jeudi, mars 28, 2024

Abdoulaye Bibi Baldé: « La reconstitution du capital semencier est notre priorité number one »

Ne ratez pas!

Pouvez-vous nous faire le bilan de la campagne agricole qui vient de finir, et des perspectives qu’elle vous ouvre pour la campagne qui va bientôt commencer ?

Dieu merci, nous avons connu une bonne pluviométrie, bien répartie dans le temps et dans l’espace, les principales productions ont connu des rendements importants. Précisément, les céréales, qui ont toutes connu des hausses de production. Le niveau de production a connu 1,6 million de tonnes, pour des besoins de l’ordre de 2 millions, ce qui veut dire que le déficit n’est pas très important.

Mais quand même, cela cache des niches de déficit assez grand qu’il faut souligner. Heureuse­­ment, qu’avec l’appui de nos partenaires, nous avons identifié ces zones, les statistiques sont connues, de même que les populations. Donc, avec l’appui de nos partenaires, principalement de la Fao, nous sommes en train de travailler à améliorer les capacités productives de ces populations affectées, notamment en leur apportant des intrants, et parfois même de la nourriture pour la période de soudure.
Concernant l’arachide aussi, nous avons connu des hausses de production. Nous sommes passés en un an de 520 000 à 680 000 tonnes. Pour le coton, c’est la même tendance, nous sommes passés de 25 000 tonnes à 32 000 pour cette année. Globalement, la campagne agricole a été satisfaisante, parce qu’il y a eu des hausses sur l’ensemble des principales productions de notre pays.

Vous vous satisfaites des 680 000 tonnes pour l’arachide, dont on a vu que cette année, elles ont produit un véritable rush, qui a été assez profitable financièrement aux populations. Néanmoins, pour un pays qui, à certaines périodes, a pu produire 1 million de tonnes, et même parfois plus, n’y a-t-il pas une marge importante qui reste à couvrir ?

Cette question est importante. Nous avons effectivement connu des records de production, qui ont atteint ou avoisiné le million de tonnes. Nous sommes en train de travailler pour atteindre ce niveau de production, notamment en améliorant la semence. Parce que c’est cela le principal problème de cette filière. Il n’y a pas suffisamment de semences certifiées. Nous avons autour de 6 000 tonnes de semences certifiées, pour un besoin de 120 000 tonnes. Ce qui veut dire que le gap est important. Nous avons besoin de 120 000 tonnes pour produire au moins 1 million de tonnes d’arachide, parce que nos rendements n’atteignent pas une tonne à l’hectare. Si nous étions à 1 tonne/ha, nous aurions pu avoir, avec cette quantité, 1,2 million de tonnes. Nous avons donc ce programme de reconstitution du capital semencier à mettre en œuvre, et avons commencé à prendre des dispositions qui se sont déjà traduites par une inscription budgétaire de 5 milliards cette année, pour réaménager les stations de l’Isra, et améliorer les systèmes de contrôle, de certification et de vulgarisation des semences. Pour cette année également, nous comptons augmenter les quantités d’engrais pour accroître la production, puisque la semence a une faible productivité. Il nous faut donc jouer sur les engrais et l’utilisation du matériel agricole. C’est dans ce cadre que nous comptons acquérir des équipements, surtout du petit matériel tracté, pour augmenter le niveau de production.

Ce programme de mise en place du matériel agricole devait commencer en ce mois de mai. Où en êtes-vous ?

Nous avons pris toutes les dispositions, tout est fin prêt. Nous avons déjà choisi les opérateurs fournisseurs de semences, et chacun a reçu sa notification, son calendrier de mise en place, connaît ses zones de distribution. Les autorités administratives ont reçu les circulaires que nous leur avons envoyées, pour qu’elles mettent en place les comités locaux de cession des intrants. Depuis lundi (l’entretien a eu lieu le jeudi 16 mai, Ndlr), certains opérateurs ont déjà commencé à mettre en place les intrants et les semences. Donc, globalement, nous sommes même en avance comparativement à l’année dernière, où l’on a démarré le 14 mai.

Il n’empêche que cette année, les subventions sur certains intrants seront réduites, et les OP craignent une augmentation des prix sur ces produits.

