Qui l’eût cru ?
De par ces temps qui courent, la pertinence et l’actualité d’une telle interrogation se passent de tous commentaires.
Je m’interroge et vous interroge. Sans risque de me tromper, je peux avancer que même les plus alarmistes, catastrophistes, pessimistes ne pouvaient envisager une telle crise, qui en un temps record a affectée tous les secteurs de développement au point de mettre l’humanité entière au ralenti.
Pour ma part, même dans mes cauchemars les plus effroyables, mes pensées les plus sombres qui m’arrachent dès fois de force le sommeil, je n’ai jamais imaginé, un seul instant la survenue d’une telle situation, en tout cas pas de sitôt.
Coup de massue, séisme, apocalypse, le vocabulaire disponible est inapte pour décrire la situation actuelle qui a fait perdre à l’Homme la face, vaciller l’humanité en un mot donner l’impression pour reprendre Chinua ACHEBE, que le « monde s’effondre » sous le regard hagard, impuissant mais responsable de ses enfants.
Oui effectivement, l’homme perd la face et le contrôle de la situation.
Coronavirus est le nom du nouvel « Homme » fort de la planète terre, invisible certes à l’œil nu, mais règne en maitre et dicte sa loi partout et à tout le monde.
Le génie humain est mis à rude épreuve par un « hôte » indésirable, minuscule mais très puissant au point de semer la peur, la panique, la psychose qui désormais sont au quotidien les sentiments qui habitent et animent les Hommes.
Qui l’eût cru ?
Néanmoins reconnaissons que le faillibilisme de l’Homme et de la science est une tautologie et coronavirus l’a prouvé éloquemment.
L’Homme maitre et possesseur de la nature pour reprendre DESCARTES, ou l’Homme roseau pensant j’ai repris PASCAL est aujourd’hui aux ordres d’un « visiteur » invisible qui met au défi sa technicité, sa science au point de compromettre même son existence.
L’Humanité toute entière, chacun de nous, doit prendre un temps de réflexion (s’élever pour mieux cogiter), sorte d’année sabbatique bien connue et courante dans le milieu universitaire pour tirer tous les enseignements que nous impose la situation actuelle depuis « l’avènement » du Covid 19.
L’adage Wolof nous enseigne que « ce qui bouge, ce qui le fait bouger est encore plus fort », mais je m’empresserai de rajouter que ce qui bouge et nous fait bouger au point de bouleverser l’agenda mondial, notre économie, nos coutumes et us, nos cultures tout en égratignant notre foi doit nous amener à reconsidérer notre relation avec le Seul et Véritable Maitre de la terre et des cieux.
Je ne fais pas dans la théologie, encore moins soutenir l’idée que ce qui nous arrive actuellement est une épreuve, un châtiment divin qu’il faut subir avec stoïcisme, j’en appelle juste à une introspection, une sorte de remise en question individuelle et collective qui doit nous amener à explorer toutes les pistes de sortie de crise, c’est de cela qu’il s’agit véritablement, hic et nunc.
Oui, je dis bien crise car le coronavirus au-delà d’une simple question de santé publique constitue un véritable et sérieux problème de développement chez les « géants » du monde à fortiori chez nous autres qui en temps normal avions du mal à tirer notre épingle du jeu.
Ce cri du cœur est une illustration parfaite et saisissante des répercussions de cet « ami » indésirable à savoir « si le corona ne nous tue pas, la faim va s’en charger ».
La situation est sérieuse, inquiétante, préoccupante et les solutions peu évidentes au point de hanter le sommeil de chacun de nous citoyen du monde, ne parlons pas des dirigeants dont les mesures fortes prises pour faire face à l’ennemi et le vocabulaire utilisé (en guerre, lutte, riposte) traduisent la gravité du moment.
Qui l’eût cru ?
Que la Mecque, lieu saint de l’Islam serait fermé aux fidèles croyants du reste du monde. Quid de Rome également pour nos parents chrétiens.
Qui l’eût cru ?
Que dans un pays comme le Sénégal à écrasante majorité de croyants (musulmans, chrétiens) que des fidèles seraient privés (dans une logique de prévention) d’accès dans les mosquées le jour saint du vendredi et les églises le dimanche avec toute la littérature religieuse sur les bienfaits de ces prières communautaires et messes.
