jeudi, mars 28, 2024

L’autre chantier austral de Macky

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Invité d’honneur de la fête des héros, le Président Macky Sall a récolté en Namibie, les semailles diplomatiques de son lointain prédécesseur Léopold Sédar Senghor. Dans ce pays au destin glorieux et tumultueux (colonisation, tutelle, annexion et libération) le peuple namibien a, dans la même foulée, commémoré la journée des nombreux martyrs de la SWAPO (South West Africa People’ s Organization ou Parti libérateur) et magnifié la solidarité audacieuse, active et efficace du peuple sénégalais.

Dans un contexte continental où l’apartheid était à son apogée en Afrique australe, dans un climat mondial entièrement pollué et chauffé par une guerre froide, le Sénégal – historiquement issu du groupe modéré (synonyme de pro-occidental) de Monrovia – avait impressionné les observateurs, en apportant un soutien conséquent aux combattants namibiens de la liberté, sous la conduite du fondateur et leader de la SWAPO : Sam Nujoma.

Le poids de l’Histoire a donc pesé sur la balance diplomatique. Et conféré un relief himalayen, à la récente visite du Président sénégalais. Un immense succès – aux racines historiques – que la très rodée diplomatie sénégalaise doit conforter et transformer en tremplin, pour s’attaquer à l’ultime chantier que Senghor a légué à Macky Sall (décidément gérant de l’héritage senghorien) dans cette partie australe et extrême du continent, à savoir l’Angola dont les relations avec le Sénégal sont interminablement placées sous le signe du gel.

Ici, il faut encore convoquer l’Histoire pour cerner et dépasser cet avatar robuste de la politique étrangère de Senghor. Totalement habité par l’apologie de la négritude, l’homme d’Etat et de culture Léopold Sédar Senghor avait – sans grande surprise mais avec de réelles conséquences – fait de la négritude, le fil conducteur de sa politique angolaise de la décennie 70 – 80. D’où le persistant trou noir que forme l’Angola dans notre champ diplomatique.

Schématiquement, c’est le leader de l’Union Nationale pour l‘Indépendance Totale de l‘Angola (UNITA) Jonas Malheiro Savimbi qui était, aux yeux de Senghor, le représentant authentique du peuple angolais ; et non le MPLA dominé par les métis, dont l’influence politique très prépondérante était, sans commune mesure, avec leur poids démographique dans le pays. Une posture plus culturelle que doctrinale ou idéologique ; puisqu’en privé, Senghor avouait son admiration pour l’œuvre du grand poète Agostinho Neto. Mieux, Senghor entretenait une relation intellectuellement très suivie avec l’écrivain Mario De Andrade, membre fondateur du MPLA, et plus tard ministre de la Culture du Président Luiz Cabral, en Guinée-Bissau.

Evidemment, la position de Senghor n’était pas exempte de soubassements ; ni de répercussions politiques, tant en Angola qu’au Sénégal. A Dakar, le gouvernement avait autorisé l’ouverture d’un Bureau de l’UNITA dirigé par Kakumba Marquès. Plus déterminé que jamais à contrer le MPLA, Senghor n’hésita pas à qualifier publiquement (interview à JA) les soldats cubains de « Gurkhas des Russes en Angola ». Mais le geste qui avait diablement ulcéré les dirigeants angolais, d’hier et d’aujourd’hui, demeure le soutien verbal que le premier chef de l’Etat sénégalais avait accordé à Neto Alvès, important membre du Comité central du MPLA et auteur d’un coup militaire fermement enrayé par les forces cubaines.

Au Sénégal, cette équation angolaise avait également suscité des clivages voilés mais perceptibles au sein du gouvernement sénégalais. Ainsi, le Professeur Assane Seck, ministre des Affaires Etrangères, tout en étant loyal vis-à-vis de son pays (le Sénégal) et de son Président (Senghor) cachait mal son désaccord avec la ligne farouchement anti-MPLA. Ce qui ne l’empêchait pas de la défendre avec ardeur, au cours des mémorables sommets de l’OUA où Etats modérés et Etats progressistes engageaient annuellement le duel autour de l’actualité angolaise.