Il faut dire que l’augmentation la plus perceptible est celle de l’arachide. Il faut dire que l’enveloppe de subvention n’a pas baissé, mais nous avons simplement voulu réorienter cette subvention vers d’autres facteurs qui accroissent la production. Vous avez dit que nous avions atteint des records d’un million de tonnes d’arachide, et nous sommes aujourd’hui à six cent mille tonnes. C’est justement à cause de la semence qui n’est pas de qualité pour la productivité. Or, en attendant que le programme de reconstitution du capital semencier arrive à son terme pour nous permettre d’avoir des semences de qualité, il nous faut utiliser cette semence que nous avons, et en plus, il faut augmenter les quantités d’engrais, utiliser du matériel agricole, pour augmenter la production. Ce qui fait que, quand bien même nous avons baissé les niveaux de subvention sur l’arachide, nous avons augmenté les quantités. Nous sommes passés de près de 50 000 tonnes subventionnées à près de 70 000 tonnes. Parce que le prix au producteur pendant la campagne de commercialisation était attractif et que beaucoup vont demander de la semence. C’est pour cela qu’au lieu de réduire la quantité de semence, qui va être certainement demandée par un certain nombre de producteurs, et que beaucoup parmi ces demandeurs risquent de ne pas en trouver, nous avons voulu augmenter les quantités, baisser un peu le niveau de subvention et permettre aux Sénégalais qui n’étaient pas producteurs d’arachide l’année passée, et qui, forcément, n’ont pas de semences, de pouvoir en acquérir…

… même s’ils l’achètent plus cher

Ils ne l’achètent pas plus cher ! Acheter plus cher, ce serait comparativement au prix actuel du marché. Si la référence était le prix subventionné de l’année passée, alors oui, ils l’achètent plus cher. Mais si la référence c’est le prix actuel du marché, où l’arachide est rare – car c’est le même arachide que le paysan a vendu il y a de cela six mois, et qu’on lui redonne au même prix. Il l’a vendu au moins 200 francs. Six mois après, on lui redonne la même arachide, après l’avoir fait conditionner par quelqu’un, traiter par quelqu’un qui y a mis de la poudre, et qui se fait payer pour ce service. Actuellement, celui qui veut un kilo d’arachide doit débourser au minimum 300 francs. Nous, nous avons subventionné 100 francs, pour qu’il revienne à 200 francs au paysan, qui l’avait lui-même vendu au moins à ce prix à l’époque. C’est un choix que nous avons fait pour augmenter la quantité d’engrais et passer de 80 000 à plus de 100 000 tonnes, parce que les paysans eux-mêmes nous disent qu’ils ont besoin d’engrais. En réalité, les 100 000 tonnes que nous subventionnons ne couvrent qu’environ 30% des besoins d’engrais. Mais quand même, nous faisons un effort pour les quantités d’engrais à distribuer. Mais nous avons fait le choix cette année, d’acheter du matériel agricole tracté, des semoirs, houssines, des charrues,… qui depuis plus de 20 ans, n’ont jamais été renouvelés. Et nous pensons que cela participe, mieux que des semences, à l’amélioration des rendements.

Dans le matériel agricole, il y a également ce projet d’acquisition de 1 000 tracteurs. Peut-on savoir comment seront repartis ces tracteurs ?

Ces mille tracteurs seront destinés principalement à ceux qui pourront les utiliser. Il s’agit déjà de ceux qui ont une relative capacité de les acquérir, car l’Etat est déjà conscient que c’est un matériel qui coûte assez cher. L’Etat va les subventionner à au moins 50%. Pour le reste, nous allons demander un apport, et le paysan va s’adresser à sa banque pour le paiement, ou pour obtenir un crédit, avec un système de recouvrement correct. Ce qui est certain, c’est qu’on ne donnera pas ces tracteurs gratuitement. Ils vont servir à mettre en place un crédit revolving. Si on subventionne à 50%, on peut récupérer, bon an mal an, au moins 40%. Ce qui va servir à acheter au moins, la moitié de mille tracteurs, et au fil des ans, 250, 125 tracteurs, jusqu’à épuisement complet de cette enveloppe. A terme, pour une dotation initiale, on pourrait avoir peut-être 1 800 ou 2 000 tracteurs.

Il n’y a pas longtemps, le Président Abdoulaye Wade de son côté avait également commandé 1 000 tracteurs, qui sont même pendant longtemps exposés sur le terre-plein du Cices. On n’a jamais su après où ils sont partis. Et aujourd’hui, vous venez nous présenter mille autres tracteurs qui sembleront tomber sur un terrain vierge. Mais auparavant, vous êtes-vous demandé ce que sont devenus les tracteurs que Abdoulaye Wade avait amenés ici ?

