieurs reprises avant. Je n’en pouvais plus », souffle Mme Cashman, évoquant ses enfants terrorisés, âgés à l’époque de 5 et 7 ans.
Car c’est bien la peur des incendies qui a été selon elle « la principale raison » du départ. « La peur dès que vous sentiez l’odeur de la fumée. Et mon fils effrayé même si on allumait un feu dans la cheminée… »
Huit des dix plus gros incendies jamais recensés en Californie se sont déclarés depuis 2017. En 2020, le plus grand d’entre eux a détruit à lui seul 417.000 hectares, soit plus de trois fois la superficie de la mégapole de Los Angeles.
La Californie se trouve donc désormais confrontée à un phénomène qu’on associait jusqu’à présent aux atolls du Pacifique menacés par la montée des eaux ou aux zones arides des pays en voie de développement.
« Comme les feux de forêts provoquent des déplacements massifs de population et que ces incendies sont exacerbés par le changement climatique, je pense qu’on peut commencer à considérer ces déplacements à grande échelle comme un aspect des migrations climatiques », estime Rebecca Miller, chercheuse à l’université de Californie du Sud (USC) au sein du projet « West on Fire ».
« Il y a eu une énorme prise de conscience en Californie en voyant ces feux se produire encore et encore, et leur impact sur des endroits comme Paradise », dit-elle.
Selon le Centre de surveillance des déplacements internes, une ONG norvégienne, les feux de forêt ont déplacé en moyenne plus de 200.000 personnes chaque année au cours de la dernière décennie. Près de trois de ces déplacés sur quatre se trouvaient aux Etats-Unis, en grande majorité en Californie.
Les feux record de l’an dernier, qui ont consumé plus de 17.000 km² au total selon les pompiers californiens, ont provoqué le déplacement plus ou moins long de quelque 600.000 habitants.
« J’avais l’impression d’élever mes enfants dans une zone sinistrée. Tout était brûlé autour de nous », déplore Jessica Distefano, qui a fini par quitter le nord de cet Etat américain pour l’Idaho.
– « Toute la famille en thérapie » –
La plupart de ces nouveaux migrants climatiques délogés par les feux de forêt s’établissent relativement près de leur ancien domicile. Mais certains, particulièrement les personnes âgées ou les familles avec de jeunes enfants, peuvent traverser le pays à la recherche d’une vie plus tranquille.
Maria Barbosa, elle, « étai(t) bien décidée à reconstruire, j’adorais Paradise ». Mais elle a vite déchanté.
« Je suis septuagénaire, j’avais l’intention de prendre ma retraite à Paradise. Et j’ai vu ce que ça demandait pour une femme seule, c’était tout simplement trop », confie-t-elle.
« Beaucoup de mes amis qui ont mon âge ou plus choisissent d’aller ailleurs », ajoute-t-elle.
Maria a jeté son dévolu sur une zone aride de l’Idaho, à un bon millier de kilomètres de Paradise, où elle ne risque plus de subir des feux de forêt.
« J’apprécie d’y retourner de temps en temps mais je ne pense pas que je pourrais vivre de nouveau (à Paradise). Je ne me sens pas à l’aise, c’est comme une menace constante… Dès qu’il y a du vent ou l’odeur de fumée, ça revient », dit la septuagénaire.
Ces sinistrés ne sont pas des cas isolés.
« On voit des signes montrant que les foyers se rapprochent du point de bascule où ce qui les enracine à un endroit, comme la famille, le travail, les loisirs… ne fait plus le poids par rapport à l’impact des incendies et de la fumée », résume Nina Berlin Rubin, chercheuse à l’Université de Stanford sur les comportements humains liés aux feux de forêts en Californie.
« La migration est une stratégie d’adaptation parmi de nombreuses autres pour réduire son exposition à ces risques », explique-t-elle.