jeudi, avril 25, 2024

Grand reportage à KOLDA : Le village de Badion, un élan collectif sur les chemins du savoir

Ne ratez pas!

Les habitants du village de Badion, à Kolda, ont les mains nues, mais ont été armés de leur générosité face aux pesanteurs sociales qui plombent leur volonté de promouvoir l’éducation. A présent, ils voient le satisfecit présidentiel, formulé au soir du 3 avril, déchirer le voile épais de leur anonymat.
Situé dans l’extrême Sud-est du département de Médina Yoro Foula, Badion n’est plus un site enveloppé des pénombres de l’ignorance. La grosse lumière de l’engagement communautaire balise les chemins du savoir.
Moment solennel de communion avec le peuple, le discours du chef de l’État a ravivé, chez les habitants de cette localité, un sentiment d’appartenance au Sénégal. Immersion dans un village où l’élan collectif est une lumière sur les chemins du savoir.

C’est bien plus qu’une lointaine rumeur, ce succès communautaire face aux ombres de l’ignorance. C’est encore bien plus que quelques bons mots placés pour la circonstance et vite oubliés dans les dédales des urgences républicaines. Badion porte la marque indélébile d’un élan citoyen en faveur d’un ancrage dans le champ du savoir. Le satisfecit présidentiel, décerné en un moment de solennité dans la ronde des grands jours de la République, rapproche Badion de toutes les autres localités sénégalaises, mais aussi de tous les cœurs emplis de l’envie d’écrire, dans les pages de notre histoire collective, les lignes d’un don de soi à la communauté. Par la magie de la compassion et des initiatives qui frappent les esprits, Badion devient donc si proche, malgré les centaines de kilomètres à parcourir !
Ce village est un rayon à la rencontre duquel il faut aller en traversant la ville ensoleillée de Kolda. En cette matinée du mercredi 10 avril, il est 9 heures 19. La Route Nationale 6, puis la route goudronnée serpentant le célèbre quartier Sikilo légitiment, avant le Conseil des ministres délocalisé, l’érection d’infrastructures modernes dans cette ville du Sud. Au bout de ce cordon goudronné passant devant la Senelec, la voiture s’engage dans une piste latéritique. Le triptyque prudence, rapidité et dextérité est plus que jamais nécessaire sur ce chemin raviné par les intempéries et les effets du temps. Tenant fermement le volant, le conducteur, Bocar Dème, revigoré par la dernière chanson fétiche de Coumba Gawlo, appuie sur l’accélérateur. La voiture bondit, à l’image des gazelles qui cabriolent dans les prairies. La voiture fonce et nous nous enfonçons dans une pression arbustive. Nous voici dans les délices de la nature qui échappent encore à la main destructrice de l’homme. Par endroit un décor sans fard d’un monde qui résiste au désert surgit des lames dévoreuses de végétation. De part et d’autre de la route, une colonie de Kaya senegalensis par ci, un peuplement de fromagers par là, des ramifications de Saba senegalensis appelé « mad » en wolof surplombent une diversité d’arbustes.

Une marque de considération
Dans les bas-fonds et surtout dans les rizières à l’entrée ou à la sortie des villages, des palmiers résistent au temps. Une végétation splendide alterne avec un paysage terne. Le tapis herbacé et des arbres sont calcinés par endroits par les feux de brousse. Les chaumières s’étalent à mesure que les hameaux défilent. Nous traversons Saré Madiou, Saré Boydo, Saré Guiro, Saré Dickel… Nous atteignons l’arrondissement de Fafacourou à 10 heures 19. Il reste 25 kilomètres à parcourir. De l’intersection avec la voie de Dabo, nous remontons vers le Nord et entrons dans une forêt clairsemée. Puis, cap vers la partie Sud-est du département de Médina Youro Foula qui fait deux fois la région de Thiès. Des chaumières trônent au milieu des arbres et arbustes comme des îlots flottant sur l’océan. Les minutes s’égrènent. La température monte. La voiture roule vers sa destination entrée, un soir, dans le registre populaire des hauts faits citoyens. A 11 heures 46, après avoir traversé le bas-fond, le village de Badion apparaît à l’horizon, un village fondé par Ardo Sow vers les années 1500. On y a dénombré 615 âmes au dernier recensement.  En langue mandingue, l’actuel site signifie « grenier ». « Badion vient du mot mandingue qui veut dire grenier. Jadis, après les récoltes, les habitants du village laissaient leurs récoltes dans les champs. Quand ils avaient besoin de la nourriture,  ils  venaient en prélever et repartaient au village qui se trouvait, dans la partie basse située à l’entrée », raconte El Hadj Yaya Seydi. Certes, les anciens  greniers ont  perdu  leur  vocation, mais les héritiers des fondateurs refusent toujours de baisser les bras. Ils veulent rester dignes de l’abnégation des anciens. Un don de soi légué aux continuateurs de l’œuvre communautaire dans leur relation à l’éducation.