Effectivement, la question nous a préoccupée, mais il faut dire que ce n’était pas mille tracteurs, mais environ 510 tracteurs que le régime de Abdoulaye Wade avait acquis, d’après nos archives. Et ces tracteurs, on ne les retrouve nulle part. Certains sont complètement abîmés, on peut en voir les épaves. D’autres, on ne les retrouve nulle part sur l’étendue du pays ; ils seraient même déjà sortis du pays. Mais nous avons tiré les leçons de cette mauvaise expérience, parce que là, il n’y avait pas un schéma clair d’acquisition. On a donné des tracteurs à des gens, sur quelle base, je ne saurai le dire. Mais nous, la leçon que nous avons tirée de cette expérience, c’est de mettre un schéma clair, compréhensible et intelligible pour, d’abord plus d’équité et plus de transparence. Comme je l’ai dit, nous risquons même de demander aux paysans d’ouvrir des comptes bancaires. Soit à la Cncas, au Crédit mutuel ou à la banque de leur choix, et ainsi, permettre à leur banque d’acquérir le reliquat du financement qu’ils doivent donner. Je donne schématiquement un exemple. Un tracteur de moyenne puissance, qui coûte 10 millions, l’Etat subventionne environ la moitié. Si le paysan donne un apport de 10%, soit 500 mille francs (sic !), qui sont à la portée de beaucoup de Sénégalais, on lui donne ce matériel, à condition que la banque finance les 4,5 millions. Une fois cela fait, il a son matériel, et il fera face à sa banque. Nous, on va lui accorder des facilités telles que des différés de 2 ou 3 ans. Le paysan pourra produire durant deux ou trois ans sans avoir à payer quoi que ce soit. Pour le reste, il aura son matériel et il sera face à sa banque. Pour nous, il y a plus  de transparence ainsi. Ce qui est certain, c’est comme je l’ai dit, qu’il n’y aura pas de gratuité tous azimuts, cela ne servira à rien.

Et il n’y a pas de risque que ceux-là disparaissent dans la nature ?

Non, on va essayer de chercher des cartes grises, comme pour les autres véhicules. Quitte même à les poinçonner, pour permettre de savoir que c’est des véhicules acquis dans le cadre du programme brésilien, donc des copropriétés de l’Etat. Ils auront des matricules, des numéros de châssis…, en tout cas, nous sommes en train de réfléchir à une mauvaise utilisation des machines agricoles.

Plus d’équité et de transparence n’auraient-elles pas demandé que le financement qui va servir à l’achat de ces tracteurs serve à acquérir plus de petits matériels, à distribuer à beaucoup plus de paysans ?

Il faut peut-être rappeler l’origine de ce financement. C’est un financement brésilien, dans le cadre de leur programme, appelé «Mais alimentos» en portugais, c’est-à-dire, plus de nourriture. Le Brésil cherche par ce biais à aider ses entreprises à exporter du matériel agricole, surtout dans les pays africains. Vous savez que ce pays cherche aussi un certain leadership en Afrique. C’est dans le cadre de ce programme que le Sénégal a été éligible. L’idée est que le petit producteur sénégalais va payer la même chose que le Brésilien pour acquérir ce matériel. Moins même, en tenant compte des impôts et taxes que l’Etat brésilien récupère. Le Sénégal va donc acquérir ce matériel 15% ou 20% moins cher que le Brésilien. Ce n’est donc pas de l’argent que nous avons en mains. Bien sûr que c’est un emprunt, mais à des conditions souhaitées par le prêteur. Dans tous les cas, c’est un programme important pour le Sénégal. Il faut souligner que c’est du matériel pour un producteur moyen, pour ne pas dire, un petit producteur. C’est des tracteurs de l’ordre de 60 à 70 Cv, adaptés particulièrement à la région centre du pays, dans la production de l’arachide. Mais nous avons négocié pour avoir des machines pour de plus grandes superficies, pour soutenir les producteurs des vallées, où le sol est lourd, argileux, et de la Casa­mance. Mais initialement, ce n’était pas l’objectif du Brésil, qui visait en priorité les petits producteurs comme chez eux. Mais nous, Etat du Sénégal, avons inscrit, comme je l’ai dit tout à l’heure, 5 milliards pour acheter du matériel attelé, qui n’a pas été renouvelé depuis plus de 20 ans, des semoirs, des houssines, des houes occidentales, des charrues à partir des ressources budgétaires du Bci.

La réaction des OP semble indiquer que les régimes changent, mais pas les politiques. On va leur imposer du matériel sans prendre au départ leur état de besoins.

Nous sommes quand même partis de l’état des besoins, parce que nous recevons aussi presque chaque jour des courriers de demandes de tracteurs, de moissonneuses, avec des spécifications bien précises, je l’avoue. Je crois que les producteurs sont assez conscients de leurs besoins. Et les spécifications techniques qu’ils donnent indiquent aussi les besoins du pays, il faut le dire. Mais avant toute chose, nous allons discuter avec les acteurs, créer les conditions d’une utilisation de la machine agricole. Nous allons peut-être créer des comités ou des coopératives d’utilisation de la machine agricole, en rapport avec les acteurs. Je pense que cela va être inclusif et participatif. C’est vrai que c’est une demande des acteurs, mais nous aussi, nous sommes dans une démarche de concertation et de dialogue, puisqu’en définitive, on ne peut pas imposer du matériel à quelqu’un qui n’en a pas besoin, et qui ne correspond pas à ses besoins et à ses capacités.

