Par Diagne Fodé Roland
Quatre présidents qui ont échoué à régler démocratiquement la question nationale casamançaise
L’état de ni guerre ni paix qui semblait en vigueur ces dernières années est rompu. Les échanges de tirs et pilonnages d’artillerie se font à nouveau entendre en Casamance au moment même où se déroule le procès du journaliste et écrivain René Capin Bassène et Oumar Ampoï Bodian du MFDC détenus sans preuve depuis plus de 2 ans dans les geôles de l’Etat néocolonial du Sénégal.
La Direction de l’Information et des Relations Publiques (DIRPA) de l’armée sénégalaise diffuse l’information suivante : « nous sommes en opération visant à sécuriser le retour des populations souhaitant retrouver leur foyer après leur refuge de plusieurs décennies en Guinée Bissau et en Gambie ».
Dans un silence assourdissant du gouvernement libéral néocolonial, des sources indiquent que des soldats, fils du pays, seraient tombés dans une embuscade de l’armée du MFDC (Atika). Notre armée nationale aurait franchi les frontières gambiennes avant de s’y voir chassée par les populations de villages de ce pays frères voisins.
Des jeunes de plusieurs localités – Goudomp, Samine, Bindialoum, Diattacounda, Boussoloum, Fanda, Niadio et Tanaff – auraient protesté contre les activités militaires déclarant que « Les Sénégalais pensent qu’à leurs propres intérêts, au détriment des nôtres sans recherche de réciprocité. L’intervention militaire ne répond pas aux causes profondes de cette sale guerre qui est imposée en Casamance en 1982. Et il n’y a aucune volonté politique pour stopper la déstabilisation de la région ce qui contribue à la maintenir dans le sous-développement. Cette idée que le Sénégal cache des choses sur le fondement de ses opérations de pilonnage et de ratissage est très répandue. Nos villages ne peuvent pas être pris en otage et servir de base arrière contre nos propres frères du Mfdc qui sont eux hors des villages ».
Tous les chefs d’état de notre pays – Senghor, Diouf, Wade, Sall – ont jusqu’ici usé en vain de la répression, de la guerre et/ou de la corruption pour vaincre le MFDC.
Il n’y a rien qui fait plus mal que nos gouvernants néo coloniaux agissent en notre nom en Casamance comme l’ont fait les colons français.
Aucun patriote, aucun Panafricaniste, aucun révolutionnaire internationaliste surtout communiste Sénégalais(e) ne peut tolérer et accepter l’absurde guerre dont le sens profond est que les gouvernements néo coloniaux de notre pays ne considèrent pas, au fond, les Casamançais comme des Sénégalais à part entière, mais plutôt comme des Sénégalais entièrement à part.
Il est temps d’arrêter ce cycle meurtrier multi décennal d’une pacification militarisée qui ne fait s’éloigner, au fil des morts de part et d’autre, l’union Sénégal – Casamance d’une optique d’unité démocratique africaine.
1982 – 2020 : 38 ans d’alternance de guerre fratricide et de ni paix ni guerre, ça suffit!
C’est en décembre 1982 que le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC), né le 4 mars 1947 à Sédhiou sous le leadership de feu Victor Diatta, a réveillé, après un long sommeil, sa revendication d’indépendance de la Casamance.
Cet embrasement indépendantiste, notre regretté Assane Samb le décrivait ainsi dans l’éditorial intitulé « CASAMANCE : QUEL POINT DE VUE ? » : « Le 26 Décembre 1982, une manifestation pacifique réclamant l’indépendance de la Casamance est sévèrement réprimée à Ziguinchor par le gouvernement de Diouf, des centaines d’arrestations sont opérées, suivies de séances de tortures et procès à l’issue desquelles des personnes soupçonnées de sympathie pour le mouvement indépendantisme seront condamnées à de lourdes peines. Parallèlement, le gouvernement a organisé une campagne pour minimiser les événements en présentant les manifestations comme »une poignée de Diolas qui ont un goût prononcé pour le particularisme ». Autour des sacro-saints principes de »l’intégrité du territoire » et de »l’unité nationale », la quasi-totalité de l’opposition sénégalaise, tout en réprouvant les »méthodes brutales » s’est alors coalisée avec le gouvernement dans le rejet de la revendication indépendantisme. Le 18 Décembre 1983, une foule immense, avec les femmes en tête, riposta aux »autorités dakaroises » en attaquant le palais de la gouvernance à Ziguinchor. Le gouvernement réagit à nouveau par la répression, les arrestations et tortures, procès et emprisonnements. A nouveau une campagne de dénigrement du mouvement indépendantisme est organisée et à nouveau l’opposition rejette la »revendication séparatiste ». Pour couper l’herbe sous les pieds du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC), porte-drapeau de la revendication d’indépendance, le régime de Diouf découpe la Casamance en 2 régions administratives : la région de Ziguinchor en Basse Casamance qui serait le fief des Diolas, et la région de Kolda. Le mouvement a alors connu une période de repli, période pendant laquelle les arrestations, tortures, procès et emprisonnements de personnes supposées appartenir au MFDC ont continué. Dans toute la Casamance, le dispositif répressif est renforcé, une base navale est construite à Elinkine, en collaboration avec l’impérialisme américain. Cette période sera aussi marquée par certaines actions des combattants du MFDC contre les positions de l’armée sénégalaise, actions sur lesquelles le gouvernement et toute la presse gardent le silence » (Ferñent/L’Etincelle N°65 Novembre 1990).
