jeudi, mars 28, 2024

La contribution des sciences sociales est indispensable dans la lutte contre la pandémie du COVID-19

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Depuis son apparition en décembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine, qui pouvait penser que trois mois plus tard, le COVID-19 allait déferler si rapidement dans le monde entier au point de se révéler comme l’une des pires crises sanitaire et socioéconomique depuis la deuxième grande guerre ? Dès lors, le COVID-19 s’est joué allégrement des frontières en se propageant à une vitesse vertigineuse et en semant dans son sillage mort, dévastation socioéconomique, repli sur soi des États ; et même en portant un coup d’arrêt à la mondialisation. Face à cette pandémie, chaque pays tente en fonction de ses moyens, d’apporter des réponses circonscrites à l’intérieur de ses frontières. Outre les mesures sanitaires dictées par l’urgence et la sévérité des cas, les solutions ont globalement pris la forme d’actions de santé publique centrées sur la distanciation physique et la généralisation de gestes-barrière censées contribuer à briser la chaîne de transmission de la maladie ; la fermeture des frontières aériennes et terrestres et l’arrêt des services non essentiels qui a comme conséquence le ralentissement de la production.

Parallèlement, on redécouvre l’élan de solidarité devant l’épreuve, à travers les ralliements des forces de l’opposition, des entreprises, des donateurs et des bénévoles à Force COVID-19. Sommes-nous à l’avènement d’un nouvel ordre ?

L’ensemble de ces mesures n’est pas sans conséquences sur la vie de larges segments de la population. Au Sénégal, depuis l’apparition des premiers cas de COVID-19 au début du mois de mars 2020, outre les réponses médicales qui ont mis en lumière le professionnalisme, l’expérience et le talent du personnel soignant sénégalais, les pouvoirs publics ont pris une série de mesures d’ordre sanitaire, sécuritaire et socioéconomique pour freiner l’avancée de l’épidémie : instauration de l’état d’urgence et d’un couvre-feu, isolement des personnes infectées, mise en quarantaine des contacts, fermetures des frontières du pays, etc. Ce train de mesures n’est pas sans conséquences sociales néfastes pour une bonne frange de la population urbaine et rurale du pays en termes de pertes d’emploi et de revenus, de l’impossibilité de circuler et d’exercer des activités professionnelles pour beaucoup d’acteurs, particulièrement ceux de l’économie populaire.

Aujourd’hui, la vigoureuse progression du COVID 19 dans notre pays [1] commande de débattre de mesures certainement plus hardies pour contenir la fulgurance de la contagion qui la diffuse si tragiquement. Une des mesures, citée avec de plus en plus d’insistance, est le confinement total ou partiel de la population, à la manière de ce qui se fait dans certains pays du monde touchés par le même virus. Quoique parfois évoqué avec espoir (voire avec espérance), le confinement paraît extrêmement difficile à mettre en œuvre dans un pays comme le Sénégal, au regard des configurations et des dynamiques sociétales locales ; lesquelles se constituent de particularités dans lesquelles s’ancrent les espaces et les systèmes sociaux, les pratiques quotidiennes de sociabilité, les caractéristiques de l’économie du pays ainsi que les pratiques de consommation de l’écrasante majorité de la population du pays. C’est dire qu’au-delà de ses dimensions techniques et administratives, la question des conditions locales de pertinence du confinement est majeure ; car en la matière les erreurs se paieront dramatiquement, malheureusement. Il importe, dès lors, d’être attentif à la complexité de cette mesure qui s’affirme comme inévitable à en juger la situation et les prévisions réalistes.

Comment mettre en œuvre des mesures de confinement pour des populations majoritairement cantonnées dans une économie de débrouille qui les oblige à se déplacer quotidiennement pour assurer les besoins de base, notamment la nourriture ? Comment, dans ces conditions, résoudre l’équation du choix entre les risques de contracter et de disséminer la maladie et la famine ; laquelle, en plus de ses effets physiologiques est féconde de considérations morales ? Comment re-négocier l’ancrage de l’individu (physique et symbolique) dans le communautaire ?