Vous parlez de reconstitution du capital semencier, alors que certains services de votre département, comme la Disem et d’autres, souffrent particulièrement d’un tarissement de ressources humaines. Y a-t-il à votre niveau une politique de renouvellement du personnel ?

Cela est une question pertinente et d’actualité au niveau du département. La question des ressources humaines est une problématique importante. Nous avons fait le constat amer que dans trois ou cinq ans, plus de 80% de nos ressources humaines risquent de sortir de manière définitive, c’est-à-dire, de prendre leur retraite. Mais il y a aussi des sorties temporaires, parce que les agents sont souvent mal payés ; les ingénieurs agronomes vont dans des projets, dont ils reviennent quelques années plus tard. Mais effectivement, il y a un problème de ressources humaines. Dans le cadre de la reconstitution du capital semencier, nous avons pris en compte cette dimension, pour d’abord équiper les laboratoires, et ensuite apporter les ressources humaines nécessaires à la conduite de cet important projet. La reconstitution du capital semencier est la priorité number one du département.

Vous avez décliné vos besoins en termes d’équipements et de ressources humaines. Il n’en reste pas moins que le monde rural a également d’autres besoins, comme les pistes de production, l’énergie bon marché. Comment déclinez-vous cela dans votre programme ?

Ce sont des éléments importants, qui peuvent être appréhendés dans le cadre d’une approche multisectorielle. Il est évident que la production a besoin d’un bon système de connexion de routes, de pistes de production pour la sortir et l’amener vers les marchés, si nous voulons qu’elle ait des débouchés à travers une mise en marché, à travers une bonne connexion avec les terroirs, il faut de bonnes infrastructures rurales. L’énergie d’ailleurs est un intrant de production, notamment dans la Vallée. Là-bas, souvent, la question de la cherté de l’énergie se pose toujours, parce que c’est souvent grâce à des motopompes que l’on fait l’irrigation. Il y a deux jours, je discutais avec mon collègue du Budget, pour voir comment régler le problème des impôts et taxes sur ce secteur. Nous allons discuter avec le ministre de l’Energie, pour voir comment réduire les coûts liés à l’énergie, notamment la prime fixe, qui cause le plus de problèmes. Quand nous voyons les charges, poste par poste, les semences et les engrais ne sont pas les plus coûteux dans la Vallée. C’est surtout l’eau et l’électricité. Nous pensons que là-bas, l’eau est en abondance, et donc, il reste l’électricité. Et dans l’électricité, il y a une rubrique gasoil, qui est indexée. Les producteurs pensent souvent qu’ils sont victimes, parce que pour les pêcheurs, il y a une subvention pour le carburant des pirogues, dont eux ne bénéficient pas. Donc, je pense que le gouvernement pourrait se saisir de cette question.

Revenons aux céréales, et à la plus importante de toutes, pour les citadins. Le gouvernement a décliné il n’y a pas longtemps ses ambitions sur les quantités à atteindre dans ce domaine. Quels sont les moyens mis en œuvre pour réaliser ces ambitions ?

Nous avons l’ambition en 2018, dans le cadre de notre programme d’autosuffisance en riz, d’atteindre l’autosuffisance. Pour ce faire, il y a un certain nombre de mesures d’accompagnement. Il y a notamment à améliorer les surfaces à emblaver, ce qui demande un investissement dans les aménagements. Déjà, le 14 mai, le ministre des Finances a signé un accord de don, pour 11 000 ha à aménager dans la Vallée du fleuve Sénégal et dans l’Anambé. Mais surtout, nous allons mettre un accent particulier dans la production du riz pluvial. Souvent, quand on parle de production de riz, on pense à la Vallée et à l’Anambé. C’est vrai que cela peut assurer une production importante grâce à la double culture. Mais le riz pluvial concerne toute la Casamance, ses bas-fonds, et le Sine-Saloum. La recherche nous a montré qu’il y a des variétés comme le Nerica, qui a de grands rendements et se cultive même sur les plateaux. Toutes ces combinaisons nous font dire que nous avons les terres, les ressources, l’eau ou le soleil, le riz est une denrée que nous aimons bien, qui pèse beaucoup sur notre balance commerciale, mais une stratégie réfléchie et opérationnelle peut nous permettre d’atteindre l’autosuffisance en 2018. En tout cas, nous y travaillons, pour réduire déjà les niveaux insoutenables d’importation de riz.

mgueye@lequotidien.sn

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