samedi, avril 20, 2024

Sanoussi DIAKITE finaliste du prix de l’innovation africaine

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Sanoussi Diakité est professeur inventeur de la décortiqueuse de fonio qui a révolutionné le monde de la recherche technologique africaine. Cette machine qu’il a mise au point lui a valu d’être retenu parmi les dix finalistes du Prix de l’innovation africiane, auquel plus de 900 candidats de 45 pays africains avaient postulé. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il revient sur ses travaux de recherches, le sens et la portée de cette distinction. Il parle également de l’impact de cette trouvaille sur les populations africaines et les enjeux dans la stratégie de croissance et le développement de l’Afrique.

Présentez-vous à nos lecteurs.

Je suis professeur inventeur, directeur général de l’office national de la formation professionnelle. Je suis professeur en sciences et techniques de fabrication mécanique, c’est-à-dire le génie mécanique, également chercheur en équipement agro-alimentaire et j’officie à l’Institut de technologie alimentaire. Je viens de Kolda dans le sud du Sénégal, dans la Casamance. J’ai fait mes études primaires à Kolda. Mes cycles moyen et secondaire, ainsi que mes études supérieures, à Dakar.

Vous faites partie des 10 finalistes du Prix de l’innovation africaine, qui sera décerné le 07 mai prochain en Afrique du Sud, est-ce que vous pouvez nous expliquez le processus qui vous a conduit à cette distinction ?

Ce prix concerne une machine que j’ai mise au point. C’est la machine à décortiquer le fonio. Qui est une innovation. Je suis très heureux de cette distinction. C’est une distinction qui a été acquise sur 900 candidats de 45 pays d’Afrique.

Je me sens honoré. C’est une reconnaissance du travail réalisé, mais c’est aussi la preuve que la machine est une innovation qui a un effet sur le processus de développement en Afrique, sur le processus de croissance, sur la création de richesses.

C’est l’ensemble de ces éléments qui apparaissent à travers cette sélection. Je ne peux qu’être fier d’avoir été à l’origine d’une telle contribution à l’essor de mon continent. En définitive, ce qui est à retenir, c’est la contribution à la mise en place de solutions pour développer l’Afrique. Ma machine est une de ces solutions.

Quelles sont les fonctionnalités de cette machine ?

La machine a résolu un problème. C’est le problème de la transformation du fonio. Qui est une céréale africaine que nous avons tout intérêt à développer. Puisque ça renferme des atouts énormes. Le problème était le décorticage. Ma machine a résolu ce problème. Elle a fait ses preuves sur le terrain. Elle est présente sur 8 pays d’Afrique. L’enjeu de cette machine : à la main, il faut 2 heures de temps pour décortiquer 2,5 kilogrammes. Les machines existantes qui traitent les céréales se sont révélées inefficaces pour le fonio à cause de sa finesse. Parce qu’on compte jusqu’à 2500 grains par gramme de fonio. Le fait qu’il n’y ait pas de solutions jusque là et que les machines existantes n’aient pas été efficaces, cela a créé une contrainte au développement du fonio. De sorte que des gens ont même abandonné la culture du fonio. Quand bien même, ils savent que c’est bien, mais ils l’ont abandonné, parce que c’est dur. J’ai inventé cette machine. Elle décortique 5 Kilos en 8 minutes et proprement en un seul passage. Ce qui est bien, c’est qu’une technologie doit montrer dans le temps son efficacité. Ce n’est pas en un point seulement, en une période, en un moment que la technologie doit montrer son efficacité. Elle doit le faire dans le temps et dans l’espace. C’est ce que ma machine a prouvé. Cette distinction, c’est cela sa signification. La machine a montré ses preuves dans le temps et dans l’espace.

Combien de temps de recherches cela vous a-t-il pris pour mettre au point cette machine ?

Cette machine existe au Sénégal depuis longtemps. Cela m’a pris environ trois années de recherches. Mais une technologie a pour vocation d’évoluer. Prenez n’importe quel produit technologique, cela évolue dans le temps tout en conservant le principe. Parce que ça doit être corrélé à la perception de la communauté qui l’utilise. Cela évolue avec les manières de percevoir, cela évolue aussi avec les nouveaux outils ou les nouveaux matériaux qu’on découvre. Je prends l’exemple de l’électrophone, lorsqu’on inventait cela il n’y avait pas des composantes électroniques. Dès lors que ces composantes ont existé, les fonctions qui sont à l’intérieur de ces composantes électroniques ont été utilisées dans le principe de l’électrophone. Cela a évolué. L’ancêtre du lecteur Dvd, c’est l’électrophone. C’est comme ça une technologique. Cela n’arrête pas d’évoluer. Il ne faut pas dire qu’on a terminé de réfléchir sur une technologie. Ca continue toujours. Ce qui est important, c’est d’être en phase avec les besoins. Ce sont les besoins, l’aspiration et la demande qui doivent commander la solution. Puisqu’on n’invente pas pour soi, on invente parce qu’il y a un besoin, une nécessité. On dit que nécessité est mère d’invention. Il est très important de le savoir.