Qui l’eût cru ?
Que dans notre pays, le Sénégal où l’école est la voie de la réussite, sorte d’ascenseur social qui permet à un fils de « goorgorlou » de par son travail et sa discipline de gravir les plus grands échelons de l’Etat et d’en être un commis émérite, serait fermée plongeant du coup la communauté éducative dans le désarroi, l’impasse.
Qui l’eût cru ?
Que le droit de vaquer librement à ces occupations serait restreint et que la règle soit « restez chez vous » aux antipodes de nos valeurs sociétales sénégalaises avec le risque de coupure du ruban social.
Qui l’eût cru ?
Que des opposants irréductibles, acteurs de la société civile, religieux, le peuple dans son entièreté puissent se retrouver et faire bloc derrière le Président de la République pour combattre l’ennemi.
Cette mobilisation spontanée et appropriation nationale exceptionnelle a poussée certains analystes à soutenir que le coronavirus a réussi ce que le dialogue national n’a pu. Loin de nous de soutenir l’idée selon laquelle en quelque chose malheur est bon mais juste saluer ce sursaut national spontané autour de l’essentiel.
Vivement que cela puisse continuer à habiter et dompter le cœur de nos Hommes politiques pour que de bon que tout le monde puisse comprendre qu’il n’y aura pas suffisamment de bras pour bâtir ce pays, suffisamment d’énergie pour faire marcher le pays, suffisamment de bonnes idées pour manager ce pays mais plutôt comprendre une bonne fois pour toute que les problèmes de ce pays n’ont pas de couleurs et par conséquent leurs solutions doivent être l’affaire de tous.
D’ailleurs la belle formule d’un des leaders de l’opposition à sa sortie d’audience avec le Président de la République traduit bien cette prise de conscience, ce vent de décrispation du climat politique, lorsqu’il soutient que « l’eau destinée à éteindre l’incendie n’a pas besoin d’être filtrée. »
Qui l’eût cru ?
Tous les championnats du monde dans toutes les disciplines sportives ont été suspendus, une véritable industrie à milliards soudainement frappée de paralysie.
Qui l’eût cru ?
Le monde de la culture subitement aphone et laisse la place à la « star » actuelle qui fait parler d’elle en longueur de journée et de façon intempestive dans tous les médias, bouleversant ainsi leurs programmes. Même les chaines spécialisées dans la diffusion de bandes animées n’échappent pas à la règle.
Qui l’eût cru ?
Le Sénégal vit en autarcie, ses frontières avec l’extérieur fermées, à l’intérieur du pays les transports inter urbains sont interdits avec une fenêtre d’exception soumise à la recherche d’une autorisation spéciale de circuler.
Les portes de certaines maisons et bureaux fermées où on peut lire à la devanture « restez chez vous », la « teranga » sénégalaise tant chantée et vantéeest à terre.
Qui l’eût cru ?
Le monde compte ses morts par centaines, et ce, au quotidien, ici au Sénégal au moment où nous écrivons ces quelques lignes nous venons d’apprendre et enregistrer ainsi notre premier cas de décès lié au coronavirus, compte non tenu de nos compatriotes qui ont perdu la vie ailleurs.
Une pensée pieuse et nos sincères condoléances les plus attristées au monde entier, nos concitoyens d’ici et de la diaspora ainsi qu’aux familles éplorées dont les larmes n’ont pas encore séchées.
Les spécialistes et autres professionnels de la santé à qui nous tirons le chapeau et plaidons pour la revalorisation de leurs conditions de vies et de travail craignent et prédisent le pire chez nous si toutefois les mesures préventives et d’hygiènes édictées ne sont pas respectées.
Je n’ai pas envie d’enfler la polémique en revenant sur les propos de certains dirigeants d’organisations internationales qui prédisent le chaos en Afrique.
Que s’est-il passé ? Que se passe-t-il ? Que se passera-t-il ?
En tout cas, la pandémie du coronavirus nous fait vivre au quotidien une angoisse existentielle individuelle et collective.
Suis-je tenté de dire corona ça suffit ! Arrête ou on t’arrête.
