mercredi, avril 24, 2024

Entretien avec Abdou Elinkine Diatta, porte-parole du MFDC

Ne ratez pas!

Dans le contexte actuel, c’est le silence des armes qui règne en Casamance. Connue pour ses violents combats entre l’Armée sénégalaise et les combattants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance, la région a connu une accalmie depuis quelque temps. Seulement si l’on se fie aux déclarations du porte-parole du Mfdc, la volonté d’obtenir l’indépendance est toujours d’actualité. Même si les méthodes pour la conquérir ont changé. Abdou Elinkine Diatta, qui a troqué sa kalachnikov contre une guitare, va même jusqu’à dire qu’il n’y a jamais eu de négociations sérieuses entre son mouvement et l’Etat du Sénégal. Et il lance un appel à l’Etat pour des pourparlers sincères à l’Etranger.

Monsieur Abdou Elinkine Diatta, vous êtes le porte-parole du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance, comment se porte aujourd’hui le Mfdc ?

Le Mfdc se porte bien. Je dirai même qu’il se porte très bien. Nous communiquons tous les jours. Les journalistes qui sont ici en savent quelque chose. Nous menons nos activités tranquillement. Tout va bien, en résumé.

Un retour de la paix a été noté depuis quelques temps, est-ce une option définitive pour le Mfdc ?

Effectivement. D’ailleurs, nous n’avons jamais choisi le langage des armes. Qui connaît bien l’idéologie du Mfdc, sait qu’au départ, il s’agissait d’une marche pacifique. Les manifestants n’étaient pas armés. Mais ce sont les forces de l’ordre qui ont tiré sur ces manifestants non armés qui ont créé cette guerre. Ce qui signifie que le Mfdc ne voulait pas de la guerre ;  que la guerre lui a été imposée. Parce qu’après les tirs des forces de l’ordre, il y a eu des arrestations. Ce qui avait été à l’origine de cette situation de violence. Mais, nous n’avons jamais voulu de cette guerre. Ce que nous voulions et que nous réclamons toujours, c’est l’indépendance de la Casamance. Nous sommes très clairs là-dessus. Mais pas avec les armes.

Donc, vous n’avez toujours pas renoncé à cette idée d’indépendance ?

Il faut savoir que ce que nous cherchons et que nous avons toujours cherché, c’est de s’asseoir au tour d’une table de négociations à l’Extérieur pour parler de cela. Mais cette option n’agrée pas l’Etat (…)

Pensez-vous sérieusement que cette indépendance est possible, au vu de toutes ces négociations qui ont fini par capoter ?

Je suis bien placé pour vous dire qu’il n’y a eu que des semblants de négociations. Foundiougne a été une belle farce. Moi, j’étais, ce jour-là,  au Palais de la République du Sénégal et les gens ont voulu m’amener de force à Foundiougne. Mais, j’y avais opposé un niet catégorique. Parce que ce n’est pas qu’on nous avait dit en venant à Dakar. On nous avait seulement expliqué que des cadres casamançais devaient rencontrer le Président Abdoulaye Wade et que l’abbé Diamacounde Senghor devait assister à cette rencontre. Comme j’étais le porte-parole du Mfdc, je me suis rendu au Palais avec l’abbé Diamacoune. On nous avait logés dans un grand hôtel, avec tout le luxe. Et après la rencontre, ils ont voulu nous embarquer pour Foundiougne. Je leur ai dit que ce sera ma dépouille qui y sera alors, parce que j’avais constaté que la démarche des tenants du pouvoir de l’époque était louche.

Donc, vous savez quelque chose de ce qui s’est raconté dans le livre du colonel Abdoulaye Aziz Ndao ?

J’ai eu à répondre à cette question quand on m’a interpellé sur le colonel Ndao. J’avais dit que le Colonel avait effectivement raison. Il y avait bel et bien des mallettes d’argent qui circulaient en Casamance. J’étais le premier à dénoncer cela. Et Dieu merci, le Président Wade m’a confirmé par la suite. L’ex-ministre Farba Senghor aussi. Donc, le Pouvoir de l’époque a confirmé ce que je disais.

Mais comment le Mfdc qui réclame son indépendance à l’Etat du Sénégal peut recevoir de celui-ci des sommes colossales. N’est-ce pas de la corruption qui renseigne sur les convictions de ses soi-disant indépendantistes ?

