Communication à l’Université Gaston Berger de Saint Louis De Dr. Aminata Touré, Ancien Premier Ministre, Envoyé Spécial du Président de la République
Monsieur le Recteur de l’Université Gaston Berger,
Mesdames, Messieurs les Professeurs,
Monsieur le Président du Forum des Jeunes Leaders d’Afrique
Chers étudiantes, chers étudiants,
C’est avec plaisir que j’ai répondu à votre invitation à prononcer la leçon inaugurale de la rentrée 2016 du Forum des Jeunes Leaders d’Afrique. Votre invitation m’a été transmise par votre Recteur, le Président de l’Assemblée de l’Université, le Professeur Baydallaye Kane qui encourage cette dynamique citoyenne d’organisation de grandes conférence. Ceci reflète déjà un changement qualitatif important dans les relations entre les deux acteurs-clé de l’institution universitaire à savoir les enseignants et les étudiants qui se doivent de partager un destin et une ambition commune pour l’Université Gaston Berger qui fête depuis novembre dernier ses 25 ans.
Mesdames, Messieurs,
Vous avez souhaité que je m’entretienne avec vous du rôle que l’Université doit jouer dans la construction de la citoyenneté et du changement dans notre pays. Je voudrais commencer par rappeler que la vocation essentielle de l’Université est de contribuer à la formation du capital humain des sociétés et au personnel prédisposé à conduire les destinées des peuples. Je conviens que ce n’est pas toujours sur la base du savoir que les dirigeants sont choisis. Sans pour autant être élitiste, je pense que le savoir doit quand même être un critère de sélection et de choix. Vous me direz que Ronald Reagan considéré comme l’un des meilleurs présidents par ses concitoyens n’était qu’un acteur de cinéma ou que Pierre Bérégovoy l’un des meilleurs ministres de l’Economie française commença sa carrière professionnelle comme ouvrier ajusteur-tourneur. Cher étudiants, ce sont des exceptions qui confirment la règle ! Même dans des pays dont le niveau d’organisation administrative est tel qu’ils pourraient être gérés par pilotage automatique, les dirigeants sont également choisis pour leur niveau de connaissance, de savoir et de compétence. Je ne suis absolument pas d’accord avec l’adage populaire sénégalais qui dit qu’il vaut mieux avoir de la chance plutôt qu’une licence. A mon avis, il s’agit plutôt du contraire, c’est la licence qui donne la chance de s’en sortir dans la vie. Je ne connais pas de pays qui s’en soit sorti sans que le savoir n’ait été valorisé, même les pays généreusement dotés par la nature comme ceux du Golf Arabique ont du massivement importer des ressources humaines de partout pour pouvoir valoriser leur pétrole et leur gaz.
Chers étudiants, sans savoir, la Nature reste ingrate, en usant des clés de la connaissance, elle se révèle généreuse et bienfaitrice. C’est pourquoi, je me réjouis de l’existence d’un forum de jeunes leaders au sein de l’Université Gaston Berger et je vous encourage à vous étendre sur l’ensemble des campus universitaires car c’est des universités que doivent nous venir nos leaders de demain, c’est entre vos mains que nous devons déposer les clés de notre futur.
Les travaux pionniers de Mincer (1958), Schultz (1963) et Becker (1964) ont montré le rôle spécificité du capital humain et l’importance de la formation pour expliquer les revenus des individus, tandis que l’éducation comme moteur de la croissance économique a été plus récemment analysée par Romer, Lucas, Mankiw ou Barro.
Chers étudiants, le savoir, je ne vous apprends rien vous le savez déjà, avant d’en faire usage et d’en jouir, il faut en souffrir. La quête du savoir n’est jamais une partie de plaisir, c’est une longue odyssée de renoncement, de privations et de frustration ; c’est un test d’endurance et d’humilité qui réussit contribue largement à l’avènement d’un citoyen de qualité tel que décrit déjà dans l’antiquité, c’est à dire je cite « celui qui appartient à une cité, en reconnaît la juridiction, est habilité à jouir sur son territoire du droit de cité et est astreint aux devoirs correspondants ».
Il s’agit donc du citoyen responsable qui participe à la vie sociale, qui accomplit ses devoirs et respecte la loi. Je reste convaincue que pour construire une nation développée et prospère, il faut aussi généraliser les valeurs citoyennes fondées sur le respect des règles collectives, de la discipline, du respect des autorités que nous nous sommes choisies, du travail consciencieusement accompli et la promotion par le mérite. L’adage wolof » un qui creuse pendant que dix autres ensevelissent » illustre bien l’état de notre incivisme national. Il faut le dire, cet incivisme se retrouve également dans l’espace universitaire et il convient de le combattre. Les violences récurrentes de toutes sortes, kidnappings de bus, occupations anarchiques des campus et l’ insalubrités entretenues par les occupants de l’espace universitaire sont des fléaux qui interpellent directement les étudiants qui comme je l’ai dit seront nos dirigeants de demain. C’est le fait d’une minorité dit-on souvent et j’en suis convaincue. Mais, le problème ce n’est jamais une minorité malfaisante, le danger c’est une majorité qui laisse faire. Aussi, j’encourage l’écrasante majorité des étudiants à se réapproprier leur propre espace universitaire, je les encourage à remplacer la violence gratuite par la véhémence des débats contradictoires, à recréer un espace de joutes et de rivalités intellectuelles, à dessiner et redessiner le monde de demain, un monde meilleur pour vos enfants et petits enfants. C’est certainement une définition de la vieillesse que de regretter le passé mais je me souviens avec nostalgie du bouillonnement intellectuel et idéologique d’antan des universités qui ont façonné les convictions et les combats ultérieurs de nombreux hommes et femmes politiques de notre pays dont le premier magistrat du pays, le Président Macky Sall qui a fait ses humanités académiques et affuté ses armes de futur leader à l’Université Cheikh Anta Diop.