Le « grenier » de générosités
Depuis le mois de février 2013, Badion est associé à l’implication communautaire dans la gestion de l’école, en particulier, de leur Collège d’enseignement moyen. Ici, l’engagement citoyen et le sentiment d’appartenance au Sénégal sont renforcés depuis le 3 avril 2013. « Il y a combien de communautés rurales au Sénégal ? Combien de Cem qui ont des abris provisoires ? Le fait que le président de la République ait cité la reconstruction du Cem par les villageois de Badion est une marque de considération à notre égard. Nous nous sentons plus Sénégalais aujourd’hui. Cela nous donne plus de confiance », se félicite le président des parents d’élèves du Cem de Badion, Babacar Diallo. Depuis le discours du chef de l’État, c’est l’union sacrée autour du Cem. Sous le bureau du Principal couvert de tiges de mil jetées sur les lattes portées par quatre piquets, les notables du village, El Yaya Seydi, Samba Senghor Diallo se laissent emporter par des conversations. « Je ne me rappelle pas du passage, dans notre village, d’une autorité au niveau central, depuis que nous avons reçu le ministre de l’Education Serigne Mbaye Thiam. Cette année encore, le président de la République a fait référence à notre village. C’est une marque de considération pour nous. Nous attendons qu’il vienne visiter Badion », s’exprime Samba Diallo. Cette marque de confiance ou de considération pèse comme une obligation morale de poursuivre la belle œuvre.
Leur action civique, offerte en exemple lors du discours du 3 avril 2013, oblige les uns et les autres à se mobiliser pour lutter contre les facteurs socioculturels qui entravent la scolarisation des fils du village. « À partir de cette année, les mères d’élèves méneront plus d’actions de sensibilisation contre les grossesses et les mariages précoces. Nous étions proches des collégiennes. Si nous sommes informées des problèmes ou de l’absence de l’une d’elles, nous intervenons pour la sensibiliser ou la soutenir au plan social et psychologique. Nous allons continuer ce travail », assure la présidente des mères d’élèves, Binta Mballo. « Nous n’avons pas de doléances à formuler, même si nous en avons ! Le discours du chef de l’État nous a profondément touchés. Nous ne pouvons jamais l’oublier. Nous attendons la construction et la clôture de notre Cem. Notre souhait, c’est que le Principal et l’équipe pédagogique restent encore pour nous accompagner », insiste le chef du village, Mamadou Amadou Mballo.
Des passoires des périodes fastes des récoltes ornent les abords de la route. À l’entrée, l’école primaire, cernée d’une clôture, fait face au poste de santé composé de bâtiments peints à l’ocre. Derrière le mur de la structure sanitaire, se trouve la place publique, avec ses arbres tricentenaires. Près de la maison des marabouts, les femmes pilent le mil dans des mortiers. Des maisons en dur, peintes en jaune ou bleu, et d’autres en construction, côtoient les chaumières appelées, en langues locales, «Soudou ho do ». Badion n’est pas électrifié. La tradition architecturale nargue la modernité. Les portables sont rechargés au poste de santé équipé d’un panneau solaire. Ici, tous réclament l’électrification. Pourtant, le rapport à la nature a ses avantages liés à la faculté d’adaptation. « Ce sont des maisons en paille. Lorsque vous êtes à l’intérieur, il fait moins chaud », se plaît à souligner un écolier.

L’enclavement, un frein au développement économique
Sur la partie Nord-Ouest du village, sur cette route latéritique menant vers la frontière gambienne située à 19 km, flotte une flopée de cantines. C’est le marché hebdomadaire. Les cantines sont faites de bambou et de tiges de mil. Cet espace d’échanges et d’écoulement des produits locaux est victime de l’isolement et de l’enclavement de cette communauté rurale. « Badion est dans le département de Médina Youro Foula qui est à  62 km. Il est à 30 km de Vélingara et 75 km de Kolda. L’accès est difficile. L’unique « Horaire » (car de transport) arrive le mardi pour emmener les habitants au marché de Diaobé. Il revient le mercredi pour repartir le jeudi matin. En dehors de ces 2 jours, il est impossible de sortir de Badion en voiture. Durant l’hivernage, c’est pire. Je peux même dire que  notre marché hebdomadaire ne fonctionne pas », confie Babacar Diallo. Les grandes artères datent des années 87 et 98. Entouré de toutes parts par des formations arbustives et forestières, le village offre des potentialités agro-sylvo-pastorales.
Les prairies perlent les formations arbustives. L’élevage, l’agriculture et aujourd’hui le commerce sont les occupations des Peulhs, Mandingues, des Cognagis de Badion. « Le manque d’eau est un frein aussi bien à l’élevage qu’à l’agriculture. Si le village disposait d’un forage, il y aurait moins de pertes de bétail. Nous pourrions aussi diversifier les cultures», affirment-ils, presque en chœur, sous le regard du Principal et d’autres fils du village. La nappe phréatique est à 22 m. Après le discours du président Macky Sall, le village est sorti de l’anonymat. L’espoir renaît chez tous.

Union sacrée sur les décombres des abris provisoires
Les flammes ont réduit en cendres les 5 salles de classe faites de bambous, sous une toiture de paille et de tiges de mil. L’incendie de triste mémoire du vendredi 8 février 2013 n’a pas consumé la volonté militante des habitants de Badion en faveur de l’éducation. En 3 jours, ils ont refait leur établissement. Cet engagement communautaire a bien ses secrets et ses motivations.
La voiture du quotidien « Le Soleil » s’immobilise au milieu Cem peu avant que l’astre du jour arrive au zénith, à la sortie de Badion, sur la route de Vélingara. Les rayons incandescents imposent leur loi aux hommes et à la nature. Un vent chaud et sec balaie la plaine boisée. L’établissement est au Nord du village, à la lisière d’une vaste étendue de formations arbustives. Les couleurs du drapeau sénégalais qui flotte sur un mât d’environ 4 m de haut, nous servent de repère. Nous sommes bien au Cem de Badion. Des indices supplémentaires sont dans la cour. Des tables-bancs, entièrement ou à moitié calcinés, sont disposés pêle-mêle, près du bureau de fortune du Principal. Sous une hutte, un table-banc sert de bureau au Principal. D’où que l’on vienne, on peut apercevoir, de loin, l’administrateur de cet établissement. Sur le flanc droit, un jardin d’anacardiers et un arbre sont ravagés par les feux de brousse. « Regardez ce jardin et ce grand arbre là-bas, c’est de là qu’est venu le feu. Les vents ont transporté les étincelles qui ont incendié les classes. Personne ne pouvait arrêter les flammes tellement le vent soufflait », se souvient Mamadou Diallo. Les flammes ont réduit les 5 classes en cendres, le 8 février 2013, à 13 heures, un jour de vendredi de surcroît. Mamadou Diallo a échappé à la mort, après avoir lutté  sans merci contre les feux durant toute la matinée.
Le village est plongé dans le deuil. Les élèves accourent pour constater le désastre. Ils repartent au village en courant et en pleurant. Leurs larmes et cris allument le feu sacré chez les hommes, les femmes et les adultes du village. L’ordre est donné : celui de remettre à l’état le collège d’enseignement moyen, dans les plus brefs délais. « Les pleurs des élèves ont beaucoup touché les villageois. Je pense qu’en plus de cela, l’engagement des enseignants a aussi été déterminant dans la mobilisation des villageois pour refaire les classes. L’incendie a eu  lieu un vendredi, les travaux ont débuté le samedi et, au 3è jour, l’œuvre est bouclée. Les élèves pensaient que le Cem n’allait pas ouvrir cette année », indique le président des parents d’élèves, Boubacar Diallo.
Au plan administratif, le Principal avait reçu les instructions de réfection par le biais du sous-préfet de Fafacourou. L’administration du système éducatif a apporté sa pierre à la reconstruction. « Nous avons reçu 40 tables-bancs de l’Inspection régionale de Kolda pour l’équipement des salles et le redémarrage des cours », explique le Principal Djibril Samb.