Le confinement introduit inexorablement une rupture de la quotidienneté. Il apparaît comme une injonction au changement (au changement social ?). Sous ce rapport, il peut être vu comme est une invite à la définition de nouvelles modalités de rapport à soi, à autrui et aux espaces (physiques comme symboliques). Il appelle alors à inventer les sociabilités qui désormais, feront désormais le vivre-ensemble.   Aussi, dans l’hypothèse probable du confinement comme seule issue pour lutter efficacement contre le COVID, nous pensons qu’il doit être ciblé en fonction des territoires et des régions et être adossé à des mesures plus adaptées aux réalités sociétales, économiques et culturelles endogènes. Dans cette perspective il serait souhaitable de rapidement commencer par la distribution alimentaire aux populations nécessiteuses dans le respect et sans mépris en confiant cette tâche à l’armée qui pourrait se référer aux bases de données telles que celles de la SEN EAU, de la SENELEC et des chefs de quartiers ou des chefs de villages, entre autres, pour une meilleure répartition des vivres. Toutefois, la répartition ne devrait pas se limiter aux personnes vivant dans des ménages car il existe de nombreux sénégalais qui n’appartiennent pas à cette catégorie. La situation actuelle d’état d’urgence et de couvre-feu de 20h à 6h est une étape adaptée pour la mise en place de ces pratiques de distribution des vivres et de nécessaires.

Le succès de cette action passe par la cessation de paiement de loyers, de factures d’eau et d’électricité pour au moins une durée d’un mois. Parallèlement il faut inviter les populations à repenser leurs pratiques de subsistance à fois matérielle et immatérielle. La réduction de la mobilité et la diminution des ressources nécessitent un accompagnement nutritionnel et diététique pour éviter l’augmentation de certaines formes de pathologie (diabète, tension artérielle, etc.) ainsi que la résurgence de la malnutrition, surtout chez nos jeunes et nos personnes âgées.

Outre ces mesures, il urge de mettre en place un programme efficace de communication communautaire (par les radios et télévisions publiques et privées, des messages vocaux et électroniques, des capsules de vidéos, etc.) en français et en langues locales (wolof, pulaar, sereer (les six types), joola (les six types), màndienka, sóninké, banama, hasaniya, balant, mànkaañ, mànjaku, mënik, oniyan, saafi-saafi, guñuun, laalaa, kanjad, jalunga, bayot, paloor et womey).

La parole pourrait revenir non pas uniquement aux lanceurs d’alertes et aux experts mais aussi aux guides religieux et coutumiers, aux relais communautaires comme les badianou gox ou autres porteurs et porteuses de voix dans nos sociétés. Ce faisant les églises et mosquées pourraient être mises à contribution pour diffuser les mesures prises. L’homme n’est pas qu’un être biologique il est aussi et surtout un être moral ; c’est-à-dire un être configuré psychologiquement, socialement, culturellement, cultuellement, etc. Certes la médecine conventionnelle a imposé sa légitimité véhiculée par l’OMS, organisation d’ailleurs dont la légitimé a été rudoyée par cette maladie. Depuis le début de la pandémie on est dans une logique scientifico-médicale occultant les aspects sociosymboliques de l’homme. Le sénégalais, sans qu’il soit en cela particulier, est un être de croyances et de ritualités ; lesquelles qui sont centrales pour l’expression de son identité sociale et culturelle. Les règles énoncées en vue de lutter contre le COVID-19 empêchent l’accomplissement de rituels importants pour l’adoucissement des souffrances engendrées notamment par la perte d’un proche. Les rites funéraires sont presque supprimés pour éviter la propagation de la maladie alors même qu’ils sont nécessaires pour l’acceptabilité de la fatalité et pour mener un deuil ancré dans des significations culturelles et cultuelles.

Les sciences sociales peuvent aider à une meilleure compréhension et appréhension locale de la pandémie en révélant les logiques et effets socioculturels autour desquels elle s’articule (professions et catégories socio-professionnelles, territorialisation de la maladie, coûts, recomposition des logiques et pratiques de sociabilité et de solidarité, etc.) A ce titre, elles pourraient explorer des questions telles que : quelles dynamiques sociales l’épidémie induit-elle ? Comment se manifeste la résilience du système social en contexte épidémique ? Quels stigmates l’épidémie laissera-t-elle dans le corps social ?

Les sciences sociales ont ainsi un rôle de premier plan à jouer dans la compréhension des sémiologies populaires face au COVID, les représentations sociales au sujet des causes, de la prévention et du traitement des symptômes associés au COVID-19 sans compter leur contribution dans l’analyse des multiples conséquences que l’épidémie engendre et comment elle peut concourir à la désarticulation des structures familiales et des dynamiques migratoires, sur la recomposition des pratiques professionnelles et éducationnelles (télétravail, téléenseignement, etc.). En plus des analyses sur les effets actuels et anticipés du COVID-19, les sciences sociales peuvent fournir un corpus de connaissances indispensables pour mettre en place des scénarios post-COVID-19 car, le monde va changer.

Aujourd’hui, plus que jamais, l’on comprend que les maladies sont des réalités sociales.

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