J’ai toujours fustigé ce comportement de l’Etat du Sénégal. En plus, ce que l’Etat du Sénégal ignore, c’est que ces chefs de guerre à qui on donne l’argent l’utilisent pour s’armer davantage. C’est avec l’argent que distribuait Me Abdoulaye Wade dans le maquis que beaucoup se sont réarmés. J’ai eu à le dire et à l’époque, ça ne plaisait ni au Mfdc ni à l’Etat du Sénégal, mais je disais ce que je pensais. Parce qu’en voulant corrompre le mouvement, l’Etat n’a fait qu’armer le mouvement. Finalement le mouvement est devenu si puissant et presque incontrôlable.

L’argent circule toujours dans le maquis ou pas du tout ?

J’ai dit que je n’étais pas d’accord avec cette méthode de remettre de l’argent à chaque branche du Mfdc. C’est d’ailleurs ce qui avait expliqué la multiplication des cantonnements. Au lieu de faire taire les armes, cet argent menaçait la paix. Et allait a contrario de l’option du début  qui est la lutte pacifique. Au risque de me répéter, je rappelle que la violence nous a été imposée. Nous n’avons fait que répondre. C’était de la légitime défense. Malheureusement, il y a eu des exactions des deux côtés. Nous ne voulons pas de la guerre (…)

Que pensez-vous de la nouvelle politique du chef de l’Etat de vouloir désenclaver la Casamance avec l’arrivée de deux nouveaux bateaux, les infrastructures routières etc.

Quand j’ai entendu le chef de l’Etat du Sénégal dire qu’il va faire de la Casamance une sur-priorité, ça me fait rire. C’est lui aussi qui disait qu’on pouvait aller jusqu’à la planète Mars pour discuter. Personnellement, je lui dis qu’on n’a pas besoin d’aller jusqu’à la planète Mars pour discuter. Le Sénégal n’a même pas ce budget. Nous l’invitons juste à aller à l’extérieur, en France ou ailleurs, pour discuter. Autre chose, il parle de pôle de développement. Nous disons oui pour le développement, mais non sans le Mfdc. Personnellement, je lui ai adressé plusieurs lettres sur cette question, mais il ne m’a jamais répondu. Pourquoi il ne se prononce pas sur cette question ? Si l’appel à ce développement était sincère, il allait saisir cette occasion (…)

Peut-être une façon de vous obliger à renoncer à vos revendications ?

Ça ne changera rien aux revendications. Le développement est un droit. Dans les revendications, il y a du tout. Il n’y a pas que l’indépendance. Il faut aussi réduire les inégalités. Le Président nous propose même un programme de développement pour la Casamance. On peut l’accepter, mais à condition qu’on sache où va réellement ce développement. Ça ne peut pas se faire sans nous. Réclamer sa part du développement de la Casamance ne veut pas dire renoncer à l’indépendance. Il faut que ce soit clair, le développement est un droit. On dirait qu’il fallait attendre qu’on s’entretue pendant 30 ans pour qu’il réalise qu’on a droit au développement. Que la Casamance a du potentiel.

Vous condamnez la démarche du Président Sall, mais il n’a fait que suivre le pas de ses prédécesseurs…

J’ai toujours condamné les démarches de ses prédécesseurs (Abdou Diouf et Me Abdoulaye Wade). D’ailleurs, j’ai été plus intransigeant avec ses prédécesseurs. Mais quand on parle de développement, il faut qu’on sache qui fait quoi. Et il faut savoir aussi que ses prédécesseurs n’ont jamais pris un tel engagement. Il y avait la situation de l’Agence nationale de relance des activités économiques et sociales de la Casamance (Anrac) avec Me Abdoulaye Wade. Elle est le fruit d’une négociation entre le Mfdc et l’Etat. Dans les clauses de l’Anrac, il fallait que des membres du Mfdc siègent au Conseil de surveillance de cette agence. Ce qui n’a jamais été appliqué. Pourtant, on n’avait jamais cessé de le réclamer. Finalement, l’Anrac est devenu une arnaque. Ce qui signifie, par ailleurs, qu’on utilise la Casamance pour se donner des fonds, mais ces fonds repartent toujours à Dakar. Il n’y a pas l’ombre de développement ici, pourtant il y a 107 Organisations non gouvernementales (Ong).

Mais l’Etat travaille déjà pour un désenclavement géographique avec les bateaux, la construction de route et des vols réguliers vers Ziguinchor.

(…) Ne nous parlez pas de ce développement. Je dis et je le répète, quelqu’un qui veut développer la Casamance et veut nous empêcher d’y assister, cela veut tout dire. Ils ne veulent pas qu’on sache si ce qu’ils disent sur le développement existe. Même le Mfdc avec qui l’Etat a fait 32 ans de guerre n’a pas le droit de regard.

Pourquoi les acteurs du Mfdc ne cherchent-ils pas plus de légitimité en se positionnant au niveau des mairies et des conseils départementaux des régions du Sud ?