DANS LE SECRET DES PERFORMANCES SCOLAIRES : Sous la paille et le bambou, une fabrique de cracks
Derrière ces « murs » de fortune, s’expriment des intelligences. Badion, debout sur sa paille et ses lattes de bambou, est une fabrique de cracks. La preuve par les performances scolaires très remarquables.
L’élan de mobilisation a un fondement. Dans ces classes aux murs de lattes de bambou, couvertes de pailles, sortent les meilleurs résultats au Brevet de fin d’études moyennes (Bfem) du département de Médina Youro Foula. « Cette année, nous avons enregistré 100 % au Bfem après la deuxième session. Ici, pour le moment, les professeurs n’ont jamais observé de grève. Malgré l’éloignement et malgré ce cadre, ils consentent des sacrifices pour enseigner », note le principal. « Lorsque les professeurs partent à Kolda pour percevoir leur salaire, ils ne restent pas plus de 2 jours là-bas. Ils ne s’absentent qu’en cas de nécessité », témoignent le chef de village et le président de l’association des parents d’élèves, Babacar Diallo et Samba Senghor.
Sous la hutte, au collège comme dans le village, les notables et les jeunes tressent les lauriers au Principal, Djibril Samb. « Nous avions eu des principaux, mais celui-ci est un modèle. C’est un travailleur. Nous prions pour qu’il reste encore longtemps ici pour accompagner le Cem », formule Samba Senghor vêtu d’un boubou blanc.
Ici, le luxe est étranger au lexique. Pourtant, il se mène, sur cet espace, une lutte acharnée contre les déperditions scolaires. Le décor est rustre.
Une rangée de 3 classes, ayant pour murs des bambous et pour toiture des tiges de mil est asymétrique à une autre de deux salles de classe. Dans les 3, les enseignants échangent dans une ambiance presque détendue. De temps à autre, à partir du bureau de fortune du Principal, on entend des élèves rire, à haute voix, des fausses réponses de leurs camarades.

229 élèves dont 69 filles
Le Cem a vu le jour en 2009. Il compte 229 élèves dont 69 filles. « Il y a des départs et des démissions. Nous ne connaissons pas les vraies raisons », répertorie le Principal. Peut-être que cette phase d’abandon sera dépassée avec la construction des bâtiments. Les appels d’offres sont déjà lancés. La construction des salles en dur est une sorte de récompense à l’engagement communautaire. Un bel exemple à suivre au Sénégal où nous avons l’habitude de tout attendre de l’Etat.
A quelque chose malheur est bon, a-t-on, l’habitude de dire. L’incendie du Cem pourrait avoir des effets positifs sur la préservation les écosystèmes forestiers les plus importants du Sénégal. Sous la hutte où nous étions, la discussion entre les villageois était houleuse et enrichissante sur les origines des feux de brousse. « Il y a des feux qui ont des origines mystérieuses, l’homme n’y peut rien. A beau faire, il poursuivra son chemin », insiste, Samba Diallo. « Parfois, il suffit que deux branches ou tiges se frottent pour qu’un feu se déclenche », renchérit un autre. D’autres villageois ont le regard tourné vers l’avenir. « Il n’est pas facile pour les sapeurs d’arriver à temps dans cette zone. Nous demandons aux autorités de positionner 3 citernes ici pour intervenir à temps en cas de feu de brousse », préconise Babacar Diallo. En tout état de cause, l’incendie du 8 février 2013 restera dans les annales de l’histoire de l’école sénégalaise.

Abdoulaye Camara, Guide religieux  : « Nous demandons la réhabilitation de la route et l’électrification du village »
L’une des mosquées les plus vieilles de la zone se trouve à Badion. Mais ce n’est pas la date de la fondation qui est plus importante pour les habitants de ce trou perdu. L’architecture de ce lieu de culte est à l’image des mosquées de Tombouctou. Tout est fait en banco soutenu par de gros troncs d’arbres transportés par les premiers  habitants du village, il y a plusieurs siècles. Des érudits ont vécu dans ce village. Aujourd’hui, c’est Abdoulaye Camara qui est le guide religieux de Badion. « Chaque année, ce sont les villageois qui cotisent pour organiser la ziarra annuelle. Je pense que les autorités doivent nous aider au regard de l’affluence des fidèles lors de cet événement religieux. En plus l’état de la route est défectueux. Nous invitons les autorités à réhabiliter cette route et à électrifier le village », a souhaité le guide religieux, Abdoulaye Camara.

Mamadou Mbaré Hann, inspecteur d’académie de Kolda : « La carte scolaire régionale compte 1.500 abris-provisoires »
Si le taux brut scolarisation de la région de Kolda avoisine la scolarisation universelle, c’est grâce en grande partie aux abris provisoires qui représentent entre 63% à 65 % du nombre de classes, rien que dans le Moyen. C’est ce que révèle, au cours de l’entretien, l’inspecteur régional, de l’Académie de Kolda, Mamadou Mbaré Hann. Dans cet entretien, il aborde froidement l’épineuse question des mariages et des grossesses précoces.

Quel regard portez-vous sur la carte scolaire de la région de Kolda ?
Depuis que la région a été scindée en deux avec l’érection de Sédhiou en région à partir de 2008, la nouvelle région de Kolda a connu une évolution.  Puisque le nombre d’écoles élémentaires et surtout de collèges et lycées a sensiblement augmenté. C’est l’une des cartes les plus importantes après celle de la région de Ziguinchor pour les régions situées dans la zone périphérique du Sénégal. Dans le Préscolaire, nous avons près de 145 structures, dans l’Elémentaire 695 écoles,  dans le Moyen nous avons 85 collèges et 7 lycées dans la région.