« L’ami » indésirable a mis à nu les insuffisances de notre système de santé, avec des moyens, équipements très limités (cela pour autant n’enlève en rien, le professionnalisme, le mérite, le respect et la reconnaissance que nous devons à nos acteurs de la santé), notre économie qui repose essentiellement sur le secteur informel qui répond bien de son nom, sorte d’économie de subsistance, de quête au quotidien de survie ( gagner au jour le jour, son pain à la sueur de son front), notre incivisme pour ne pas dire notre indiscipline ( le mot n’est pas de trop ) car traduit simplement le non-respect des mesures et autres restrictions décrétées par le Président de la République pour le bien même des populations par certains citoyens encore inconscients.
Non ! Qui l’eut cru ? Qui l’eût cru ?
Maintenant au-delà de l’interrogation, et du constat citoyen, l’heure de l’action a sonné et ce, véritablement.
Son Excellence, le Président de la République en véritable chef de guerre a donné le ton sur un accent martial donc ferme et mobilisateur en avançant parlant du covid 19 « ne lui laissons ni la vie, ni nos vies ».
Cet accent ainsi qualifié et le regard grave du Président renseigne à suffisance sur la gravité de l’heure.
Oui reconnaissons-le, l’heure est grave (clin d’œil aux étudiants) mais profitons-en pour redresser et ce, pour de bon le gouvernail, seule véritable solution pour aller vers l’émergence tant souhaitée par le Président de la République mais tant attendue par les populations.
Monsieur le Président, cette fois ci vous tenez le bon bout. Vous avez le soutien de tout le peuple. Ecoutez, consultez tout le monde (comme vous aviez déjà commencé à le faire) mais agissez seul et vite en tenant en compte l’intérêt supérieur des populations qui vous ont mandaté.
Ce peuple surement dépassé par les événements imprévus et imprévisibles, retient son souffle, vous écoute, vous attend pour le tirer d’affaire.
Justement dans cette perspective, la situation actuelle du pays qui ne doit laisser aucun citoyen de marbre m’amène et m’impose de partager quelques propositions, certes saugrenues mais qui traduisent les aspirations profondes du citoyen «lambda » qui n’a pas eu le privilège et l’honneur d’être reçu par vous, Excellence.
A ne point en douter, des mains plus expertes, des voix plus éloquentes que la mienne ont tout dit ou presque mais pour autant je vous supplie de bien vouloir étudier ces quelques propositions citoyennes qui alimenteront la corbeille déjà remplie d’idées et de propositions aussi lumineuses que merveilleuses.
Un proverbe peul nous enseigne que « ce n’est pas le jour de la chasse, qu’on dresse son chien ».
Cette chasse contre l’ennemi, cette guerre contre l’envahisseur (car c’est de cela qu’il s’agit pour que nul n’en ignore) nous a tous pris de court pour ne pas dire au dépourvu. Et nous consentons à dire que ce qui nous surprend, nous domine.
Mais vivement et pour de bon, prenons les devants (pour ne pas être réactifs, réactionnaires), apprenons à être plus résilients, influons sur le cours des évènements en lieu et place de les subir, en un mot faisons dans la prospective.
Ainsi ci-dessous quelques propositions
I/ Sur le plan de la santé
1/ Corriger les gaps existants entre les ratios de couverture en personnel de santé et en infrastructures. A titre d’exemple le nombre de médecins, de sages-femmes, d’infirmiers par personnes dépasse largement les normes du Plan National de Développement Sanitaire et Organisation Mondiale de la Santé. Idem pour le nombre d’Hôpitaux, de centre et postes de santé, par personne dépasse largement les normes (surtout pour les régions de l’intérieur comme la nôtre, Kolda)
2/ Revoir la carte sanitaire en adressant les questions d’accessibilité géographique des personnes vers les structures de santé. Combien de personnes sont à plus de cinq kilomètres d’une structure de santé sans compter l’état défectueux des routes et les moyens précaires d’évacuation des malades.
3/ Evaluer les programmes de la Couverture Maladie Universelle surtout les politiques de gratuité (plan sésame, prise en charge gratuite enfants 0 à 5 ans, gratuité césarienne) qui asphyxient financièrement les structures de santé et les mutuelles de santé (qui ne prennent pas en charge les maladies chroniques). Malgré les politiques révolutionnaires et à haute portée humanitaire, reconnaissons tout de même que la santé coûte chère dans nos structures de santé surtout dans nos hôpitaux.