Quel est l’impact de cette machine sur le vécu des populations sénégalaises et africaines ?

Cela a radicalement changé les choses. Radicalement. L’allègement des travaux des femmes. Quand une femme est capable de dire : je vais préparer du fonio pour le dîner et d’attendre jusqu’à 18 heures pour commencer à travailler, c’était impensable il y a quelques années. Il fallait pour préparer le fonio pour le dîner, commencer le travail trois jours avant. Maintenant on peut se lever une heure avant, pour décortiquer et préparer. Cela a changé aussi la situation de cette céréale. Cela l’a mise sous les projecteurs. On a vu tout l’intérêt qu’il y a. Grâce à cette machine, des spécialistes dans d’autres domaines se sont intéressés à la céréale. Les nutritionnistes.

Il y a un chercheur à l’Ita du nom de Djibril Traoré, qui a fait son PHD sur le fonio et qui a démontré que le fonio était bon pour les diabétiques. Il a découvert des choses extraordinaires sur le fonio.

Les agronomes se sont aussi intéressés au fonio ; des techniques culturales ont été mises au point. Alors qu’avant, le fonio ne présentait aucun intérêt pour qui ce soit. Parce qu’on considérait que c’était marginal. Mais maintenant, la culture du fonio a repris. La machine a joué un rôle dans cela. L’impact final, c’est le repositionnement du fonio dans les stratégies alimentaires dans nos pays. Le fonio va s’installer comme une alternative crédible pour l’alimentation de nos populations. L’élément catalyseur c’est la machine que j’ai mise au point. Parce que c’est cela qui a permis aux gens de dire qu’ils peuvent se relancer dans la culture du fonio.

Grâce à cette machine, le fonio peut apporter des réponses concrètes à la crise alimentaire qui frappent les pays du Sahel ?

Absolument. Le fonio est une céréale qui n’a pas besoin de beaucoup d’eau pour pousser. Le fonio pousse sur des sols pauvres. Quand on y sème le fonio, il pousse. C’est prouvé. Dans les sociétés traditionnelles, ce sont les sols en fin de cycle qui sont utilisés pour semer le fonio. Cela veut dire que dans les moments où il y a des changements climatiques, où la sécheresse gagne du terrain, le fonio va se positionner comme l’élément économique le plus rentable pour la culture vivrière. Cela va demander moins d’investissements et moins d’aménagement. Cela produit plus de résultats sur l’alimentation. Le kilo de fonio coûte 1400 F sur le marché ; l’autre impact, c’est qu’il y a de l’activité économique sur le fonio. Combien d’unités de transformation se sont maintenant mises dans la transformation et la commercialisation du fonio précuit.

Je vous donne l’exemple de Mme Aïssatou Aya Ndiaye à Kédougou, elle exporte des tonnes de fonio précuit. La transformation a été rendue possible grâce à cette machine. C’est la machine qui a créé de l’intérêt pour le fonio. C’est une céréale africaine.

Le maïs vient de l’Amérique latine, le riz vient de Mésopotamie, le mil vient de l’Inde, mais le fonio vient de chez nous en Afrique. Ibn Batouta en 1200 déjà, évoquait le fonio dans ces voyages. Le plat de fonio qu’il a trouvé dans le Soudan. Le fonio est une céréale qui est considérée comme de l’alicament. C’est-à-dire aliment et médicament à la fois. Parce que cela a des vertus pour lutter contre le diabète. Les graisses constituent le premier ennemi du diabétique. Quand on mange le fonio, il n’y a pas de stock de graisse. Le Pr Djibril Traoré pourra expliquer tout l’intérêt nutritionnel qui se trouve dans le fonio. Dans le traitement de certaines maladies, le fonio est recommandé. Je vous recommande le livre du Pr Kérharo, un professeur de botanique, qui a écrit sur le fonio. Il a montré que le fonio est efficace pour lutter contre les météorismes intestinaux et pour les traitements diurétiques. Tout cela a fait que le fonio est un élément stratégique. Comme on parle de vin de Bordeaux, le fonio est de l’Afrique de l’Ouest, qu’on va distribuer dans le monde. Cela va être un élément caractéristique de notre zone. C’est tout cela que la machine aide à mettre en place. L’émergence d’une filière. Ce n’est pas la machine qui est le plus important, c’est le fonio qui est le plus important. Quand on regarde le fonio, on regarde la société dans laquelle il est consommé. Ce sont 16 pays africains qui consomment le fonio. Cela fait combien de consommateurs ? Sans compter ce qui est à exporter. Combien de personnes peuvent se mettre dans la transformation du fonio et gagner leur vie parce que la machine est disponible. C’est cette transformation sociale qui est portée par cette innovation sociale qu’est la machine. On a toujours besoin de prouver. On ne nous fait aucun cadeau dans le monde scientifique et technique. On nous regarde avec des préjugés défavorables. On doit montrer suffisamment de rigueur avec nous-mêmes. Le combat de Cheikh Anta Diop pour amener les gens à comprendre et à imposer au monde les connaissances universelles dont il était porteur, c’est le même type de combat qu’il faut mener. Parce qu’on a vite dit: qu’est-ce que l’Afrique a inventé ? Alors qu’il n’y a aucun peuple qui ne soit doté de génie de créativité. C’est juste que dans le système international d’échanges, il y a des groupes qui veulent imposer leur loi et assujettir les Etats. C’est à nous de montrer que nous savons où nous allons et nous avons suffisamment de force pour porter nos propres aspirations. Avant que je n’invente cette machine, le fonio était considéré comme une céréale perdue. Il fallait avoir un vécu pour comprendre qu’il a un enjeu social extraordinaire.