Quelle est la part des abris provisoires dans la carte scolaire ?
Le gros problème de la région, ce sont les abris provisoires. Nous avons plus de 1.500 abris provisoires du Préscolaire, au Secondaire, en passant par l’Elémentaire et le Moyen. Ce qui veut dire que 30 % du réseau sont constitués d’abris provisoires avec une forte domination dans le  Moyen. A ce niveau,  63 % à 65 % du réseau sont constitués d’abris provisoires. Par contre, le nombre a sensiblement diminué dans l’Elémentaire grâce au programme Fast-Tract, un programme de la Banque mondiale, qui a permis de construire 440 salles de classe en 3 ans. Mais, il faut rappeler que ces abris sont un mal nécessaire. Comme l’ont rappelé l’ancien ministre, Moustapha Sourang et actuellement Serigne Mbaye Thiam en passant par le ministre Kalidou Diallo, il fallait choisir entre la scolarisation des enfants pour être en phase avec les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd), le Sénégal s’étant engagé à avoir une scolarisation universelle en 2015. Or, quand nous venions à Kolda, le taux était à 74 %. Aujourd’hui, le taux brut de scolarisation est pratiquement à 98 %. Cela a été réalisé grâce à l’enrôlement d’enfants, tant au niveau du Préscolaire que de l’Elémentaire. Il fallait trouver là où mettre ces enfants. C’est ainsi que ces abris provisoires ont été construits.

Ces abris n’ont-ils pas d’impacts négatifs sur les enseignements-apprentissages ?
Nous avons des générations abris provisoires, c’est-à-dire, des enfants qui, du CI au CEM 2, n’ont connu que des abris provisoires. Mais, les conséquences aux plans de la qualité, de la santé, des enseignements-apprentissages sont là. Parce que pour ce qui concerne le quantum scolaire, les cours ne peuvent pas démarrer avant le mois de novembre. La saison des pluies couvrent la période allant de la fin du mois de mai au mois de novembre. Or, les matériaux utilisés pour la confection ne peuvent être obtenus qu’à la fin des récoltes. Aux plans social et culturel, nous ne pouvons pas avoir les enfants avant mi-novembre. Tout  cela déteint sur le quantum horaire. Les enseignants perdent beaucoup d’heures. En plus de cela, il y a le soleil et le vent. Quelle que soit la qualité de l’abri, un enseignant géant a des problèmes pour se tenir debout. Le tableau d’un abri provisoire est souvent de dimensions réduites. Un professeur d’histoire et de géographie a des problèmes d’espace pour dessiner une carte ou étaler une carte. Parfois, il y a des problèmes de visibilité compte tenu des poteaux qui peuvent être à l’intérieur. Il y a donc un ensemble de facteurs qui affectent la qualité des enseignements-apprentissages.  Les autorisés ont été sensibilisées. Le ministre Serigne Mbaye Thiam a pris les choses en main et avec la coopération internationale, il y a des études très avancées. Je crois que ces accords ont été conclus et cela sera sous fourme de location. Les partenaires viendront construire, remplacer les abris et le Sénégal remboursera après réception des infrastructures, sur une période de 8 à 10 ans. Le coût global  tourne autour de 73 milliards de FCfa pour remplacer tous les abris provisoires  du Sénégal.

Les mariages et les grosses restent-ils un obstacle à la scolarisation des filles dans la région ?
Si l’on regarde les indicateurs de Kolda, les taux de redoublement et d’abandon sont élevés. Nous avons les taux les plus élevés. Or, ce sont des indicateurs très importants. Si l’on observe de plus près, les taux d’abandon concernent essentiellement les filles. Au niveau de l’accès des filles, jusqu’au CM2, il y a une parité. Mais à partir de la 6e et de la 5e, le nombre de filles diminue à cause des mariages et grossesses précoces. L’année dernière, les Américains, à travers le Projet Intra-Health et en rapport avec le ministère de la Santé, nous avions fait beaucoup d’efforts. Le problème est national, mais c’est  une spécificité de cette région.

Beaucoup d’élèves n’ont pas aussi de pièces d’état-civil…
C’est exact. Cette année, plus de 1.000 élèves de CM2 n’ont pas d’extrait de naissance. Nous avons des élèves qui partent jusqu’en 3e sans pièce d’état-civil. L’Unicef nous accompagne. En collaboration avec le président du tribunal, les présidents de communautés rurales et les maires, nous organisons des audiences foraines. Des milliers d’enfants y viennent. Souvent, les parents ne prennent pas la peine de chercher des extraits pour leurs enfants. Parfois, nous présentons les élèves au Cem sous réserve de l’obtention de l’état-civil. Nous avons pris l’option, depuis 3 ans, avec l’Unicef et l’Usaid, d’organiser des audiences foraines, ce qui nous permet de résorber le gap. Dans le moyen secondaire, tous les élèves ont leur pièce d’état-civil. Des filles, théoriquement ont  6 à 7 ans lorsqu’elles s’inscrivent au CI, alors qu’en réalité, elles ont 12 ans. Une fois, au CM2, elles ont presque le même âge que les professeurs qui ont 23 ou 24 ans, et en milieu rural, il n’y a pas de discothèque.

Les enseignants sont-ils toujours plus cités dans ces cas de grossesses de collégiennes ?  
Il y en a. Mais ils ne sont pas nombreux. Nous faisons de la sensibilisation. Nous organisons des séances  d’informations. Nous avons le bureau genre à l’inspection régionale et les relais dans les inspections départementales. En plus, la Scofi et l’Usaid sensibilisent les enseignants, les élèves, les parents d’élèves. Une fille, c’est la famille d’abord. L’éducation, c’est avant tout, la cellule familiale. Il existe également d’autres facteurs qui concourent à tout cela, particulièrement la pauvreté. Nous faisons la sensibilisation pour que les enseignants ne soient plus l’auteur de ces grossesses. Nous constatons que les auteurs sont souvent les élèves. Si nous prenons 100 grossesses, 70 % des cas sont l’œuvre des élèves. Dans le Médina Yoro Foula et dans le Vélingara, nous avons des élèves mariés.

