vendredi, mai 30, 2025

Signé Giltay: le Portugal vire à droite et l’idéologie du salazarisme refait surface, 50 ans après la révolution des oeillets

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Dimanche 10 mars, la droite conservatrice a remporté les élections législatives au Portugal. L’alliance démocratique, la coalition menée par le PSD, parti social-démocrate (centriste) a remporté 29,8% des voix et 79 députés contre 28,66% et 77 députés au parti socialiste au pouvoir depuis 8 ans. Aucun de ces deux partis n’a les moyens de constituer une coalition majoritaire qui requiert 116 députés sur les 230 du parlement. Le chef de l’alliance démocratique Luis Montenegro a toujours affirmé qu’il n’entrerait pas en négociation avec Chega (Assez en français) le mouvement d’extrême droite qui a réalisé une percée avec 18% des suffrages et 48 députés, doublant ainsi son score du précédent suffrage en 2022. Et même si Luis Montenegro dirigera probablement un gouvernement minoritaire, le score de Chega est indubitablement le fait majeur de ce scrutin. Il fait ressurgir l’idéologie du salazarisme, presque 50 ans jours pour jour après la révolution des œillets.

 Entre 1933 et 1974, le Portugal a vécu sous le régime d’une dictature qu’on appelait Estado Novo, l’Etat nouveau. Son chef, Antonio de Oliveira Salazar était officiellement Premier ministre. Il y avait instauré une dictature corporatiste et nationaliste dont la devise était « Dieu, patrie et famille ». Elle reposait sur trois piliers : l’armée, l’Église et l’empire colonial.

Le Portugal fut en effet le dernier pays européen à conserver l’essentiel de ses possessions ultramarines, principalement africaines : Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, îles du Cap-Vert, Sao Tomé et Principe… Un empire démesuré pour une métropole qui en 1974 comptait 8,6 millions d’habitants contre 4,8 millions en Angola et 7,5 millions au Mozambique.

Salazar avait été humilié en 1961 par la courte guerre que lui avait menée l’Inde pour récupérer les comptoirs portugais du sous-continent, principalement Goa. La garnison portugaise avait dû se rendre en quelques heures, débordée par l’armée indienne. Depuis, Salazar se faisait un devoir de conserver les autres colonies au prix d’une impitoyable guerre coloniale qui sacrifiait la jeunesse portugaise.

Le dernier régime colonial

Au début des années 70, il était encore possible de voir à Bruxelles ou à Paris, des estropiés de la guerre de 14 qui, en fauteuil roulant ou sur leurs jambes de bois, vendaient dans la rue des billets de loterie. Ils étaient tous très âgés. À Lisbonne, aussi, on croisait des grands blessés de guerre : ceux-là avaient 20 ans.  

Entre 1961 et 1974, 800 000 jeunes Portugais furent envoyés outre-mer pour combattre les nombreux mouvements d’indépendance qui avaient surgi un peu partout. En 1968, Marcelo Caetano, le successeur de Salazar victime d’un AVC, avait même allongé la durée du service militaire de 18 mois à quatre ans.

Contrairement à l’évolution qu’avaient acceptés la Belgique, la France et le Royaume Uni, le Portugal salazariste continuait « orgueilleusement seul » à considérer que Portugal et Empire ne formaient qu’un seul pays, de la frontière espagnole au Timor-Oriental (en Asie !). Caetano, fidèle aux idées de son mentor, avait même déclaré : « Le Mozambique n’est le Mozambique que parce qu’il est le Portugal ».

Il reprenait la vieille lune de la mission civilisatrice, de plus en plus contestée par les élites africaines, nourries des idées socialistes et communistes. Pourtant, la chute du régime ne vint pas de l’extérieur, mais de l’intérieur.    

La révolution des capitaines

De plus en plus de jeunes, y compris des officiers d’active, ne supportaient plus de risquer leur vie dans ce qu’on appelait le « Vietnam portugais ». Des dizaines de milliers de déserteurs s’en allaient rejoindre les travailleurs immigrés installés ailleurs en Europe (800 000 Portugais en France), attendant des jours meilleurs. 

En septembre 1973, de jeunes officiers « les capitaines », créent le MFA, le Mouvement des Forces Armées. Son objectif : renverser le régime, établir la démocratie et en finir avec les guerres coloniales. Ce sont ces capitaines qui vont déclencher l’une des plus rapides révolutions de l’histoire. Le 25 avril 1975, le salazarisme va s’effondrer en un peu plus de 24 heures, grâce à deux chansons et une fleur.

Le 24 avril à 22h55 la radio Emissores associados diffuse la chanson « E depois do Adeus », (Et après au revoir) qui représente le Portugal à l’Eurovision. C’est le signal de la mobilisation du MFA. À 0h20 le 25 avril, Radio « Renascença » met en ondes une autre chanson jusqu’alors interdire « Villa Morena ». Elle donne le feu vert à l’opération baptisée « Virage historique », les événements vont ensuite s’enchaîner.

Entre 1h30 et 3h, plusieurs compagnies insurgées prennent le contrôle des médias et de plusieurs points stratégiques à Lisbonne. A 4h20 ils occupent l’aéroport, puis le MFA lance un appel sur les ondes demandant à la population de rester chez elle, ce qu’elle ne fera pas. À 5h, le directeur de la PIDE , la police politique, informe Caetano des événements.

A 5h30 une colonne de blindés commandée par le capitaine Mala encercle les principaux ministères et la banque du Portugal. Peu après Caetano se réfugie à la caserne de la garde nationale. A 9h une frégate positionnée sur le Tage refuse de tirer sur les troupes de Mala. Peu à peu ce refus se propage à l’ensemble des troupes fidèles au régime qui rejoignent le mouvement.  

A 11h30 le capitaine Mala dirige sa colonne vers la caserne où Caetano s’est réfugié. Sur le chemin, une fleuriste, Celeste Caeiro, distribue des œillets aux soldats qui les plantent dans les canons de leurs fusils. La « révolution des œillets » entre dans l’histoire.

La fin de quarante ans de dictature.  

A 18h Caetano remet sa démission au général Spinola qui soutient les insurgés. Le dictateur déchu s’envole pour Madère, puis le Brésil. A 20h30 au QG de la PIDE, la police politique ouvre le feu sur la foule, bilan quatre morts. A à 21h15 un agent de la PIDE qui veut s’enfuir est tué par les militaires du MFA. Ce seront les seules victimes de l’insurrection. À 1h30 le général Spinola, futur prédisent par intérim, apparaît à la télévision pour expliquer son programme. À 9 h 30, la PIDE se rend, l’insurrection est terminée. 

50 ans ont passé

La transition politique sera difficile. Très vite, les leaders du MFA vont se diviser. La guerre prendra fin et les colonies accéderont à l’indépendance. Plusieurs gouvernements provisoires vont se succéder dans un grand désordre durant deux ans, jusqu’aux élections législatives du 25 avril 1976. En sortiront un Président de la République, le général Eanes, et un Premier ministre, le leader socialiste Mario Soares, revenu de son exil en France. En 1986, le Portugal rejoindra la communauté européenne, et vivra une vie démocratique classique, avec des alternances entre la gauche et la droite.   

Aujourd’hui, la mémoire du 25 avril s’est perdue. La jeunesse portugaise ne craint plus de mourir en Angola, et un parti populiste, nostalgique du salazarisme, a décroché 48 députés. Pour l’instant, un cordon sanitaire le tient éloigné du gouvernement. Mais qu’en sera-t-il demain ? 

Au fait, c’est bientôt la saison des œillets. 
 



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