4/ Relever le plateau médical dans les structures sanitaires. Nous avons un personnel qualifié, malheureusement nous ne tirons pas le meilleur profit d’eux à cause de la vétusté du matériel et du plateau médical surtout dans les Régions de l’intérieur comme la nôtre, Kolda.
5/ Affecter sine die certaines spécialités médicales dans les hôpitaux de l’intérieur du pays. Les clients souffrants de certaines pathologies comme les maladies cardiovasculaires, urologie, orthopédistes sont de potentiels candidats impuissants à la mort.
6/ Aménager dans les hôpitaux du pays un pavillon spécial pour la prise en charge de certaines pandémie et ne pas attendre que des cas se déclarent pour aménager quelques salles.
II/ Sur le plan économique
1/ Rendre plus fort notre secteur privé en lui faisant la part belle dans les marchés publics en partant de l’hypothèse que ce qui est gagné dans ce pays y sera réinvesti. Mais à condition aussi que nos entreprises travaillent à être plus compétitives. (Une certaine presse nous rapporte à tort ou à raison votre colère face à la modestie de la contribution du secteur privé local dans le financement de la force Covid 19)
2/ Créer un environnement favorable et propice aux affaires pour accompagner des entrepreneurs en germe et attirer d’autres. Cela passera par la simplification et la diligence effective des procédures tout en travaillant avec les banques à réduire les taux d’intérêt usuriers.
3/ Créer une banque des artisans et autres acteurs du secteur informel qui aura pour mission principale d’accompagner les artisans dans le développement de leurs activités mais également en cas de chômage technique imposé comme c’est le cas actuellement ou d’accident de travail de pouvoir bénéficier de facilités pour gérer et faire face dignement à la situation.
4/ Travailler à arriver à une véritable sécurité alimentaire parce que sans cela pas de souveraineté.
Cela passera également à protéger les producteurs en faisant consommer ce que nous produisons et en faisant produire prioritairement ce que nous consommons. Et ce dans tous les secteurs (agriculture, élevage, pêche etc. 😉 Ma conviction est que si nous le voulons nous pouvons nous passer d’importer ce que nous mangeonset si nous travaillons à exploiter toutes nos potentialités nous arriverons même à en exporter.
5/ Assurer le lead auprès des autres chefs d’Etats pour que nous ayons une véritable banque centrale
III/ Sur le plan social
1/ Nous ne disons pas non au confinement mais l’adapter à nos réalités socioéconomiques ou à défaut commencer par les zones touchées pour circonscrire et empêcher la propagation du virus.
2/ Voter annuellement un fonds social d’urgence suffisamment doté pour anticiper sur la gestion des calamités et autres crises qui ont la particularité de surprendre.
Ce fonds ne pourrait être utilisé à d’autres fins. Si à la fin de l’année il n’y pas de crise (ce que nous souhaitons d’ailleurs) le reporter au budget de l’annuel suivante.
3/ Les bourses de sécurité familiales sont une excellente initiative, révolutionnaire et généreuse mais le passage de l’assistanat (qui à terme n’est pas soutenable surtout pour nos économies) à l’autonomie est à encourager et doit aiguillonner les actions futures de la délégation à la protection sociale et à la solidarité nationale.
4/ Pour une distribution équitable et transparente des appuis destinés aux populations utiliser comme porte d’entrée les collectivités territoriales sous l’encadrement et la supervision des autorités administratives comme c’est le cas pour l’enrôlement des ménages dans le programme de bourses de sécurité familiale.
5/Saisir cette opportunité pour mettre un terme à la problématique des enfants de la rue, la réglementation du transport public en évitant les surcharges (la tragédie du Diola ce n’est qu’hier) etc.
Voici à la pelle, quelques propositions qui nous l’espérons une fois tamisées pourraient humblement aiguillonner doucement mais surement notre marche irréversible vers l’émergence pour un Sénégal de Tous et pour Tous.
Salutations citoyennes et respectueuses.
Daouda SIDIBE
1er Adjoint au Maire de la Commune de Kolda
Sociologue, Consultant en Organisations et Gestion des Ressources Humaines