Et pour le collège de Badion ?
On a l’habitude de dire, à quelque chose malheur est bon. Les autorités académiques et les populations ont uni leurs forces pour refaire les abris provisoires au plus vite. La presse nous a aidés à relayer l’information. Le ministre a saisi cette question. Le président de la République a été informé. Je rappelle que c’est Kolda qui a reçu la première sortie officielle du ministre Serigne Mbaye Thiam. Cela a été, pour nous, un réconfort, une marque de confiance. Lors de sa visite, il s’est engagé à aller à Badion. Nous savons, généralement, que les ministres s’arrêtent toujours dans les capitales régionales lors de leurs tournées. Nous saluons ce geste du ministre qui a bravé la chaleur et l’état de la route pour se rendre à  Badion. Il en a fait un dossier personnel. Le village est connu et surtout le président de la République, dans son adresse à la Nation, en a parlé. Cela est quelque chose d’exceptionnelle. Nous nous battrons pour rendre la monnaie. Le directeur de l’Agence régionale de développement  (Ard) de Kolda a lancé l’appel d’offres pour la construction du collège.
Nous allons toujours nous remettre en cause. Dans ces zones éloignées, les enseignants ne mangent toujours pas ce qu’ils veulent. Il y a un problème d’accessibilité, un manque d’eau. Malgré tout, ils acceptent de travailler et obtiennent de bons résultats. Si les autorités centrales acceptent de se rendre dans ces villages reculés, cela est un réconfort pour le corps enseignant.

VENIR ETUDIER A BADION : Des kilomètres parcourus à la recherche du savoir
Etre élève à Badion n’est pas chose facile, surtout pour ces jeunes qui parcourent des kilomètres pour se rendre à l’école.
Qu’on soit fille ou garçon, pour vivre à Badion et environs, il est obligatoire de savoir conduire une bicyclette. Ici, les jeunes conduisent avec aisance leur deux-roues, comme le ferait un Ouagalais ou un Béninois à Cotonou. C’est un outil utile et pratique pour parcourir les nombreuses et mauvaises pistes qui mènent aux autres villages et hameaux du Médina Yoro Foula. A l’école de Badion, nombreux sont les élèves qui parcourent,  quotidiennement, des kilomètres pour venir apprendre.  Un tronc de baobab à l’entrée de l’école leur sert de parking. Mais, tous les potaches ne disposent pas d’un vélo. Elève en classe de 4ème, Abdou Baldé habite à Saré Samba Tening, sis à 5 km de Badion. Le matin, il est transporté par son ami.
A cause de la canicule et de la journée continue, les deux amis passent la matinée à l’école. Mais le cas d’Abdou n’est rien, si l’on compare avec les 15 km qu’effectuent d’autres collégiens du Cem de Badion habitant d’autres bourgades. Le professeur de Svt, M. Sagna signale que la plupart de ses élèves font entre 5 et 14 km pour venir suivre les cours. Peu d’élèves disposent de tuteur à Badion pour pouvoir se reposer et se restaurer, après les cours. Des élèves comme Amadou Diouldé Touré rallient le Cem, après avoir parcouru de longues distances. Le jeune élève qui réside à Saré Ndoumb, effectue 24 km, traversant la brousse sauvage à coups de pédales. D’autres élèves proviendraient de Saré Moussayel, à 31 km. Il s’y ajoute les mauvaises conditions d’études auxquelles ces potaches sont confrontés, parce que exposés au soleil et au vent à l’intérieur des abris provisoires.
Rares sont les élèves qui disposent de livres au programme pour suivre correctement les cours. Aucun des 54 élèves de la classe de Mamadou Diatta, professeur de Lettres-Histoire Géographie, n’a le roman de Seydou Bodian « Sous l’Orage ». Le seul exemplaire qui est dans la classe est pour le professeur. Pire, l’école n’est pas dotée de cantine scolaire, ni d’eau ou encore moins de toilettes. Pour autant, tous ces manquements poussent les élèves à s’armer de courage, tous les jours, pour braver les dangers et venir étudier.

Quand la tradition favorise les mariages précoces
Dans le village de Badion, comme dans les autres localités de Médina Yoro Foula, l’influence de la tradition entretient l’occurrence des mariages précoces. Dans cette zone, le combat contre les grossesses est loin d’être gagné.
Une piste borde la largeur nord du bâtiment du principal et des professeurs. A l’intérieur des palissages, des chaumières sont dispersées de façon circulaire. Cette répartition spatiale des habitats symbolise la perpétuation de la vie en communauté. Les femmes et les hommes prennent le repas de midi. Ils nous invitent à le partager. Ici, les habitants cultivent toujours la solidarité.
Chez les Touré, l’échafaudage (échafaud) en forme d’entonnoir est coiffé par une paille bien tissée. La famille nous installe sur un mirador surmonté par une charpente de forme de V. Coumba Touré, élève en classe de 4e nous rejoint presque en souriant comme si elle devinait les motifs de notre présence. Vêtue d’un tissu wax de couleur marron frappé d’une mosaïque de motifs, remonté par un haut noir, l’élève en classe de 4e suit ses cours sans se soucier que son élan sera brisé par une pratique bien connue dans cette zone. « Je ne pense pas que mes parents vont interrompre mes études pour me donner en mariage. Par contre, si j’abandonne les études, ils me donneront en mariage. Autant donc pour moi de continuer mes études », confesse la collégienne.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le mariage précoce est un obstacle à la scolarisation des filles et une source de performance. Si elles abandonnent, elles n’ont plus de prétexte pour s’opposer à un mariage. Coumba a de la chance. Elle a un protecteur. Un de ses grands frères a obtenu le Bfem. Il est inscrit au Lycée, à Kolda.
Comme ici, de l’autre côté de cette route, derrière, l’imposant bâtiment en construction, d’autres collégiennes sont sous un manguier. Mamy Touré en classe de 5e tresse une de ses amies. L’idée de mariage précoce traverse de temps en temps son esprit. « Je crains que mes parents me donnent en mariage. Nous avons vu plusieurs de nos camarades se marier. Si cela devrait arriver, je ne peux qu’accepter la décision de mes parents », dit Mamy Touré sous un ton qui transmet la compassion. A côté de Mamy Touré, Diouma Diallo, également élève en classe de 5e est moins angoissée par les mariages précoces. « Le mariage, avance-t-elle avec un sourire, ne m’angoisse pas ». Nul ne peut imaginer si elle est sincère. En tout cas, elle nous gratifie d’un sourire. « Lorsqu’il n’y a pas cours, nous préparons le repas, nous pilons, nous faisons le linge. Ce sont des tâches pour nous », énumère Diouma Diallo. Une autre élève a préféré s’enfermer dans un silence.
Depuis quelques années, certains parents sont au front de la sensibilisation. Même s’il n’y a pas de statistiques disponibles, les mariages précoces reculent. Mais, ils n’ont pas disparu. « A chaque fois que l’occasion se présente, des séances de sensibilisation sont organisées. Les parents commencent à prendre conscience », remarque Samba Senghor. Ici, comme à travers les autres localités de la région de Kolda, c’est le binôme mariages et grossesses précoces qui freine l’élan et brise le rêve des jeunes filles. Rien que cette année, les autorités ont déjà dénombré 5 cas de grossesses. Le principal a porté sur les fonts baptismaux le comité des mères d’élèves pour combattre le fléau.