Pour moi, avec ce prix, l’Afrique me dit : «Sanoussi, vous avez raison de croire à cela depuis le début, vous avez raison de croire que le fonio n’est pas une céréale perdue et de vous investir à trouver une solution pour son émergence». Cela est important. Croire en cela, c’est aussi croire au fait que la compréhension de nos enjeux propres ne peut procéder que de notre processus propre.

Il y a combien d’unités qui ont été reproduites ?

Il n’y a pas de fabrication à grande échelle. Cela demande de l’investissement. Ca va venir. Ce prix aide à la mise en relation avec les investisseurs que cela peut intéresser. Il y a une centaine de machines implantées à travers l’Afrique de l’Ouest. Le fonds national de recherche agricole et agro-alimentaire du Sénégal a appuyé un projet de diffusion de cette machine, une diffusion pilote qui s’est déroulée pendant deux années. C’était juste pour regarder le niveau d’adoption par des critères et des indicateurs préétablis, le niveau d’adoption par les communautés qui peuvent utiliser cette machine. Les conclusions sont très positives. Il y a une seconde phase de diffusion à grande échelle qui est prévue pour justement mettre à disponibilité la machine ou les services de la machine. Dans certaines localités, les gens ont parcouru des dizaines de kilomètres pour venir bénéficier des services de cette machine.

Est-ce que les autorités sénégalaises sont informées de cette distinction et quelles sont les mesures d’accompagnement prises ?

Je suis un collaborateur du Président Macky Sall. Je lui ai fait une correspondance officielle pour l’informer que j’ai été retenu parmi les dix de ce prix. Je sais que c’est quelque chose qu’il va apprécier à sa juste valeur. Parce qu’il est toujours attentif à l’action qui crée de l’émergence en Afrique. Cette machine constitue une action. Agir pour créer de l’émergence en Afrique. Or ce n’est pas du verbiage ni une vue de l’esprit. C’est quelque chose qui pose des solutions au niveau des communautés. C’est aussi une approche, une démarche dans la voie de ce qu’il souhaite que le Sénégal soit dans la marche vers le développement. Cette invention est une sorte de manifestation qui montre que la confiance qu’il a placée en moi en me mettant à la tête de l’Office national de la formation professionnel que cette distinction est un prolongement de cette confiance. Je suis un homme d’action dans la voie qu’il a tracée pour le développement du Sénégal.

Vous êtes alors l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ?

Je me bats. J’ai toujours cru en moi. J’applique suffisamment de rigueur sur moi-même, je ne me pardonne rien du tout, aucune faiblesse. Je pense que pour pouvoir être performant il faut être exigent avec soi-même.

HAROUNA FALL (Gfm)

5 Commentaires

  1. Toutes mes félicitations au Professeur Sanoussi Diakité. C'est quand même dommage que notre pays attente cette consécration pour plus valoriser le travail de Sanoussi. Il a inventé cette décortiqueuse depuis 1993 quand même, ça fait 20 ans!!! C'est dommage de le dire mais l'innovation et la création ne sont pas assez considérées dans nos pays africains, au Sénégal encore moins. Très dommage!!!! J'espère que la production industrielle de cette belle invention ne va pas tarder. Bonne continuation Professeur

  2. En effet Souka Pulo, ce n'est pas encourageant du tout, de faire une telle découverte il y a 20 ans, pour que ce soit reconnu que maintenant. Sachant combien de fois la technologie évolue vite, c'est dire tout simplement que l'innovation n'est pas encouragée en Afrique, or c'est pourtant en se démarquant technologiquement que nous assoirons notre véritable indépendance économique, et in fine un développement économique qui soit durable. Oui, c'est très dommage, j'en conviens avec toi ! On devrait saisir cette occasion pour lancer un message fort de sorte à stimuler la recherche scientifique, en lieux et place de Lutte, Musique, et Danse,… qu'on nous refourgue partout intempestivement ! C'est écœurant à la longue !

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