vendredi, mars 29, 2024

MARCHES DU QUOTIDIEN – Assane Diop, ministre-conseiller, sur la Cmu : «Ne nous précipitons pas»

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Gravir les marches du Quotidien a été aussi une occasion pour le nouveau ministre-conseiller du Président Macky Sall d’affirmer sa maîtrise sur des questions et des activités dans lesquelles ses compétences sont avérées. Aussi, dans la seconde partie de cet entretien, le ministre Assane Diop s’est-il exercé à délivrer tout son savoir et ses connaissances en ce qui concerne la protection sociale de manière générale, mais également à un des projets-phares du chef de l’Etat – la Couverture maladie universelle –, ainsi que des questions relatives à l’emploi, au milieu sanitaire dont il a eu à assurer la tutelle sous le régime du Président Abdou Diouf, ou à l’émiettement du mouvement syndical dont il a été un des grands acteurs.

Au moment où le Sénégal est en train d’enclencher son processus de Couverture maladie universelle, vous qui avez une expertise sur la question, pensez-vous que la démarche entreprise par le Sénégal a une certaine cohérence et peut tenir la route à plus ou moins long terme ?

Je pense que le Sénégal est aujourd’hui en mesure d’avoir sa Couverture maladie universelle parce qu’il est à mi-chemin de deux expériences importantes. On a beaucoup parlé de l’expérience du Ghana. Ce pays a commencé la mise en place de la Couverture maladie universelle depuis 1989, si je ne me trompe pas. Les Ghanéens ont fait du chemin, avec différentes étapes, des districts jusqu’au niveau national. Ils n’ont pas encore totalement bouclé leur Couverture maladie universelle.

La deuxième expérience assez intéressante en Afrique, est celle du Rwanda. C’est une expérience à part, dans la mesure où nous avons un régime assez dirigeant, si le terme est exact, direct. Le Président de ce pays a donc pris d’importantes décisions, dans un processus assez accéléré, pour mettre en place la Couverture maladie universelle. Toutefois, vous verrez que le Sénégal n’est ni le Ghana, ni le Rwanda. Nous sommes le Sénégal avec tout ce que cela veut dire comme réalités sociologiques.

Et handicaps, non ?

Peut-être. Mais c’est vous qui le dites. (Rires). Quelque part, c’est vrai, il faut le reconnaître. Pourquoi dis-je que le Sénégal a la possibilité d’avoir sa Couverture maladie universelle en me basant sur deux expériences ? C’est que nous ne partons pas de rien. Nous avons un processus assez intéressant dans la mesure où, quand j’étais ministre de la Santé et de l’Action sociale, on a eu l’Initiative de Bamako. C’était la première étape qui a permis l’implication des communautés à la prise en charge de la santé. Elles ont commencé à s’investir sur le plan financier. Et cela était accompagné par différentes mesures, comme les médicaments génériques, l’implication des différentes associations de femmes, de la société civile etc.

Quand j’ai senti qu’un pas important a été franchi et les populations elles-mêmes ont compris le sens de participer à l’effort de santé, nous avons créé les comités de santé. Ils ont permis une implication plus directe des populations dans la gestion. Mais c’était limité. Les populations étaient représentées par des présidents, des membres de bureau qui travaillaient en étroite collaboration avec les médecins.

Après cela, si on regardait un peu les archives à l’Assemblée nationale, on se souviendra que quand j’ai défendu mon dernier budget, j’insistais que le Sénégal était assez mature pour aller vers un élargissement de la sécurité sociale, après avoir lancé l’initiative sur les Mutuelles de santé. J’avais commencé à monter un dossier dans ce sens. Après, on a perdu les élections et je suis parti. Ce dossier a quand même continué à mûrir.

Avec le Président Wade, on a connu le Plan sésame qui est la prise en charge médicale des personnes du troisième âge. On a vu que cela a abouti à un surendettement des hôpitaux, qui ne s’en sortent plus depuis lors. Et maintenant, vous voulez qu’on prenne toute la population en charge…

C’est un processus assez long et assez lent, et c’est nécessaire. Si on veut éviter l’échec, il est important d’avoir tout ce processus-là. En 2001, alors que j’étais au Bureau international du travail (Bit), nous avions lancé, au niveau international, au niveau de nos 185 Etats membres, la réflexion sur l’extension de la sécurité sociale. C’était ce qu’on a appelé après le nouveau consensus, qui appelait à une campagne mondiale pour l’extension de la sécurité sociale. Ce qui rejoint ce que je faisais au Sénégal pour que les gens aient leur sécurité sociale élargie. J’ai lancé ici, en 2004, avec justement le Président Wade, l’esprit de l’extension de la sécurité sociale au Sénégal.

