Jack Ma, ex-prof d’anglais, est devenu l’entrepreneur chinois le plus emblématique en faisant de son groupe Alibaba un mastodonte du commerce en ligne, dont il quitte la présidence après en avoir piloté sa diversification tous azimuts et initié l’essor fulgurant du paiement électronique.
Ce n’est pas la fin d’une époque « mais le début d’une ère », a assuré Jack Ma vendredi au New York Times en annonçant son retrait imminent de la présidence d’Alibaba, qu’il avait co-fondé en 1999.
A 53 ans –54 lundi, jour de son anniversaire–, l’homme le plus riche de Chine continuera de conseiller l’entreprise mais entend se consacrer principalement à ses activités philanthropiques dans l’éducation.
Une « passion » pour cet ex-professeur d’anglais dont les médias chinois, d’un ton parfois hagiographique, ont raconté à l’envi les débuts: son ascension à partir d’un milieu pauvre, un père peinant à faire vivre sa famille, jusqu’à la création d’Alibaba dans un appartement de Hangzhou (est), avec 60.000 dollars empruntés aux amis.
Jack Ma (Ma Yun de son nom chinois) avait décidé d’abandonner son métier d’enseignant à l’Université après avoir découvert internet et saisi la possibilité offerte aux entreprises d’échanger leurs biens en ligne.
De même, il comprend vite le potentiel des smartphones, dont l’usage s’envole: il sera le pionnier, avec son service Alipay, du paiement électronique mobile, aujourd’hui omniprésent en Chine. Des intuitions qui lui vaudront une réputation de visionnaire.
Avec ses plateformes de vente en ligne Taobao et Tmall, Alibaba domine aujourd’hui environ 60% du marché chinois du commerce de détail sur internet, selon le cabinet eMarketer.
– « Crocodile du Yangtsé » –
A l’inverse des très conservatrices entreprises étatiques ou firmes manufacturières qui dominaient l’économie chinoise au début des années 2000, Jack Ma prône rapidement une diversification incessante en s’inspirant des géants de la Silicon Valley, Amazon, eBay et Google.
« La première fois que j’ai utilisé internet, j’ai tapé sur le clavier et je me suis dit: +Voici quelque chose en quoi je crois, qui va changer le monde et la Chine+ », avait-il déclaré à la chaîne américaine CNN.
Le décollage des plateformes d’e-commerce d’Alibaba avait obligé eBay à pratiquement se retirer du marché chinois en 2006, laissant la voie libre à son rival.
« eBay a beau être un requin dans l’océan, nous sommes un crocodile dans le Yangtsé. Si nous nous affrontons dans l’océan, nous perdrons. Si c’est dans le fleuve, nous vaincrons », avait alors déclaré Ma, vantant son ancrage local.
Très admiré de ses quelque 86.000 employés, il est souvent comparé au légendaire fondateur d’Apple, Steve Jobs, même si son style est plus décontracté.
Adepte du tai chi, il s’est ainsi affiché fin 2017 aux côtés de stars d’arts martiaux dans un film promouvant cette gymnastique chinoise. Il fait volontiers référence aux préceptes de cet art martial comme technique de gestion et de management.
« Ce que la +Silicon Valley+ symbolise recouvre beaucoup du caractère chinois, cet esprit d’ouverture, de prise de risque et d’innovation », notait Porter Erisman, ex-employé d’Alibaba auteur d’un documentaire sur la société.
– « Pour 102 ans » –
Rejeté par des investisseurs américains en 1999, Jack Ma avait pris sa revanche en 2014 en paradant sur le parquet de la Bourse de New York, lorsqu’Alibaba avait réalisé la plus grosse introduction boursière de l’Histoire à Wall Street, à 25 milliards de dollars.
Déterminé à se retirer des affaires de bonne heure à l’image de l’ex-patron de Microsoft Bill Gates, Jack Ma a soigneusement préparé sa succession.
Et même s’il lâche les rênes de la gestion, il se dit prêt à continuer de conseiller la stratégie du groupe, à l’heure où la concurrence de rivaux chinois dans l’e-commerce –notamment JD.com– s’exacerbe, que Pékin durcit le ton sur la finance en ligne et que le développement international d’Alibaba s’enraye.
Jack Ma avait affirmé ses ambitions dans un mémo envoyé aux employés lors de l’introduction boursière d’Alibaba.
« Il y a 15 ans, les 18 fondateurs d’Alibaba étaient déterminés à créer un groupe mondial d’origine chinoise avec l’espoir qu’il deviendrait l’une des dix premières entreprises d’internet au monde et qui existerait pour 102 ans », assurait-il.
Mais dans un entretien à CNBC, il affichait en 2014 son humilité, se comparant au héros candide du film éponyme « Forrest Gump »: « Je suis toujours le même type qu’il y a quinze ans, quand je gagnais 20 dollars par mois ». RTL