« J’apprends avec effroi ce qui se passe en Syrie, plus précisément dans le village de Kessab peuplé majoritairement par des Arméniens », nous écrivait, , Hakob, d’origine arménienne. Selon lui, les Arméniens s’y font « massacrer, dépouiller, violer sans que personne ne réagisse, sans que les médias s’y intéressent vraiment ». Il n’est pas le seul à tenter de sensibiliser les médias et l’opinion publique. Kim Kardashian, star de la télé-réalité, reine des magazines people, a publié ce tweet, le 31 mars dernier: « Si vous ne savez pas ce qui se passe à Kessab, s’il vous plait, googlez-le. Cela brise le coeur. En tant qu’Arménienne, j’ai grandi en entendant tant d’histoires douloureuses », tweetait-elle dans le cadre de la campagne de sensibilisation #SaveKessab sur Twitter. Comme Hakob, Kim a des racines arméniennes (). Son arrière-grand-père et le père de celui-ci ont été forcés de quitter leur maison au lendemain de la première guerre mondiale lorsque débutèrent les persécutions et massacres contre leur peuple (voir plus bas).
Fin mars, la plupart des 2500 habitants arméniens de Kessab ont dû quitté leur village, situé en Syrie près de la frontière turque, après qu’il a été conquis par les rebelles (en guerre contre le pouvoir de Bachar El-Assad depuis trois ans) et leurs alliés jihadistes, a rapporté l’. Ils se seraient réfugiés à Latakia, une ville portuaire encore sous contrôle du gouvernement, .
Les deux-tiers des Arméniens massacrés dans les déserts de Syrie il y a près d’un siècle
Les combats contre les forces gouvernementales de Bachar El-Assad ont fait rage pendant plusieurs jours à Kessab. La violence, la peur et l’exil ont ainsi rattrapé les Arméniens de ces lieux, descendants des rescapés des massacres perpétrés en d’autres temps, un siècle plus tôt. Entre 1915 et 1916, les deux-tiers des Arméniens d’Anatolie et du haut-plateau arménien étaient déportés et massacrés méthodiquement dans les déserts de Syrie et de Mésopotamie sur l’ordre du gouvernement Jeunes-Turcs de l’Empire ottoman. Ce fait constitue le premier génocide du XXe siècle, avec 1 500 000 victimes, . L’utilisation du terme « génocide » crispe régulièrement la Turquie qui ne reconnait pas celui-ci. Pour fuir les massacres, nombreux furent les Arméniens à fuir leurs terres et commencer une nouvelle vie dans de nombreux pays à travers le monde, formant ce qu’on appelle la diaspora arménienne. En Belgique, cette diaspora compterait plus de 25.000 personnes dont Hakob qui nous a alertés sur le sort des siens à Kessab.
Une stratégie d’épuration ethnique comme il y a un siècle ?
Selon Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO) l’enjeu dissimulé derrière cette bataille « officiellement » menée pour s’emparer d’un poste frontière, est tout autre. « Les rebelles n’ont pas besoin de passer par ce poste frontière pour faire venir des armes et des munitions, ils traversent facilement par les collines boisées du Djebel turkmène plus au sud, explique-t-il . La prise du poste frontière n’est qu’un prétexte, nous sommes face à une stratégie d’épuration ethnique à l’égard de la population arménienne de Kessab », affirme-t-il encore.
Un soutien militaire déterminant de la Turquie ?
Cette prise du village n’aurait été rendu possible que par le soutien militaire de la Turquie. « Les rebelles se sont facilement emparés du village avec le soutien des autorités turques, ces dernières empêchant l’aviation syrienne d’épauler les combattants arméniens et l’armée régulière », assure Fabrice Balanche. Le dimanche 23 mars, un avion militaire syrien a été abattu par la défense antiaérienne turque alors qu’il bombardait des rebelles essayant de prendre le contrôle de Kessab. « Je félicite le chef d’état-major des forces armées et les valeureux pilotes » déclarait le Premier ministre turc Recep Tayyip. La Syrie de son côté accusait l’armée turque d’avoir « fourni une couverture pour une attaque terroriste » dans ce secteur, et d’avoir permis aux insurgés de s’infiltrer depuis la Turquie.
Si de nombreux Arméniens de la diaspora voient dans les événements de Kessab un rappel de l’animosité des Turcs vis-à-vis de leur peuple, d’autres y voient un conflit de religion. Les Arméniens sont chrétiens. L’Arménie est même considérée par certains comme le premier Etat chrétien au monde. La conversion remonte au 3e siècle (). Les forces rebelles qui les ont attaqués à Kessab sont, elles, musulmanes.
L’appel à l’aide d’un habitant arménien de Kessab: « Une pluie de missiles sur notre ville »
Rares sont les médias francophones à avoir relaté cet évènement mis à part France24 et le HuffingtonPost (). Suite à la prise de Kessab, les Arméniens ont lancé un appel à l’aide. A la lecture de cet appel, on constate que dans l’esprit de ces auteurs, la Turquie agit comme il y a un siècle.