HAWA SY : La meilleure élève est déjà fiancée
Hawa Sy surclasse ses camarades à l’école et reste ambitieuse dans les études, mais elle est déjà une jeune fiancée. Ce qui peut freiner ses ambitions de devenir ce « quelqu’un » qu’elle souhaite tant être un jour.
Elève en classe de 4ème, Hawa Sy fait partie des meilleurs potaches du Cem de Bodian. Elle se singularise par les meilleures notes qu’elle parvient toujours à décrocher dans les matières aussi différentes que l’anglais, les mathématiques, l’Histoire et la Géographie. L’année dernière, cette élève au regard timide et peu bavarde, a clôturé l’année avec une moyenne de 14,11. Et pourtant, arrivée chez-elle, Hawa Sy s’occupe souvent des tâches ménagères. Elle prépare le repas pour ses parents. Le soir, pour réviser ses cours, Hawa s’éclaire avec une lampe torche avant d’aller au lit. Dans la maison familiale où elle vit avec ses vieux parents, la jeune élève est obligée d’allier école et travail à domicile. Elle n’a pas le choix. Elle est l’unique fille de sa maman. Ces difficultés de la vie quotidienne ne l’empêchent pas d’être très ambitieuse. « Je compte réussir mon Bfem et devenir quelqu’un », dit-elle avec un sourire. Hawa sait que le chemin qui mène vers la réussite est ardue, surtout avec des filles comme elle qui sont confrontées au manque de manuels scolaires et de documents de travail. Chose aggravée par l’absence de téléviseur, de radio ou encore de journaux pour suivre l’évolution du pays et du monde. Mais dans ces localités, les mariages précoces restent la grande préoccupation. « Nombre de mes camarades ont été mariées très vite, sans qu’elles puissent réaliser leurs ambitions », informe-t-elle.
La jeune écolière vit avec cette réalité du mariage précoce quotidiennement et ce ne serait pas une surprise pour elle. «Si les parents veulent, on ne peut pas refuser », lâche-t-elle. Mais à travers cette réponse, Hawa cache elle-même son propre mariage, puisqu’elle-même est fiancée depuis l’année dernière. Même si elle a une connaissance très vague de son futur époux. « J’ai entendu qu’il se nomme Yacouba et habite Saré Tamsir, mais je ne l’ai jamais vu », dit elle sans plus de précision. C’est dire que les jeunes filles de Badion quelles que soient les prouesses qu’elles puissent réaliser à l’école risquent, à tout moment, de voir interrompre leurs études. Hawa aura-t-elle le temps de faire son Bfem ?

HAWA KANDE, RESPONSABLE DU BUREAU GENRE A l’IA DE KOLDA
« Le maintien des filles au moyen-secondaire demeure un grand problème »Si l’accès des filles à l’école connaît une réelle progression à Kolda, leur maintien reste un défi à relever. Surtout dans le moyen-secondaire.
Quelle est la mission du Bureau genre au sein de l’Inspection d’Académie de Kolda ?
Sa mission est de promouvoir l’éducation pour tous et de contribuer à l’intégration du genre dans l’éducation, du Primaire au Secondaire.
 
La question de l’accès des filles à l’école se pose à Kolda. Que fait le Bureau genre dans ce sens ?
On a noté beaucoup de progrès, parce qu’avec des partenaires comme la Scofi, le Fawe, les Gpf (Groupements de promotion féminine), les organisations de femmes de manière générale, nous faisons des campagnes de scolarisation, d’enrôlement, d’inscription. Au Primaire, les filles dépassent les garçons. Mais nous avons le défi à relever. Le problème se pose principalement au Moyen-Secondaire et plus précisément à partir de la 6ème. Nous avons aussi des problèmes avec les abris provisoires, le manque de points d’eau, de toilettes, entre autres. L’environnement scolaire n’est pas approprié. S’y ajoute la question des mariages et grossesses précoces.

Selon l’inspecteur d’académie, le taux de scolarisation à Kolda est de 90%. Peut-on savoir la moyenne des filles ?
Au Primaire, c’est plus de 100 %. On est en avance sur les garçons, mais dans le moyen-secondaire, nous avons une disparité entre filles et garçons. Elle est de 0.8 et de 0.7. Il est nécessaire, aujourd’hui, que tous les acteurs et les intervenants dans l’éducation des filles se mobilisent pour résorber ce gap.

Les mariages précoces continuent-ils à peser sur le système ?
C’est toujours une réalité ici. Cela lié à certaines pratiques pour ne pas dire à certaines coutumes. Les ethnies de la localité ont tendance à marier leurs filles très tôt. D’ailleurs, lors de la semaine de la jeunesse, on était dans certains villages pour sensibiliser sur le maintien des filles à l’école. Les parents disent souvent que s’ils ne marient pas leurs filles, elles risquent de tomber enceintes. C’est de peur que leurs filles ne tombent en grossesse qu’ils les donnent en mariage. Il y a donc cet aspect de sexualité précoce et de grossesse non désirée qui poussent les parents à les donner en mariage.