Ça ne nous regarde pas ça. Nous luttons pour la Casamance et non pour briguer plus tard des postes. Seulement le Mfdc de Jean Marie François Biagui est un parti politique. Il s’appelle le Mouvement pour le fédéralisme et la démocratie constitutionnelle (Mfdc), c’est clair ça. Ce parti politique qui a son récépissé signé par Macky Sall quand il était ministre de l’Intérieur a le droit de battre campagne. Le fait que le parti de Jean Marie François Biagui veuille la mairie ne nous regarde pas. Il faut savoir que nous sommes un mouvement très organisé. Il faut nous prendre au sérieux.

Donc, vous ne pensez toujours pas que les gens vous prennent au sérieux, malgré la vague de violence qu’a connu la Casamance dans le passé ?

(Il hausse le ton) Ecoute, écoute. Nous avons plus de paix ici qu’à Dakar. Vous, vous pouvez dormir tranquillement à Dakar toute une nuit ? Mais arrêtez quand même. Vous avez vu une moindre violence ici à Ziguinchor ? Vous avez passé la nuit ici et vous avez vu. Hasardez-vous à passer la nuit à Dakar, vous verrez de la violence. Vous ne faites jamais du bruit sur ça. Ici, il y a la paix. Les gens racontent n’importe quoi sur la Casamance. Ils vont jusqu’à dire qu’il suffit de venir en Casamance pour être tué. C’est faux. Nous sommes plus tranquilles ici qu’à Dakar. Vous n’allez pas me dire le contraire, vous qui êtes à Ziguinchor. Il faut savoir que les violences armées dont vous faites allusion, il y en a chaque jour à Dakar. Vous ne pouvez pas rester un mois sans entendre une personne tuée à Dakar. Et je peux même vous dire que c’est vous les habitués à la violence qui l’avez amenée ici en Casamance. Nous n’avons pas cette culture de la violence. Il y a la rébellion ici, mais les gens vaquent à leurs occupations jusqu’à 4 heures du matin sans être inquiétés. Même si vous vous promenez avec ce truc (une tablette Samsung : Ndlr). Essayez de le faire à Dakar. Nous n’avons pas la culture de la violence alors que vous, vous êtes nés dans cette violence.

Où en êtes-vous avec les négociations avec l’Etat du Sénégal ?

Pour l’instant, il n’y a pas de négociations. Parce que pour qu’on parle de négociations, il faut d’abord établir une relation de confiance entre les parties qui négocient. C’est la première chose à faire. Il faut des actes qui vont dans ce sens. Ce qui se passe actuellement n’est autre chose que de la farce. J’entends le Président (Macky Sall) parler de négociations avec Salif Sadio. C’est très dangereux ce qu’ils sont en train de faire.

Comment ça dangereux ?

Vous savez, Salif Sadio ne représente que 5% de la force combattante du Mfdc. Il faut que les gens tiennent compte de ça. Ça veut juste dire que si Salif Sadio n’avait pas pris des prisonniers militaires, jamais l’Etat n’allait accepter de négocier avec lui. Mais que font-ils des militaires qui tombent sur le champ de bataille, de même que les combattants du Mfdc qui tombent ?  C’est comme si on ne prenait pas au sérieux ceux qui sont en train de mourir aussi bien du côté des militaires que du côté des combattants du Mfdc. Il a fallu que des militaires soient pris pour que l’Etat fasse semblant de négocier. Ça veut dire beaucoup de chose et ce n’est pas sérieux. Ce sont des méthodes que je n’approuve pas.

Mais quelle est la bonne méthode selon vous ?

Nous avons dit que nous voulons un congrès du Mfdc qui va regrouper l’aile militaire, l’aile intérieure et l’aile politique extérieure. A l’issue de ce congrès, un Secrétaire général du Mdfc sera nommé pour commencer alors des négociations sérieuses.

Mais, est-ce qu’un problème de légitimité du Mfdc ne se pose pas si vous entendez tous les fils de la Casamance dire qu’ils veulent la paix et non l’indépendance ?

Vous pensez que nous luttons pour ces gens-là, fussent-ils des élus locaux ? Ils sont libres d’avoir leur position. D’ailleurs, ils ne peuvent pas dire autre chose parce qu’ils sont sous les ordres de l’Etat du Sénégal. Vous croyez qu’ils osent dire qu’ils réclament l’indépendance ? Peut-être qu’ils sont plus rebelles que vous-même, plus rebelles que moi-même. Il n’y a pas un fils de la Casamance qui n’a pas été victime de frustrations.

Source:www.gfm.sn

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