jeudi, mars 28, 2024

Fréquence des suicides dans nos sociétés : Le regard de la sociologie

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 « J’ai appris que la vie ne vaut rien, mais que rien ne vaut une vie » Cette citation est d’André Malraux (1928) dans son roman intitulé « Les conquérants ».

Stig Dagerman, un brillant écrivain suédois ira dans le même sens lorsqu’il avertissait que « notre besoin de consolation est impossible à rassasier ». Il y ajoute : « Je traque la consolation (réconfort, bonheur) comme le chasseur traque le gibier. Partout où je crois l’apercevoir dans la forêt, je tire. Souvent je n’atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds ».

En effet, pour ces deux penseurs que nous venons de citer, malgré la brutalité de l’existence et les difficultés socio-économiques que nous subissons tous et qui constituent aussi notre raison d’être sur terre, il y a toujours une plage d’espoir à garder pour notre vie.

Contrairement à cette vision tout à fait optimiste et rassurante, il semble vrai qu’aujourd’hui nos sociétés donnent une image plutôt catastrophique de la vie avec une fréquence de suicides jamais égalée dans l’histoire.

Si le phénomène a toujours existé, il a atteint à ce jour des proportions inquiétantes. Jeunes comme adultes, vieux, hommes comme femmes, le suicide ne cesse d’augmenter et s’impose du coup comme une fatalité et une réalité banalisée au gré de sa récurrence avec un caractère multiforme.

 Voilà une raison suffisante pour creuser les sillons de ce phénomène et tenter de comprendre ses causes profondes. Sur ce plan, l’analyse sociologique nous permet d’avoir une compréhension plus ou moins claire de ce mal qui donne matière à inquiéter les esprits car, par ce canal nous perdons souvent l’opportunité de garder des individus d’une certaine valeur, qui mettant volontairement fin à leur vie ne nous avertissent jamais, mais laissent derrière eux les séquelles de blessures sociales souvent non cicatrisées que nous ignorons délibérément ou non.

De prime abord, il faut noter que le suicide bien que condamné par la religion a des causes externes. Dit autrement, le suicide a des implications toujours partagées et à ce stade, il y a une forte responsabilité de notre société jugée défaillante dans sa mission d’intégration des individus au groupe social et d’éducation au vivre ensemble. Cela n’évacue en rien la responsabilité personnelle des victimes dans l’acte commis.

Mais, notons que la cause commune souvent évoquée par les suicidés qu’ils l’avouent ou pas avant l’acte de mort est la déception sociale globale, l’angoisse existentielle pour une société qui prétendant inclure, exclut et fonctionne un peu comme une machine à discrimination, en mettant en place un espace de compétition sans merci, en créant ses propres victimes, ses propres catégories vulnérables, ses pauvres et ses faibles.

Mieux, qu’il s’agisse de l’affaire du Docteur Falla Paye ou de bien d’autres cas, les raisons évoquées sont semblables : trahisons, rapports de forces, souffrances psychologiques longtemps endurées ou vécues dans le silence, dominations  entretenues, accumulation de frustrations et blessures émotionnelles internes non révélées qui constituent des zones de traumas cachées, conditions d’existence dégradantes, éducation ratée, désarroi, corruption presque légalisée avec des lois souvent tordues au bon vouloir des puissants, découragements quant aux procédures judiciaires souvent instrumentalisées et contestées, incapacités de s’intégrer au rythme de la société, droits sociaux bafoués, injustices, inégalités, précarité sociale, carences en matière de politiques sociales, publiques, mauvaise gouvernance, chômage et problèmes d’insertion professionnelle, bref, incertitudes, déficit de confiance, altération des liens et faible cohésion sociale, absence de repères sociaux, isolement ou sentiment d’être seul face à ce combat contre la vie ou contre tous, pessimisme et manque d’espoir quant à un avenir meilleur.

En réalité, le tableau n’est pas exhaustif et le poids de l’individualisme vient renforcer cette situation, dans la mesure où notre société ne repose plus sur des socles assez solides avec un contrôle social et un mécanisme d’alliances transformées en défiances, en méfiances et faite de conflits plus prégnants, une communication plus violente qu’une protection des individus laissés à leur sort au nom de désirs et de libertés illusoires, faute de régulateurs et de médiateurs. A cela, il faut ajouter une certaine tendance caractérisée par la mort des thérapies socioculturelles et familiales relayées en grande partie par l’irruption des technologies (faible soutien de la famille, faible attention à l’autre, des voisins, parents et amis, espionnage et surveillance à outrance).

Ce vide laisse souvent libre cours à des tendances suicidogènes, accroit le développement de signaux rouges et des mécanismes d’alertes que la société ne prend pas le soin de prendre en charge pour d’éventuels accompagnements.

D’ailleurs des sociologues comme Durkheim, n’y va pas à quatre chemins.

Selon lui, le suicide a une cause sociale et demeure un fait social proportionnel au degré d’intégration de l’individu d’où la complicité non avouée du groupe et de notre environnement.

Ainsi, plus l’individu est victime de jugements dévalorisants, se sent écarté et stigmatisé par le système socioéconomique en question, isolé des sphères de décisions, plus il a une propension à développer des pensées négatives et des comportements qui sont de nature à donner fin à sa vie.

Quoi qu’il en soit, des solutions à ce problème social, il en existe et il urge de travailler profondément sur la question par des approches pluridisciplinaires mettant à contribution sociologues, psychologues, économistes, juristes, géographes, psychanalystes et religieux par une éducation plus inclusive mettant au centre l’individu, assurer sa protection, raffermir les liens au sein des couples, encadrer la cellule familiale par rapport à sa mission de socialisation primaire, faire beaucoup de sensibilisations et de plaidoyers pour une communication plus responsable et non violente en développant une forte sensibilité aux catégories sociales vulnérables.

                Ghansou Diambang,

sociologue et travailleur social

                        77 392 86 58/76 847 75 99

gdiambang@yahoo.fr

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