Les arrestations, les tortures, l’exil forcé des populations, les mandats d’arrêts visant les dirigeants extérieurs et intérieurs, les régionalisations administratives pour invisibiliser le nom Casamance, l’argent pour corrompre ont pu semer la zizanie au sein des combattants rebelles, mais ne sont pas arrivés à mettre fin à la rébellion indépendantiste en Casamance. Il ne sert à rien d’éluder un problème posé et à résoudre.
La résistance casamançaise a un fondement historique
Notre regretté Birane Gaye expliquait ainsi les origines historiques de la résistance séculaire en Casamance contre le colonialisme et le néocolonialisme :
« Le mouvement Indépendantiste casamançais qui se réveille aujourd’hui à de profondes racines dans plus de 300 ans de résistance au colonialisme, à l’oppression nationale impérialiste. C’est en 1645 que les colonialistes portugais ont installé leur premier comptoir à Ziguinchor en Casamance. Le 12 Mai 1886, aux termes de la Convention franco-portugaise de Paris, et après que la conférence impérialiste de partage de l’Afrique de Berlin ait reconnu les »droits » du Portugal sur la Casamance, celui-ci cède ces prétendus »droits » à la France, en échange du territoire de Rio de Cassini au Nord de la Guinée et de droits de pêche à Terre-Neuve au large du Québec. Les premières résistances se sont immédiatement développées. Lorsque la France prend possession de Ziguinchor le 22 Avril 1888, le chef de village est destitué pour avoir refusé de faire acte d’allégeance à la France. La Résistance Casamançaise n’a cessé de se développer à partir de ce moment y compris par les armes. On peut citer des noms de résistants et résistantes célèbres comme Sinkari Camara, Fodé Kaba, Sihalébé Diatta, Aloendiso Bassene, Alinsitowé Diatta, etc… Les masses casamançaises sont entrées dans la résistance active au colonialisme, et particulièrement contre la conscription lors des deux guerres. Et chaque fois leurs mots d’ordre ont été : » LA CASAMANCE AUX CASAMANÇAIS ! », » INDÉPENDANCE DE LA CASAMANCE ! » (Ferñent/L’Etincelle N°4, Décembre 83 -Janvier 1984).
Et dans une déclaration commune sur la question nationale casamançaise avec nos camarades du journal Sanfin du Mali, nous expliquions : « Dans le tracé arbitraire des frontières, les impérialistes ont divisé des peuples qui vivaient avant dans une entité territoriale commune avec leurs us et coutumes. Le tracé des frontières se faisait même parfois de façon à passer délibérément au beau milieu du territoire d’un peuple donné, pour le diviser et mieux asseoir l’oppression impérialiste. C’est ainsi qu’en ce qui concerne la Casamance, on retrouve une partie du peuple de Kasa rattachée par les colonialistes au Sénégal, et une partie à la Guinée-Bissau (d’où le fait bien connu que la Casamance a été une importante base arrière du PAIGC). Les impérialistes ont rattaché une partie de chaque peuple divisé à un territoire »nouveau », l’obligeant à un voisinage avec d’autres peuples. Ainsi, à l’intérieur de la majorité, sinon la quasi-totalité des États semi-coloniaux d’Afrique aujourd’hui vivent de fait plusieurs peuples asservis. Les États semi-coloniaux d’Afrique sont de fait des États multinationaux tout comme le sont des États d’Europe et l’était la Russie tsariste, où une nation dominait d’autres fragments de nations, en alliance avec les grandes puissances impérialistes. En Afrique, les impérialistes, particulièrement en rapport avec le processus vers l’indépendance politique, ont appliqué cette politique que Staline a défini comme »un vieux système spécial de gouverner, où le pouvoir bourgeois attire à soi certaines nationalités, leur accorde des privilèges, tandis qu’il abaisse les autres nations, ne voulant pas s’en embarrasser » (idem).
