vendredi, avril 19, 2024

Le magazine Jeune Afrique passe au crible le passé de Karim Wade, jusqu’à sa chute libre !

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Les voies de la justice sont impénétrables, et Karim Wade est en train d’en faire l’amère expérience. Le 17 avril, c’est dans une cellule de la prison de Rebeuss jadis occupée par Idrissa Seck, ancien Premier ministre de son père dont l’ascension a été entravée par une accusation de malversations financières orchestrées en haut lieu, qu’il a été placé en détention. Étrange retour de manivelle pour celui que l’on surnommait le ministre du Ciel et de la Terre et pour Abdoulaye Wade, à qui l’on prêtait l’ambition de voir son fils prendre sa suite au palais présidentiel, mais qui doit se contenter, depuis son exil versaillais, de le voir lui succéder dans une prison dakaroise.

Un mois plus tôt, le 15 mars, Karim Wade avait été informé de l’ampleur du patrimoine qui lui est attribué lors d’un tête-à-tête tendu avec Alioune Ndao, le procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Évalué au franc CFA près, le montant de son trésor caché, immédiatement relayé par les radios nationales, avait fait l’effet d’une bombe : 693 946 390 174 F CFA (1,05 milliard d’euros). Le hold-up du siècle (voir notre infographie ci-dessous).

Le compte à rebours était lancé. Karim Wade disposait de trente et un jours pour démontrer que ce patrimoine avait été acquis de manière licite. Vu l’ampleur des détournements présumés, chacun s’accordait à lui prédire un placement imminent sous mandat de dépôt. En l’espace de un an, l’un des hommes les plus influents du Sénégal subissait une chute vertigineuse.
Énormité

Ce 15 mars, avant de se rendre à la prière du vendredi, en compagnie de quelques « frères » du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition), Karim Wade avait téléphoné à des proches pour leur faire part de la teneur de sa mise en demeure, affirmant ignorer jusqu’à l’existence de certaines des quinze sociétés dont la justice lui attribuait la propriété via des hommes de paille. Sur la liste du procureur, une entreprise, à elle seule, pèse 596 millions d’euros. « Ils m’ont dit : « DP World Dakar SA vous appartient ! » » s’exclamait alors Karim Wade, apparemment incrédule face à l’énormité du soupçon, devant ses interlocuteurs.

La riposte s’est vite organisée. Autour de l’ancien ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Énergie, un quatuor d’avocats est à la manoeuvre. Trois d’entre eux le représentent officiellement : Ciré Clédor Ly, Demba Ciré Bathily et Mouhamadou Seydou Diagne. Le quatrième, El Hadji Amadou Sall, qui officie en coulisses, est un ancien garde des Sceaux d’Abdoulaye Wade. Les 13 et 14 mars, s’ils ont pu prendre connaissance du dossier à charge, quarante-huit heures avant la mise en demeure de leur client, ils n’ont pas eu le droit de réaliser de copies des nombreux documents réunis par les enquêteurs, devant se limiter à une prise de notes fastidieuse face aux trente-sept cartons d’archives. Depuis la maison familiale du Point E, devenue l’épicentre de sa cellule de crise, Karim Wade s’affaire à réunir les preuves qui démontreront « la manipulation » qu’il dénonce.

Confiant

Jouant de leur entregent, ses avocats et lui-même se procurent divers documents auprès du cadastre, du registre du commerce et de divers services officiels. Sur son MacBook Air, l’ancien ministre compile et classe les centaines de pièces censées démontrer que ce patrimoine ne lui appartient pas : titres fonciers, relevés bancaires, attestations, sommations d’huissiers, registres d’actionnaires des différentes sociétés visées par la Crei… Il peut aussi compter sur un certain nombre d’attestations provenant de BlackPearl Finance, d’Aviation Handling Services (AHS) ou de Hardstand. Ses avocats ont contacté certains de leurs confrères chargés des intérêts de DP World Dakar SA, des différentes sociétés des frères Aboukhalil, Ibrahim (alias Bibo Bourgi) et Karim, et des autres entreprises recensées par la Crei. Ils se sont fait transmettre les pièces permettant d’établir leur valeur financière et l’identité de leurs actionnaires officiels.

Pendant un mois, les réunions de travail s’enchaînent jusque tard dans la nuit. Si Karim Wade se montre confiant sur le dossier qu’il entend déposer à la Crei avant le 15 avril, son entourage et lui-même se disent néanmoins convaincus que les dés sont pipés. Distillant au compte-gouttes confidences et critiques, ils s’agacent de « l’acharnement » de la ministre de la Justice, Aminata Touré, et accusent les enquêteurs d’avoir « harcelé certains témoins pour leur faire dire sur procès-verbal » que diverses sociétés lui appartiennent secrètement.

Pendant que ses avocats moquent le scénario mis en avant par les enquêteurs – un patrimoine dépassant le milliard d’euros quasi intégralement délégué à des hommes de paille -, Karim Wade, lui, a l’ironie maussade. Quand il évoque la perspective de dormir bientôt en prison, le ton reste badin mais le visage se crispe. Éloigné de ses trois filles, qui résident à Paris, mais aussi de ses parents et de sa soeur cadette, Sindiely, qui ont quitté Dakar au lendemain de la défaite, il est le dernier membre du clan sur le sol sénégalais. Connu pour son franc-parler et ses saillies éloquentes, l’ancien président se fait étonnamment discret depuis que son fils voit son horizon s’assombrir. S’il lui a fait parvenir une attestation censée justifier les sommes qu’il a lui-même versées sur ses comptes bancaires entre 2000 et 2012, affirmant par ailleurs avoir personnellement financé les deux maisons qu’il a ensuite mises au nom de Karim au titre d’un partage d’ascendant, Gorgui reste muet. « Tu n’as rien à te reprocher, donc tu n’as pas à t’en faire, a-t-il lancé à son fils au téléphone au lendemain de sa mise en demeure. À mon époque, ils auraient invoqué une atteinte à la sûreté de l’État ! »

Sursaut

Lundi 15 avril, après une dernière nuit sans sommeil passée à peaufiner le mémoire en réponse de quarante-deux pages qui prétend démonter une à une les accusations de la Crei, ses avocats se présentent devant le procureur spécial, vingt-cinq minutes seulement avant les douze coups de midi – fin du délai de la mise en demeure. Cette fois, Karim Wade ne les a pas accompagnés. Quelques heures plus tard, des enquêteurs en civil se présentent à son domicile munis d’une convocation. Karim Wade s’engouffre à leurs côtés dans un véhicule noir, devant les grappes de curieux et de sympathisants du PDS qui se sont rassemblés dans les rues adjacentes.

À la caserne Samba Diery Diallo de Colobane, il retrouve les principaux protagonistes que la Crei considère comme ses hommes de paille. Il n’aura pas fallu longtemps au procureur spécial pour consulter, digérer et écarter les arguments en défense de l’ancien ministre. « En deux heures, nous nous sommes fait une religion et nous n’avons pas été convaincus par la pertinence de ses réponses », affirme le magistrat, annonçant du même coup la transmission du dossier à la commission d’instruction de la Crei.

Une semaine avant sa chute, Karim Wade envisageait de sortir du silence et de plaider personnellement sa cause lors d’une grande interview ou d’une conférence de presse. Ultime sursaut d’optimisme pour l’héritier controversé, rendu plus muet que jamais.

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