Le taux des grossesses précoces a-t-il commencé à diminuer ?
Le nombre de cas a tendance à diminuer. Nous avons même commandité une étude qui va mettre en réseau tous collèges. Parce que la problématique se situe à ce niveau. Nous voulons avoir, dans chaque établissement, un point focal genre qui nous renseigne sur tous ces aspects. Nous n’avons pas les statistiques sur ces phénomènes, parce qu’au niveau de la planification, il n’y pas de rubrique « Viol, grossesse ». On a confectionné un tableau qui va nous permettre de sensibiliser les cadres départementaux pour, dans chaque établissement public ou privé, que nous ayons un point focal genre qui renseigne sur les mariages et les grossesses précoces, sur les viols ou tentatives de viol, sur le nombre de filles mariées, le nombre d’enfants à besoins éducatifs spécifiques et sur l’environnement scolaire en général. Mais, il y a un autre travail à faire au niveau des filles pour qu’elles puissent s’abstenir et ne pas céder à la sexualité précoce. On réinsère aussi celles qui ont été mariées et qui sont revenues. On les encourage par rapport à la contraception.

Comment une fille qui tombe enceinte en pleine année scolaire est-elle prise en charge ?
Nous avons un cadre de coordination des interventions des filles. Dans ce cadre, il y a un centre ados avec une sage-femme qui passe une fois par semaine, tous les mercredis après-midi. Et si on a des cas de grossesse et même d’infection, elle s’en charge. Au niveau psychologique, on ne dispose pas de psychologue, mais il nous arrive de faire des descentes pour voir le chef d’établissement et l’enseignant qui s’occupe de son apprentissage pour qu’il la prenne en repérage et l’aider à suivre.

Les enseignants s’adaptent à la vie villageoise
Avec un contre-plaqué peint en noir, attaché à des fils de fer vers le haut et des troncs d’arbre qui le maintiennent vers le bas, Monsieur Diatta tente de dispenser son cours de français à la soixantaine d’élèves de la classe de 4ème. C’est l’un des 4 abris provisoires reconstruits après l’incendie du 8 février dernier qui a ravagé toute l’école. Les rangées sont serrées et ne permettent pas à l’enseignant de circuler comme bon lui semble. De même, M. Diatta ne dispose pas de bureau encore moins de mobilier pour faire convenablement son cours. Qu’à cela ne tienne ! Ici les mauvaises conditions n’empêchent pas les enseignants de transmettre le savoir à ces jeunes enfants dont certains parcourent une vingtaine de kilomètres pour venir étudier. Le discours du 3 avril dernier du chef de l’Etat, faisant allusion à l’abnégation dont ont fait preuve les enseignants et les populations a donné du baume au cœur au corps enseignant. « On ne peut que garder espoir, parce que le ministre de l’Education nationale est venu jusqu’ici, il a vu les conditions dans lesquelles nous travaillons et si aujourd’hui, le président de la République en fait état et décide de reconstruire l’école, on ne peut que s’en féliciter », note M. Diatta.
Mais, dispenser des cours dans un abri provisoire n’est pas chose aisée. Outre le matériau avec lequel, ces classes sont construites (pailles, lamelles de bambou ou crinting et troncs d’arbre), le dimensionnement de la hauteur et des rangées reste un véritable casse-tête pour les enseignants. « Avec de telles classes, il est impossible, pour un professeur de grande taille, de se déplacer et les tableaux qui sont plutôt des contre-plaqués ne mesurent même pas 2 m », avance le professeur d’Histoire et Géographie Adama Kane. Les effectifs qui peuvent attendre 90 élèves par classe ne répondent guère aux normes. « Après l’incendie, on était obligé de regrouper certaines classes comme la 5ème, ce qui a sensiblement augmenté les effectifs dans ces classes », explique le principal du Cem Djibril Samb.
Outre les mauvaises conditions de travail, les enseignants sont obligés de s’adapter à la vie au village qui se conjugue par une absence d’électricité. La nuit tombée, c’est avec la bougie que les devoirs des élèves sont corrigés. Pour recharger son portable, il faut aller voir l’infirmier chef de poste, le seul, sinon l’une des rares personnes qui dispose d’un panneau solaire. C’est presque tous les villageois qui viennent recharger leur portable au centre de santé, service monnayé à 100 FCfa par chargement. Face à des moyens de communication quasi inexistants dans le village, les déplacements sont limités. Les sources de divertissements sont inexistantes, même si souvent des matches de football sont organisés entre élèves et professeurs ou entre élèves, dans le cadre des interclasses. Si ce n’est pas le cas, les enseignants se regroupent dans leur appartement pour faire du thé.
Cet environnement morose est fortement ressenti par les jeunes enseignants comme Alassane Ndoye. D’autres comme Mamadou Diatta, chargé de cours Sciences-Svt sont plus habitués à cette situation. « En tant qu’enseignant, je me sens investi d’une mission de servir mon pays quelque soit les conditions dans lesquelles j’évolue », fait remarquer cet enseignant qui est passé dans 3 autres établissements avant de venir à Badion. Egalement, en tant que originaire d’Enampor, à Ziguinchor, M. Diatta connaît la vie au village. Ce qui n’était pas le cas pour nombre de ses camarades comme le Saint-Louisien Adama Kane.
Mais lui se rappelle toujours du conseil qu’un vieil enseignant lui avait donné un jour alors qu’il venait fraîchement de débarquer à Badion. « Vous êtes les porte-étendards du métier mon fils. Le chemin est long et difficile, mais vous devez vous montrer à la hauteur, quelque soit la situation », avait dit l’enseignant à la retraite. Aujourd’hui, Adama a fait de ce conseil une leçon de vie et un réconfort moral qui lui permettent de tenir à Badion.