Voici cet appel à l’aide publié par :
« Le 21 mars 2014 notre belle ville a été brutalement attaquée par des extrémistes liés à Al-Qaïda, avec la bénédiction et le soutien logistique du gouvernement turc et de ses militaires. Avant le lever du soleil, nous nous sommes réveillés avec l’horreur d’une pluie de missiles et de roquettes qui tombaient sur notre ville. Des milliers d’extrémistes ont traversé les frontières vers notre ville. Des missiles ont été tirés de la Turquie afin de détruire la belle Kessab et pour célébrer l’approche du 100e anniversaire du génocide arménien.
Des héros Kessabtsis ont défendu la ville avec leurs simples armes de chasse jusqu’à ce que les forces du gouvernement syrien viennent se battre dans notre ville. Si les Kessabtsis n’ont pas été informés de quitter leurs maisons par ces héros, le monde aurait vu en silence encore un autre génocide et aurait compris par tous les médias une autre version des mensonges.
Kessab a toujours été à la maison de milliers d’Arméniens pendant des siècles. La première tragédie déchirante à Kessab est arrivée en avril 1909, quand une foule de milliers de Turcs a attaqué Kessab, volant et brûlant des maisons: 161 Arméniens ont été tués dans cette attaque brutale. En 1915, pendant le génocide arménien, les troupes turques sont entrées en Kessab et ont commencé à déporter les Arméniens et ont tué près de 5000 Arméniens de Kessab. Le génocide arménien par les Turcs en 1915 a coûté la vie d’un million et demi d’Arméniens.
Davantage dArméniens auraient été tués en Syrie si rien n’avait été fait. Les Arabes en Syrie nous ont protégés, ont pris soin de nous, nous ont aidés à nous remettre sur pied et nous ont aidés à survivre à travers cet horrible souvenir de la mort et de la destruction et nous leur serons éternellement reconnaissants. Depuis, nous vivions dans la paix et l’harmonie avec les autres religions, comme une grande famille dans une maison appelée la Syrie.
« Aujourd’hui, nous avons besoin d’aide une fois de plus, parce que, malheureusement, le gouvernement turc a osé attaquer les Arméniens une fois de plus en ignorant le cas arménien. Avec cet acte, la Turquie a refusé, encore une fois, de reconnaître le génocide arménien réalisé par les Turcs et à aider l’assassinat de plus d’Arméniens en Syrie. Nous n’avons rien contre le peuple turc. Nous avons vécu en tant que voisins avec eux et que vous voulons continuer à vivre comme des voisins avec eux. C’est le gouvernement turc, qui soutient et facilite l’assassiner de Kessabtsis par des terroristes que nous critiquons. Nous voulons juste retrouver notre ville ou ce qu’il en reste. Nous sommes le coeur brisé par les nombreuses vidéos et photos qui montrent comment ces extrémistes sont en train de détruire et brûler notre belle ville. Tous les Syriens savent que là où ces extrémistes entrent, la mort et la destruction restent derrière eux.
Nos maisons nous ont été prises, des siècles de notre patrimoine ont été détruits
Ceci est un appel à tous les Arméniens. Ceci est un appel à l’humanité. Le monde a besoin d’entendre la vérité. Erdogan et son gouvernement sont des criminels de guerre. Nous avons besoin de votre aide. Nous avons besoin de prendre des mesures. Nos vies dépendent des actions que vous allez faire pour nous assurer que nous ne mourons pas. Nous avons été obligés de quitter nos maisons et de notre ville avec rien sauf les vêtements que nous portons. Si nous avions recueilli même le strict nécessaire, nous serions certainement morts. La plupart d’entre nous ne peuvent même pas y échapper, parce que nous n’avons pas nos passeports ou documents d’identification. S’il vous plaît, appeler à l’intervention de vos gouvernements, de l’ONU, de toute autre autorité que vous croyez qui pourraient nous aider. Tout ce que nous voulons faire est de vivre. Si vous ignorez ceci, nous allons tous mourir d’une mort horrible aux mains de ces terroristes, massacrés de sang-froid comme beaucoup d’autres Arméniens à Alep, Yacoubiyeh, Ghenemiyeh, et autour de la Syrie.
Ceux que vous appelez les rebelles sont des extrémistes qui sont venus en Syrie pour le djihad avec de nombreuses nationalités parmi eux comme les Afghans, des Tchétchènes et des Saoudiens. Les Kessabtsis et toute la Syrie les ont vus et ont été attaqués et tués par eux. Les médias ne peuvent pas cacher éternellement la vérité. Ceux que vous appelez les rebelles visent des attaques contre des civils. Nous vivions tous en paix et heureux, il y a seulement trois ans. Ce n’est pas une révolution, c’est la guerre. Et l’armée syrienne est maintenant à Kessab, se bat pour s’assurer que les Arméniens vont retourner dans leurs foyers en toute sécurité. »
Source: RTLInternational