Nous avons donc fait la campagne africaine à Dakar. L’idée était de faire en sorte que les acteurs qui sont dans l’économie informelle et rurale puissent avoir accès aux soins. C’est ainsi que nous avons essayé avec les transporteurs routiers. Nous l’avons fait avec le Cnds (Ndlr : Comité national du dialogue social) que dirige Youssoupha Wade. Nous les avons aidés à monter leur mutuelle. Et ça fonctionne encore d’ailleurs.

Nous avons fait le Plan sésame. Il est généreux en matière de vision politique. Mais, comme toute action qui va dans le domaine de la santé et ailleurs, il faut faire des études très poussées. L’idée était généreuse mais il est important que nous puissions savoir l’impact de cette mesure politique de haute portée sur les finances publiques et sur le fonctionnement des structures de santé.

Nous aurions dû savoir par exemple qu’au Sénégal, nous avions tant de personnes qui sont concernées – la fourchette – et faire des prévisions qui nous permettraient de savoir chaque année combien vont s’ajouter à ce nombre au départ, et avoir dans le budget national, la couverture nécessaire pour payer aux structures sanitaires les soins qui ont été prodigués à ces personnes-là. Voilà ce qu’il fallait faire.

Donc ce n’est pas parce que les hôpitaux sont surendettés sur cette question-là que le Plan sésame lui-même n’est pas bon. Le Plan sésame est généreux.

Il y a autre chose, il y a les soins de la prise en charge gratuite des enfants de zéro à cinq ans, la prise en charge pour les césariennes etc. Ce sont des programmes du ministère de la Santé, mais il faut les évaluer et voir quel est leur impact financier et comment les prendre en charge. Heureusement que le professeur Eva Marie Coll Seck a fait les études nécessaires sur ces questions-là.

Maintenant, qu’est-ce que le fonctionnement de la Couverture maladie universelle ? C’est ça qu’il faut comprendre. La Couverture maladie universelle, c’est organiser les populations selon leur capacité contributive à participer à la prise en charge de leurs soins. Cela veut dire quoi ? Il faut avoir des données précises au niveau de l’ensemble des acteurs qui ne sont pas couverts. Ils sont où ? Dans l’économie informelle et rurale. Et cela constitue 95% de la population active du Sénégal et c’est ça qui m’amène à dire que dans le meilleur des cas, il n’y a que 10% des travailleurs qui sont couverts par la sécurité sociale. Donc, nous allons avoir 90% à couvrir.

Parmi cette population, qui peut cotiser et qui ne peut pas ? Il faut donc faire un diagnostic assez précis et savoir qui doit être assisté. Si on a un diagnostic précis, nous pouvons savoir à combien nous pouvons proposer la contribution des gens, parce qu’il y a des gens qui peuvent contribuer 3 500, ou 2 000 francs Cfa. Je ne présage pas du taux mais j’amène l’esprit et la démarche. C’est ça qui va nous permettre et, le ministère de la Santé travaille à ça, d’arriver à dire au Sénégal, dans la population non couverte, les 90% peut-être 65, ou 70% ont une capacité contributive allant de tant à tant. Avoir une bonne moyenne et faire le travail au niveau de ces populations-là. Cela veut dire que si ces populations contribuent de manière régulière, il va falloir maintenant les organiser dans une structure. Quelle sera cette structure ? Je ne sais pas. Mais la conviction forte que j’ai, c’est que cette structure devra être indépendante dans son fonctionnement et indépendante dans sa gestion. C’est ça qui va crédibiliser fortement la structure et qui va amener les populations à la contrôler et aller ensuite en négociation avec les structures de santé, pour des paquets de soins bien précis. Cela va être un flux financier important dans le système sanitaire. D’où la nécessité d’avoir toute la transparence requise pour le suivi nécessaire et une bonne négociation pour une entente claire là-dessus. Si nous avons ça, les structures de santé auront la capacité financière pour mieux s’épanouir.

Nous avons une très bonne carte sanitaire au Sénégal. Meilleure en tout cas que celle de beaucoup de pays africains. Ce qu’il faut, c’est améliorer l’offre de soins et arriver à ce que cette masse d’argent qui va arriver dans les structures sanitaires, avec une traçabilité claire, puisse permettre aux structures de santé de répondre aux besoins des populations.

Donc, le Sénégal est bien capable de le faire. Mais, ne nous précipitons pas. Prenons le temps de parler aux populations, de faire une large campagne. Prenons six mois s’il le faut, que dans tout le pays, dans toutes les strates, partout, les corporations, les associations, la société civile, que tout le monde s’y mette. Que la radio, les télévisions, les journaux, pendant le temps qu’il faudra, parlent aux populations, clarifient les questions, répondent aux interrogations pour que les gens en fassent leur affaire. Que les gens disent : « C’est notre problème maintenant et c’est comme ça que ça va marcher,…

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