Mesdames, Messieurs,
L’Université doit s’efforcer non seulement de former des professionnels capables de trouver leur place dans les activités de production, mais aussi d’éduquer des citoyens qui contribuent à renforcer la cohésion sociale. L’université doit donc éclairer la société sur les sujets d’intérêt national. Je suis d’accord avec le père de la pédagogie moderne Johann Heinrich Pestalozzi qui dit qu’il faut éduquer » la tête, la main et le cœur ». La tête, c’est l’acquisition de connaissance, la main la formation professionnelle et le cœur, l’engagement citoyen pour transformer sa société. C’est à mon avis faire erreur que de considérer que l’université n’a aucune responsabilité à assumer dans l’éducation civique des personnes et de centrer son activité uniquement sur la formation de spécialistes pour le marché du travail. L’éducation des citoyens est l’une des réponses de l’université aux nouvelles attentes de la société, car elle peut contribuer à ce que Jacques Delors définit comme les quatre piliers de l’éducation : » apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble, apprendre à être ». Ceci est particulièrement pertinent en ces moments de crise de la sécurité mondiale, crise qui s’ajoute pour nous pays en développement aux défis déjà nombreux auxquels nous faisons face. Nous assistons à une période sensible où il nous faut défendre ce qui nous est particulièrement cher au Sénégal, une culture et un Islam de paix, de tolérance et d’intégration des autres minorités religieuses. Il est utile de rappeler aux jeunes générations que le premier Président du Sénégal était issu d’une minorité ethnique et religieuse. Léopold Sédar Senghor, sérrère de confession catholique a triomphé de son concurrent Maitre Lamine Gueye, Lébou bon teint et muslman. Senghor a su capter le soutien des chefs religieux musulmans de l’époque et comptait de nombreux amis personnels parmi eux dont Serigne Fallou et Thierno Seydou Nourou Tall.
C’est dire que la tolérance et l’appréciation des individus pour leur qualité intrinsèque et non pour leur origine sociale, ethnique ou religieuse est fortement inscrit dans notre patrimoine génétique culturel et il s’agit de protéger ce qui fait ce particularisme sénégalais et qui nous a porté chance jusqu’ici.
L’Université sénégalaise a un rôle important à jouer dans la préservation de notre modèle socio-culturel par la promotion de l’éducation à la citoyenneté afin d’inculquer aux futurs dirigeants que sont les étudiants les attitudes et les valeurs nécessaires pour cohabiter avec son prochain et participer à l’édification d’une société tolérante et juste.
Les universités disposent, grâce à leurs programmes d’études, d’outils pour former les citoyens, elles doivent intégrer dans le contenu de leurs enseignements des questions stratégiques d’intérêt général comme les droits de l’homme, le développement durable, l’histoire et la culture, pas seulement pour préparer l’étudiant à obtenir un emploi mais aussi pour le préparer à devenir un citoyen et un dirigeant responsable, altruiste et soucieux de l’intérêt commun. Comme dit Ban Ki Moon, le Secrétaire Général des Nations Unies, notre défi est de permettre à la jeunesse de réaliser son potentiel car cette génération mondiale de jeunes est la plus nombreuse de l’histoire de l’humanité ». Il faut savoir que dans la plupart des pays affectés par un conflit, les jeunes représentent plus de moitié de la population et c’est pourquoi il faut encourager les jeunes à reprendre à leur compte les causes de la paix, de la tolérance et du respect mutuel. Pour lutter contre la propagande extrémiste et violente, il est important que des institutions comme les universités établissent un dialogue avec les jeunes et au sein des jeunes comme celui qu’on est entrain d’avoir en ce moment et qu’elles leur fournissent des moyens d’expression, à travers les enseignements, la culture, les arts ou d’autres programmes enrichissants.
Mesdames, Messieurs,
J’ai beaucoup parler des étudiants mais une université qui travaillent à promouvoir la citoyenneté et le progrès social c’est aussi des enseignants engagés au delà de leurs obligations académiques. Il faut rappeler que des universités nous sont venus les progrès de l’humanité tant au plan scientifique qu’au niveau des idées qui ont révolutionné nos façons de vivre, des idées qui ont apporté plus de justice pour les hommes et les femmes. Je voudrais donc encourager le corps professoral à continuer à développer cette vocation » civilisatrice » de l’institution universitaire. C’est tout le sens des grandes réformes universitaires apportées par le Président de la République Macky Sall qui souhaite redonner aux universités du Sénégal leur lustre et leur prestige d’antan à travers des enseignements et une recherche de qualité qui forment des citoyens prêts à relever les défis de notre émergence économique sociale et culturelle. Ceci passera par une pacification de l’espace universitaire et une bonne coopération entre les acteurs. C’est l’occasion de vous féliciter Mr le Recteur pour l’appui et l’accompagnement que vous apportez au Forum des Jeunes Leaders qui incarne cette génération de jeunes sénégalais qui ont foi en leur destin, au destin du Sénégal et de l’Afrique. Ceci est un formidable encouragement pour tous ceux qui ont la certitude que l’avenir du monde se jouera en Afrique, continent de toutes les opportunités.
Je vous remercie de votre aimable attention.
Avec Setal.net