Trente après le départ de Senghor, la cicatrisation est toujours lente. Et cela, en dépit de la bonne volonté du Président Abdou Diouf qui a rencontré sur l’île de Sal (Cap-Vert) son homologue Eduardo Dos Santos, par l’entremise du Président Aristides Pereira. Au plan diplomatique, un ambassadeur angolais résidant à Abidjan, était périodiquement reçu au Palais de l’avenue Roume, notamment sous l’ère Wade. Quant au Président Dos Santos (très peu voyageur) il n’a jamais foulé le sol du Sénégal, depuis son accession au pouvoir en 1979. En route pour les sessions de l’Assemblée générale des Nations-Unies, à New-York, il contourne l’inévitable escale de Dakar, par les aéroports du Cap-Vert.

Bref, le géologue Macky Sall, conscient que le temps érode les montagnes et modifie les reliefs, peut aisément s’assigner la mission de hâter l’amorce d’un dégel, en créant un axe Dakar – Luanda, véritable couloir de rapprochement entre deux pays qui ont grandement intérêt à coopérer. Car, il faut vraiment être atteint de cécité géopolitique pour retarder indéfiniment un partenariat payant et précieux entre Dakar et Luanda.

A la jonction de l’Afrique centrale et de l’Afrique australe, l’Angola est une triple puissance : militaire, économique et diplomatique. Son armée dotée de capacités aérienne et navale (donc de projection jusqu’à Abidjan, Conakry et Bissau), son pétrole abondant (d’ici 2015, elle assurera 15 % des besoins américains en hydrocarbures), son influence régionale (l’accord tripartie Angola-Cuba- Afrique du Sud de 1988 a accouché de l’indépendance de la Namibie en 1990) et son dynamisme international (Luanda et Brasilia sont les deux locomotives de la CPLP) font de l’Angola un acteur de taille voire un mastodonte.

C’est surtout à l’aune du conflit en Casamance que le Sénégal doit envisager et mesurer les avantages d’un dégel suivi d’un renforcement exceptionnel des relations bilatérales. En effet, l’Angola dispose en Guinée Bissau (un des sanctuaires du Mfdc) d’une influence qui peut momentanément refluer, sans jamais tarir. L’histoire coloniale en partage ayant brassé les élites des deux pays. Après sa formation d’ingénieur agronome, Amilcar Cabral a fait son stage (en plein essor colonial) dans l’Angola des colons portugais. Carlos Gomez Junior, ancien Premier ministre réfugié au Portugal et financièrement outillé pour revenir au pouvoir, a fait tout son service militaire en Angola.

De façon générale, tous les opposants et tous les décideurs bissau-guinéens ont été peu ou prou en contact avec les services secrets de Luanda, longtemps dirigés par le Général Fernando Garcia Miala, un grand spécialiste de la Guinée Bissau. Et, par ricochet, de la Casamance. Pas étonnant donc que le jeu de Luanda à Bissau soit si puissamment poussé et si bien planifié que la CEDEAO en ressentent les ondes de choc, au travers de quelques divergences, perceptibles, entre les Présidents Alpha Condé (ami de l’Angola) et Alassane Ouattara, adversaire victorieux du pro-angolais Laurent Gbagbo.

Vu que l’Ecomog (force de la CEDEAO) ne restera pas indéfiniment sur le flanc sud du Sénégal, les troupes angolaises reviendront, tôt ou tard, en Guinée Bissau, pays souverain. Du coup, la prospective et son corollaire (l’intelligence stratégique) commandent au Président Macky Sall, – après l’inventaire et le largage des pesanteurs senghoriennes – de jouer la carte angolaise. Après l’atout namibien bien rangé dans l’escarcelle du Sénégal.

PS : Le plus prestigieux des ambassadeurs de l’Angola, SE Luis De Almeida (successivement en poste à New-York, Paris et Addis-Abeba) m’avait longuement entretenu de l’épaisseur incommensurable des rancœurs angolaises vis-à-vis de Senghor. C’était lors des obsèques de Sékou Touré à Conakry.

Par Babacar Justin Ndiaye (Dakaractu)

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