Sont de vrais annexionnistes, les panafricanistes qui refusent de prendre en compte à la fois les politiques coloniales de balkanisation de l’Afrique, l’histoire décolonisée des résistances africaines et la complicité passée et actuelle des bourgeoisies néo coloniales africaines dans les conflits du type de ce qui existe en Casamance.
L’Erythrée et l’Ethiopie se sont séparées malgré le fait que les deux mouvements révolutionnaires ont combattu la dictature militaire et avant la monarchie ainsi que la domination impérialiste. Le Sahara réclame son indépendance du Maroc annexionniste en raison de son histoire propre de lutte pour l’indépendance contre la colonisation espagnole.
La guerre fratricide est la pire des solutions parce que cela participe du diviser pour mieux régner de l’impérialisme et de ses valets néo coloniaux de chez nous au regard de la perspective de l’unité africaine des peuples libres d’Afrique.
La guerre et l’ingérence dans les affaires internes des peuples frères voisins
La guerre contre le MFDC en Casamance s’est peu à peu invitée dans la politique extérieure des gouvernements successifs de notre pays vis à vis de la Gambie et de la Guinée Bissau.
En Gambie, l’ingérence dans les affaires internes s’est manifestée ouvertement par deux fois : en 1981 par l’intervention militaire contre Kukoy Samba Sagna suivie de l’imposition militarisée de la « confédération sénégambienne » qui éclata sous la poussée indépendantiste du peuple gambien et récemment le départ forcé de Jammeh sous menace d’invasion militaire et l’adoubement de l’actuel président gambien qui s’est intronisé à Dakar avant de s’installer à Banjul.
En Guinée Bissau, l’épisode de l’intervention militaire sénégalaise de 1998, dont on ne sait officiellement jusqu’ici aucun bilan des pertes de notre armée nationale ni des victimes, et le soutien déclaré à l’intronisation de l’actuel président autoproclamé dans un hôtel en lieu et place de l’Assemblée Nationale contre le PAIGC. La reprise des activités des narcotrafiquants dans ce pays instable est le signe des liaisons dangereuses françafricaines que noue le pouvoir néocolonial de notre pays à l’extérieur.
L’ingérence directe ou indirecte de nos gouvernants néo coloniaux s’est aussi manifestée lors de « l’opération persil » fomentée par l’impérialisme français pour saboter par des faux francs guinéens la sortie de la Guinée du NON à la « communauté française » du franc CFA colonial et lors de l’attaque de Conakry en 1970 par les fascistes portugais et les mercenaires guinéens de la « cinquième colonne » en pleine guerre de libération nationale du PAIGC.
Nos régimes semi-coloniaux au Sénégal accumulent ainsi, en notre nom, des contentieux inacceptables avec les peuples frères de Gambie et de Guinée Bissau.
Nous ne pouvons et ne devons rester indifférents face à ces obstacles coloniaux et néo coloniaux sur le chemin de la réalisation d’une Afrique libre, indépendante et unie.
La solution est l’union libre des peuples libres
Ne regrettons nous pas l’absence voulue par le donneur d’ordre impérialiste français des dirigeants politiques de notre pays (Senghor, Lamine Gueye, Mamadou Dia) au congrès de fondation du RDA en octobre 1946 ? Pourquoi à ce congrès seul était présent Victor Diatta, fondateur du MFDC le 4 mars 1947 dans l’esprit de l’appel de Bamako du RDA ? Ne voyons-nous pas le désastre qu’a été le sabotage de la Fédération du Mali par nos dirigeants (Senghor, Lamine Gueye, Mamadou Dia) sous l’hospice de la balkanisation voulue par le maître colonialiste français ? Avons-nous conscience que notre beau pays, le Sénégal, a été la porte d’entrée de la conquête coloniale française en Afrique, que les « tirailleurs sénégalais » commandés par des officiers français ont été la masse des soldats qui ont conquis par les armes « l’empire colonial français d’Afrique » ?
Il y a pas pire humiliation que Blaise Diagne ait recruté des « tirailleurs » africains pour les soi-disant « droits des évolués des 4 communes », que L. S. Senghor ait pu proclamer que « l’émotion est nègre et la raison hellène », que Wade ait pu être le seul président africain à se rendre à Benghazi pour trahir Kadhafi et l’UA, que Macky ait pu dire que » les tirailleurs sénégalais avaient des desserts…il faut tout donner aux français ».
Heureusement que nous autres Sénégalais pouvons aussi comptabiliser des hommes et des femmes qui ont incarné l’esprit de résistance contre l’esprit de soumission volontaire à l’oppression coloniale et néocoloniale : El Hadj Oumar, Lat Dior, Mamadou Lamine Dramé, Cheikh Ahmadou Bamba, Malick Sy, le communiste Lamine Arfan Senghor, Ibrahima Sarr, Cheikh Anta Diop, les militants communistes connus ou inconnus du PAI, Moussa Diop Jileen, Ndongo Diagne, Birane Gaye Mbol, Assane Samb, etc, tout comme les Casamançais sont fiers de Aloendiso Basséne, de Sihabélé Diatta, Alin Sitoé Diatta, du MFDC, de sa branche armée Atika, de Victor Diatta, de l’Abbé Augustin Diamancoune, du NON majoritaire en Casamance au référendum de 1958 sur la « communauté française », etc.