ALASSANE NDOYE, PROFESSEUR de Lettres-Anglais : Vivre en brousse malgré soi

Pour le jeune professeur Alassane Ndoye, son premier poste d’affectation n’est pas une sinécure. C’est plutôt un test grandeur nature qu’il subit en attendant de connaître des lendemains meilleurs.
Depuis 3 ans déjà, Alassane Ndoye a appris à vivre en pleine brousse, loin de sa famille et de sa ville de Pout. Professeur de Lettres-Anglais au Cem de Bodian comme une dizaine de ses camarades, le jeune homme, la trentaine, s’est très vite adapté à cette vie qu’elle ne connaissait pas. Ce qui n’était pas évident dans cette localité enclavée, difficile d’accès où l’unique véhicule de transport en commun ne passe que 2 fois dans la semaine. «Quand j’ai passé ma première nuit ici, je me suis posé beaucoup des questions sur le choix que je venais de faire. C’était très difficile », se rappelle le jeune originaire de Pout.
Mais Alassane aura la chance de retrouver, très vite, 2 de ses camardes de la promotion 2010 de la Fastef, eux aussi affectés à Badion, l’un habitant à Keur Massar, l’autre à Niarry Tally. Ensemble, ils prennent conscience qu’une partie de leur destin est liée à Badion. Ce qui leur permit de moins sentir l’éloignement de leurs villes d’origine. Mais Alassane Ndoye est conscient de l’immense tâche qu’il doit accomplir à Badion. « Nous sommes là pour servir nos frères et sœurs et partager notre savoir et notre savoir-faire avec eux, même si on aurait souhaité que les conditions soient améliorées », explique-t-il.
En effet, vivre dans cette contrée exige qu’on s’habitue à  la bougie ou se munir en permanence d’une torche à cause du manque de réseau électrique. « A cause de l’absence d’électricité, on n’a que le week-end pour se rendre chez l’infirmier chef de poste pour regarder la télévision et savoir ce qui se passe dans le pays et dans le monde », soutient le jeune homme. Egalement, le réseau de télécommunication, même s’il couvre le village connaît de grandes perturbations, ce qui coupe carrément le village du monde. « Depuis 3 jours, on ne peut pas téléphoner et on ne peut nous joindre à cause d’un réseau défectueux, mais cela est un non évènement ici tellement les gens sont habitués ».
Le seul moment pour Alassane de savoir réellement ce qui se passe dans le monde, c’est à la fin du mois quand il va à Kolda pour percevoir son salaire. Là, il en profite pour acheter quelques journaux et surfer sur Internet. Ce qui est très peu pour un enseignant qui doit connaître au jour le jour l’évolution de l’actualité. « Pendant les vacances de Pâques ou les fêtes comme la Tabaski, je me rends compte de mon retard sur les évènements. Ce sont mes jeunes frères qui m’informent de certaines choses, cela me fait honte », regrette-t-il. Mais Badion reste le premier poste dans la carrière de Alassane où il veut gagner l’estime de ses supérieurs pour s’approcher de sa région d’origine, Thiès et poursuivre, éventuellement ses études à l’Université. Pour l’heure, ce jeune célibataire doit prendre son mal en patience.

Par nos envoyés spéciaux Maguette NDONG, Idrissa SANE (textes) et Habib DIOUM (photos)

DJIBRIL SAMB, PRINCIPAL DU CEM : Un dévoué à la cause enseignante
Par devoir pour son pays et par amour pour son métier d’enseignant, Djibril Samb a accepté le poste vacant de Badion pour en être le Principal. Aujourd’hui, il relève beaucoup de défis dans le village et dans son école.
Quand il a accepté de prendre le poste de Principal au Cem de Badion, personne ne voulait venir dans ce village très éloigné, difficile d’accès, où les conditions ne sont pas toujours réunies pour bien exercer le métier d’enseignant. Mais Djibril Samb, l’actuel Principal du Cem de Badion, poste qu’il occupe depuis l’année dernière, fait partie de cette race d’enseignants pour qui, enseigner est une mission, un sacerdoce qu’il se doit d’accomplir pleinement partout où il est affecté au Sénégal. D’ailleurs, il ne regrette pas d’avoir été à Badion. « Dieu merci, ça marche. Je suis en bon terme avec tout le monde, je règle beaucoup de problèmes ici et je n’hésite pas à aller dans un village reculé pour chercher un élève après une longue absence », confie-t-il. C’est aussi le signe de son intégration et de son adaptation très rapide dans le village qui lui a permis de diagnostiquer les différents besoins de la localité en matière d’éducation. Ce natif de Bicole, dans la région de Fatick, parle aujourd’hui couramment le Pulaar, un atout non négligeable dans ce milieu Fouladou. « Pour mieux communiquer avec les gens, il faut parler leur langue, d’ailleurs j’ai fait 8 ans dans la région », renseigne M. Samb.
En effet, avant Badion il a séjourné à Teyel dans le département de Vélingara et à Médina El Hadj, localité où il fit 6 ans. C’est donc un grand connaisseur de la région de Kolda qui hérite du Cem de Badion. Face à l’immensité du travail qui l’attend dans cette localité, Djibril Samb a accepté de laisser femme et enfants à Kolda et vivre seul avec ses collègues enseignants dont beaucoup peuvent être ses enfants. Il profite de l’unique véhicule qui passe dans le village pour rejoindre sa famille toutes les deux semaines.
Si ce n’est pas le cas, sa vie est partagée entre l’école, la vie quasi immuable de la localité et surtout à surveiller de près les élèves. « Il m’arrive souvent, la nuit de faire la ronde pour voir les élèves qui se baladent à une certaine heure. Je jouis également d’une certaine estime, ce qui me permis de régler certains problèmes en dehors de l’école ». Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir les populations plaider pour son maintien à Badion, même si Djibril Samb craint que d’autres personnes, ayant entendu le discours du Chef de l’Etat, fassent des pieds et des mains pour être affectées à Badion. Mais lui mise plutôt sur l’audace dont il a fait preuve jusque là, sa connaissance du village et surtout sur son expérience. Car, avant Kolda, Djibril Samb aura débuté sa carrière à Dakar notamment dans des collèges très célèbres comme Yalla Suren, Saldia ou encore Madièye Sall comme professeur de Lettres.
A Badion, les populations se sont tellement habituées  à  sa silhouette de monsieur le principal, cet homme longiligne de  51 ans, qui s’habille presque comme ces grands producteurs terriens du Saloum. Au point aujourd’hui de demander qu’il soit maintenu à tout prix à Badion.
La reconstruction du collège a démarré
Les travaux de reconstruction du collège d’enseignement moyen de Badion, dans l’arrondissement de Fafacourou ont démarré, a annoncé mardi l’Inspecteur d’académie de Kolda, Mamadou Mbaré Hann.
Le collège de Badion, village du département de Médina Yéro Foula, avait été ravagé par un incendie, le 8 février dernier.
Le chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, avait annoncé, dans son discours à la Nation du 3 avril dernier, la volonté des pouvoirs publics d’accompagner les populations locales ayant entrepris des actions pour la réhabilitation de cet établissement scolaire.
M. Hann a aussi annoncé le démarrage des travaux de construction de l’Inspection d’éducation et de formation (Ief) devant remplacer l’inspection départementale de l’éducation de Médina Yéro Foula.

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