Peut-on continuer à se taire au Sénégal sur cette tragédie fratricide qui voit des populations casamançaises et des soldats de notre armée nationale mourir dans cette sale guerre, la déforestation de l’écosystème environnemental par la guerre et le pillage du bois et des forêts sacrées et classées de la belle Casamance ? Quelle unité peut-on vraiment espérer dans ces conditions entre nous autres Sénégalais et ceux et celles en Casamance qui ne se reconnaissent pas Sénégalais ?
Même si droit au divorce ne signifie pas automatiquement l’obligation de divorcer, il faut rappeler que « Des communistes africains, Lamine Senghor (Sénégal) et Tiémoko Garang Kouyaté (Mali), qui étaient en relation avec l’Internationale communiste ont défendu cette position. Ils ont prévu que l’indépendance politique formelle que les impérialistes pouvaient concéder ne résoudrait pas le problème de l’unité des différents peuples que les impérialistes ont »forcé au mariage » dans un cadre territorial artificiellement créé après les avoir divisés et encore moins l’unité de tous les peuples d’Afrique. C’est ainsi qu’en ce qui concerne le Sénégal, Tiémoko Garang Kouyaté a lancé un »Appel aux peuples du Sénégal et du Soudan » dans lequel on peut lire : » Nous luttons pour le droit DES PEUPLES du Sénégal à disposer d’eux-mêmes en rendant le Sénégal indépendant de l’empire français et en formant un État national indépendant DES PEUPLES du Sénégal selon LES PRINCIPES FÉDÉRATIFS PAR L’ALLIANCE LIBRE DES PEUPLES LIBRES ». C’est cette position que nous devons mettre de l’avant aujourd’hui, comme la seule position démocratique conséquente, la seule position de lutte contre les frictions nationales, pour une union librement consentie des peuples d’Afrique. Il faut soutenir énergiquement le droit de chacun des peuples »unis » par la force avec d’autres par les impérialistes à disposer de lui-même. Il faut soutenir énergiquement la complète liberté de séparation des nationalités opprimées » (idem).
Il doit être dit clairement que le droit à l’autodétermination de la Casamance est indiscutable sur le plan historique, géographique, démographique, culturel et politique. Ce qui en soi n’est nullement incompatible avec l’objectif de l’unité panafricaine des peuples libres.
C’est ce que nous expliquons en ces termes lors de notre hommage à feu l’Abbe Diamancoune le 15 janvier 2007 : « Aux panafricanistes qui prétextent « l’intangibilité des frontières » nées de « la balkanisation de l’Afrique » par le charcutage colonial qui a, à la fois, séparé et uni les peuples africains sans leur demander leur avis pour les besoins prédateurs du partage colonial de l’Afrique, Diamancoune Senghor répondait à juste titre : « Laissez les partir, ces Casamançais, pour mieux se retrouver peut-être avec le temps dans une situation plus claire, plus naturelle et plus équilibrée » (Ferñent N°65 de novembre 1990 qui cite Xarébi N°30, p.4).
Le traitement colonial et néocolonial de la question nationale casamançaise est non seulement une faillite politique, économique et militaire, mais montre aussi à suffisance que les Casamançais(e)s sont des « Sénégalais entièrement à part » pour les régimes PS et libéraux semi-coloniaux qui se sont succédé jusqu’ici.
L’évolution nouvelle est l’avènement progressif d’une alternative patriotique, panafricaine qui envisage une discussion franche avec le MFDC dont le premier acte ne peut être que d’abord stopper la guerre et les tentatives de corruption en vue de diviser pour mieux régner, ensuite l’abrogation sans aucune condition des mandats d’arrêts contre les dirigeants intérieurs et extérieurs du MFDC. Il est clair que ces préalables sont indispensables pour rétablir la confiance.
En cas de blocage dans les éventuelles discussions, la voie pour aller vers la solution de la question casamançaise à ne pas exclure est l’organisation d’un référendum en Casamance co-organisé par l’Etat du Sénégal et le MFDC. Mieux vaut cela que les armes entre frères et sœurs.
Voilà une espérance à ne pas décevoir et qui doit absolument accélérer la prise de conscience populaire et électorale de la nécessité de débarrasser le pays des laquais bourgeois néo coloniaux libéraux et sociaux libéraux sur le chemin de l’union libre des peuples libres d’Afrique.